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Dossier

Résultats de notre grande enquête

Rendez-vous non honorés, comment les généralistes font-ils face ?

Par Aurélie Dureuil - Publié le 20/03/2023
Rendez-vous non honorés, comment les généralistes font-ils face ?


VOISIN/ PHANIE

À l’heure où chacun cherche des solutions pour redonner du temps médical aux praticiens, le phénomène des rendez-vous non honorés prend de l’ampleur. Le Généraliste vous a interrogés sur son impact dans votre activité mais aussi sur les solutions que vous préconisez. Découvrez les résultats de notre grande enquête.

Six rendez-vous non honorés chaque semaine ou plus, c’est la fréquence de « lapins » à laquelle sont aujourd’hui confrontés les généralistes, selon notre enquête. Cela concerne près de 23 % des participants. 18 % des répondants enregistrent, eux, cinq rendez-vous non honorés chaque semaine. La même proportion de participants ne compte que deux « lapins » hebdomadaires. Et seul 1,2 % ne connaissent pas du tout ce phénomène. Le sujet des rendez-vous non honorés est de plus en plus prégnant à l’heure où chacun cherche comment faire face à la crise de la démographie médicale.

« Trop de temps médical est gaspillé par un excès d’imprévoyance, de la désinvolture, avec en particulier des rendez-vous non honorés. » Dans ses vœux aux acteurs de la santé, Emmanuel Macron a donné le ton face à la multiplication des rendez-vous non honorés. Et le phénomène concerne tous les médecins généralistes libéraux, qu’ils exercent en groupe ou isolé. Par ailleurs, les outils de prise de rendez-vous ne semblent pas jouer un rôle. En effet, 52,3 % des répondants utilisent une plateforme numérique. La même proportion dispose d’un secrétariat au sein de son cabinet. Et 45,6 % s’appuient sur une plateforme de secrétariat téléphonique. Plusieurs solutions peuvent en effet être utilisées en parallèle.

D’autre part, quand on parle du risque de consumérisme médical avec l’utilisation de la téléconsultation, cela ne se reflète pas chez les généralistes la pratiquant. Ainsi, sur les 37,8 % de répondants réalisant des téléconsultations, seuls 5,8 % enregistrent davantage de rendez-vous non honorés via cette pratique.

Les nouveaux patients, plus gros poseurs de lapins

Pourtant, les nouvelles technologies ne sont pas toutes sans conséquence. Ainsi, 40,7 % des généralistes estiment que les patients qui posent le plus de lapins sont ceux ayant pris rendez-vous en ligne, derrière les nouveaux patients (57,6 % des répondants). Et devant les patients de la file active (36,9 %). Plus surprenant, même pour des rendez-vous pris en urgence, les patients n’honorent pas la consultation (34,6 %). Une proportion supérieure aux « têtes en l’air » qui auraient oublié un rendez-vous de longue date (33,4 %).

Et ces lapins sont rarement anticipables dans le planning des généralistes. Une majorité de participants à l’enquête (58,1 %) estime que seul un patient sur cinq les prévient. Pour 17,2 % des généralistes, un poseur de lapin sur deux les alerte. Et chacun utilise ce temps libéré comme il peut. Ainsi, 63,7 % effectuent un travail hors soins, l’administratif étant régulièrement cité. Tandis que 31,1 % consacrent plus de temps aux consultations ayant lieu. 30,5 % réussissent à réaffecter ce temps à d’autres consultations.

Face au phénomène, les généralistes cherchent pourtant des solutions. Ainsi, 62,2 % des répondants ont pris des mesures. Près de 82 % des participants à l’enquête ont déjà blacklisté des patients. Ainsi, un participant explique qu’il pratique une exclusion au bout du troisième rendez-vous non honoré, après avoir prévenu son patient au deuxième lapin. 44,4 % ont mis en place des rappels de rendez-vous, avec pour certains une obligation de confirmation pour le patient s’il ne veut pas voir son rendez-vous annulé. Et 38,8 % sensibilisent leur patient au sujet. Une petite partie des généralistes (7,1 %) a opté pour des sanctions financières, tandis que 3,4 % misent sur des plages de consultations sans rendez-vous.

Des esquisses de solutions à grande échelle

Mais si les généralistes mettent en œuvre des mesures à l’échelle du cabinet, n’attendent-ils pas des solutions prises à grande échelle, par l’Assurance maladie, par une loi… ? Dans une prise de position commune en janvier, le Conseil national de l’Ordre des médecins et l’Académie nationale de médecine ont « manifesté leur vive préoccupation face aux graves conséquences soulevées par les rendez-vous médicaux non honorés ». Les deux instances appelaient alors à « sensibiliser et responsabiliser le public par des campagnes d’information dénonçant cette manifestation d’incivilité hautement préjudiciable à l’offre de soins » et à « amender les propositions de loi sur l’accès aux soins en cours de discussion, afin que le code de la santé publique permette de responsabiliser les patients sur les rendez-vous non honorés ».

Quelques jours auparavant, dans ses vœux, le chef de l’État a présenté une solution autour de la sensibilisation de nos concitoyens. « Le patient a un rôle dans la santé (…). Mais notre système, à force de lever toutes les barrières de l’accès aux soins, ce qui est une bonne chose et que nous garderons, a parfois déresponsabilisé beaucoup de nos compatriotes. (…) Pour supprimer cette perte sèche de temps médical, là aussi, un travail sera engagé avec l’Assurance maladie pour responsabiliser les patients lorsqu’un rendez-­vous ou plusieurs ne sont pas honorés ou lorsqu’il y a des recours abusifs à des soins non programmés. »

Une solution qui séduit peu les médecins généralistes. 24,4 % estiment que cette campagne de sensibilisation ne sera « pas du tout utile » (au total, 43,6 % ont un avis négatif) quand 37,9 % des répondants y voient une utilité (dont 14 % étant « tout à fait d’accord »). Le fait de prévoir des plages de consultations sans rendez-vous n’est pas une option pour les personnes interrogées : 72,1 % estiment que ce « n’est pas du tout » une solution adéquate. Les outils de rappel de rendez-vous séduisent un peu plus : 44,2 % les considèrent comme une solution, 19,5 % ne se prononcent pas et 36,7 % ont un avis négatif.

Du côté des plateformes de rendez-vous en ligne, souvent pointées du doigt comme étant pourvoyeuses de rendez-vous non honorés, des solutions sont déployées. Doctolib a ainsi communiqué en début d’année sur de nouvelles fonctionnalités de sa plateforme. L’entreprise estime que les lapins ont pour principales causes les oublis, l’impossibilité d’annuler et l’incivilité. Contre les oublis, la plateforme propose déjà des systèmes de rappels par e-mail, notification et SMS. Contre l’impossibilité d’annuler un rendez-vous, l’entreprise a réduit à quatre heures le délai et propose aux professionnels de santé un système de liste d’attente. Et Doctolib effectue des tests pour déterminer le délai d’annulation adéquate pour chaque spécialité. Enfin, contre l’incivilité, Doctolib empêche de cumuler plusieurs rendez-vous chez un même professionnel ou pour une même spécialité à moins de six jours d’écart l’un de l’autre et permet de bloquer l’accès à la prise de rendez-vous en ligne après plusieurs lapins.

Des attentes de mesures répressives pour les patients

Les généralistes attendent des mesures répressives pour les patients indélicats. Ils sont 61 % à penser qu’il faudrait pouvoir blacklister les patients. Et 63,7 % sont « tout à fait » favorables à la possibilité d’une sanction financière pour les poseurs de lapins. Un peu moins de 10 % s’opposent totalement à cette idée.

Une idée qui fait son chemin depuis plusieurs mois. Ainsi, une pétition lancée par l’UFML-S sur change.org a déjà recueilli près de 9 500 signatures (Pour un droit à facturation des consultations non honorées chez les médecins et soignants). À l’échelle locale, dans le Var, des médecins ont présenté en janvier une initiative pour facturer les patients lors du rendez-vous suivant. « Certains syndicats prônent une facturation de la consultation qui n’a pas été honorée. En l’état actuel des textes, cela n’est pas possible. Nous ne pouvons facturer qu’un acte qui a été réalisé. En revanche, ce qu’il est possible de faire, c’est de pratiquer lors de la visite suivante un dépassement exceptionnel de quelques euros à la discrétion du médecin, qui ne sera pas pris en charge par la Sécurité sociale », expliquait alors le président du Conseil de l’Ordre des médecins du Var, le Dr Jean-Luc Le Gall, généraliste à Toulon.

Au Sénat, dans le cadre de l’examen de la proposition de loi Rist visant à lutter contre les déserts médicaux, les sénateurs ont introduit un article ouvrant la voie à une indemnisation des rendez-vous non honorés chez les professionnels de santé et à une pénalisation financière des patients. Une initiative jugée prématurée par le ministre de la Santé.

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