On dénombre actuellement plus de 4 400 applications dédiées à la médecine dans les magasins d’« apps » en ligne pour le marché français, parmi lesquelles 30 % s’adressent aux professionnels. Sur ce marché de la « m-santé », la régulation se cherche encore, même si elle bénéficie des contributions d’organisations, comme le CNOM. Les premières initiatives d’évaluation et de recommandation se mettent en place et font débat. Le consensus s’impose en tout cas autour du rôle du médecin qui devrait se révéler fondamental dans la confiance accordée à la santé connectée.
Prescrirez-vous un jour des applications et objets connectés de santé ? La question a commencé à se poser dans les pays occidentaux, il y a environ trois ans, quand le ministre britannique de la Santé a déclaré son intention de banaliser l’utilisation des « apps », ces logiciels faits pour fonctionner sur smartphones. Une évidence s’est ensuite rapidement imposée : il faudrait trouver les moyens d’évaluer ces solutions. Or leur nombre était en train d’exploser ! De 20 000 en 2012, le volume mondial des applications mobiles en santé a grimpé à 100 000 en 2013 et dépasserait les 150 000 aujourd’hui.
Le NHS (National Health Service), qui a commencé à référencer des applications sûres dans une bibliothèque en ligne (Health Apps Library), n’a pas réussi à en évaluer plus de 200 en un an et réfléchit à une nouvelle procédure.
Dans le même temps, on a assisté à un véritable déferlement du côté des objets connectés en santé/bien-être. Capteurs-traqueurs d’activités sous toutes les formes (bracelets, montres, ceintures, etc.), balances, brosses à dents, fourchettes, piluliers… les objets les plus courants deviennent capables de mesurer en continu nos moindres faits et gestes et, surtout, d’en communiquer la trace vers nos smartphones, ordinateurs ou des serveurs de stockage de données, plus ou moins clairement identifiés. Ces objets, régulièrement récompensés lors de la grand-messe annuelle du Consumer Electronic Show de Las Vegas, ont rapidement quitté le simple statut de vitrines de l’excellence française en électronique pour se diffuser auprès du public via la grande distribution et, bientôt, les pharmacies.
Il n’en fallait pas moins pour faire naître un nouveau concept, la santé connectée, qui connaît un engouement certain du côté des médias (et des organisateurs de conférences) tout en restant encore ignoré d’une bonne part du grand public !
L’intérêt des malades chroniques
Pour sa dernière enquête, le Lab e-santé a en effet interrogé un peu plus de 2 200 personnes (1) parmi lesquelles 31 % n’ont jamais téléchargé une application de santé... car elles ne savent tout simplement pas de quoi il s’agit ! Une proportion similaire n’identifie d’ailleurs pas mieux à quoi correspond un objet connecté de santé.
La même étude nous confirme, toutefois, que les malades chroniques montrent un intérêt pour la santé connectée. Plus de deux sur dix ont déjà téléchargé une application mobile de santé ; une proportion qui atteint même six sur dix dans le cas du diabète. « Ce constat s’explique par le fait que l’autogestion est une réalité pour les malades du diabète et ils bénéficient déjà d’un très grand nombre d’applis », commente Catherine Cerisey, vice-présidente du Lab e-santé au titre du collège Patients.
Toutes les pathologies ne sont pas dans le même cas, comme l’observe le Dr Guillaume Marchand : « Le diabète se taille la part du lion sur le marché des applications (10 % environ), mais il reste encore énormément de spécialités “orphelines”, à l’instar de la psychiatrie ». Le médecin – psychiatre justement – lance régulièrement un appel aux développeurs de logiciels pour qu’ils s’intéressent à ces spécialités délaissées que sont l’orthopédie, la pédiatrie, la neurologie ou l’endocrinologie. Il estime que l’on peut compter aujourd’hui 4 400 apps dédiées à la médecine dans les stores français, parmi lesquelles 30 % s’adressent aux professionnels et le reste au grand public. Sa vision globale de la m-santé (santé mobile ou connectée), Guillaume Marchand la doit à sa deuxième casquette, celle d’entrepreneur. Il a créé, il y a deux ans, une startup, DMD Santé, qui a vocation à évaluer – et recommander – les apps et objets connectés en santé, tout en conseillant les développeurs et éditeurs qui se lancent sur ce marché.
Il s’appuie sur un réseau de quelque 1 400 professionnels et patients qui a déjà coté plus de 1 000 applications. Leur note, sur 20, est publiée sur un portail, tandis que la sélection d’apps qui sortent du lot est mise en avant à l’occasion de Trophées annuels. Le médecin-entrepreneur annonce maintenant qu’il est prêt à ajouter un audit de sécurité (sous les angles respect de la vie privée et sécurité informatique) à cette première phase d’évaluation collaborative. Partant du principe – de bon sens – « si la m-santé n’est pas un gadget, alors traitons là comme un produit de santé », il s’affiche, en outre, prêt à orienter « vers le réglementaire », autrement dit l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé), les concepteurs de solutions qui se démarqueraient par une finalité médicale (lire encadré ci-contre).
Pallier la méconnaissance des règles et bonnes pratiques
Il faut cependant reconnaître que le régulateur n’est pas encore vraiment à l’aise avec la santé connectée ! Et les entrepreneurs ne le sont pas forcément plus avec la réglementation ! L’innovation émane le plus souvent de startups qui découvrent les règles en marchant. Comme le notait un Livre vert de la Commission européenne, « ce marché [de la santé mobile] est dominé par de petites structures » : un tiers des applis sont développées par des entreprises unipersonnelles et un autre tiers par des sociétés de 2 à 9 employés.
Guillaume Marchand confirme l’observation pour la France et ajoute : « les premiers producteurs de contenus en santé connectée sont aujourd’hui des patients ou des médecins ». Des séminaires d’information s’organisent toutefois pour pallier la méconnaissance des règles et bonnes pratiques. Une première journée de l’ANSM, fin novembre 2014, a fait le plein et a permis d’exposer définitions et statuts des logiciels dispositifs médicaux.
Cette semaine (le 9 juin), c’est le Snitem (Syndicat National de l’Industrie des TEchnologies Médicales) qui a convié les startups du dispositif médical à prendre connaissance du b.a.-ba du marquage CE et autres « pièges ». Une journée à forte audience là aussi.
De conférences en livres blancs et en sondages, si un consensus semble s’imposer, c’est bien autour du rôle du médecin dans la santé connectée. « Les patients sont demandeurs et les médecins sont leurs interlocuteurs privilégiés », n’a pas manqué de souligner le Dr Éric Couhet, généraliste co-fondateur de Connected doctors (lire encadré ci-contre), à l’occasion d’une conférence des Salons Santé Autonomie, le 20 mai dernier.
En produisant récemment recommandations au grand public (2) et mise au point à l’attention des éditeurs, l’ANSM a, pour sa part, clairement renvoyé les patients à l’expertise des professionnels de santé. « Toutes les applications vendues sur les magasins d’application en ligne de logiciels en santé ne revendiquent pas une finalité médicale. Aussi, il faut être vigilant sur les informations données par ces magasins (…) », commence par rappeler l’agence. « Le choix du recours à une application mobile doit se faire en concertation avec un professionnel de santé, en particulier lorsqu’une application permet le suivi d’une maladie chronique », poursuit-elle.
Le top 5 des applis préférées par les patients
Une recommandation anticipée par les patients si l’on en croit les résultats de l’enquête du Lab e-santé. Plus de la moitié des malades chroniques qui n’ont jamais téléchargé d’app mobile en santé se déclarent prêts à le faire si leur médecin leur en conseille une, le médecin se plaçant d’ailleurs en tête des « prescripteurs », devant un pair (c'est-à-dire une autre personne touchée par la même pathologie) ou une association, voire le pharmacien.
Quant aux malades chroniques déjà utilisateurs d’apps mobiles, ils seraient quatre sur dix à échanger à ce sujet avec leur médecin. Soit parce que ce dernier leur a conseillé l’appli, soit pour solliciter son avis ou, plus simplement, parce que c’est dans l’air du temps.
Il n’en demeure pas moins que ces usagers pionniers de la santé connectée sont cinq fois plus nombreux à avoir déniché l’appli par eux-mêmes, sur un store ou sur le web, qu’à avoir agi sur conseil de leur médecin. Au top 5 de leurs recherches et solutions préférées : les carnets de suivi, les applications d’informations et d’actualités sur la maladie, les logiciels liés à un objet connecté et les bases de données sur les médicaments.
Conscient de cette attente vis-à-vis d’un rôle de conseiller – si ce n’est de prescripteur – que doit savoir endosser le médecin et soucieux de contribuer aux réflexions sur la question de la régulation, le Conseil National de l’Ordre des Médecins n’a pas tardé à se positionner sur la santé connectée avec la publication d’un livre blanc, au début de l’année (3). Il y fait à la fois œuvre de pédagogie (en décryptant les enjeux, la réalité de la santé mobile et ses risques), d’évangélisation et de recommandations.
Favorable à une régulation « adaptée, graduée et européenne », le CNOM suggère que la mise sur le marché des outils de la santé mobile devrait faire l’objet, au minimum, d’une déclaration de conformité à un certain nombre de standards. Et ce sur trois points précis : la confidentialité et la protection des données recueillies, la sécurité informatique, logicielle et matérielle, la sûreté sanitaire.
En attendant que l’Europe se mette en ordre de marche autour de la santé connectée, un des vœux de Jacques Lucas a été exaucé. Le vice-président du CNOM, qui a piloté le livre blanc de l’institution, en appelait en effet à l’implication de la Haute Autorité de santé. L’organisation est maintenant chargée, par la DSSIS (Délégation à la stratégie des systèmes d’information en santé), de bâtir un cadre qui permettra de juger de la qualité et de la fiabilité des applications qui se révéleraient potentiellement utiles en santé, a confirmé son président, Jean-Luc Harousseau, lors des conférences des Salons Santé Autonomie.
Le premier algorithme scientifiquement validé pour l’automesure tensionnelle
Dans l’immédiat, à quoi vous fier si vos patients vous interrogent ou si vous êtes tout simplement curieux de l’intérêt de ces solutions ? Commencez par vérifier s’il s’agit d’un dispositif médical enregistré auprès de l’ANSM. Cela, surtout si vous/votre patient envisagez un suivi d’ordre médical. Les logiciels dits « compagnons » commencent à émerger en France, sur les traces du précurseur Diabeo, nom de marque du Voluntis Insulin Therapy Manager, application marquée CE depuis fin 2013 qui accompagne les patients traités par insuline.
Pour y voir plus clair parmi des centaines de solutions potentiellement utiles mais qui restent hors champ réglementaire, le portail de DMD Santé (4), mentionné plus haut, constitue aujourd’hui un incontournable. Vous verrez qu’il donne aussi la possibilité au visiteur/utilisateur de publier un commentaire qui complète la description et l’évaluation présentées en ligne ; DMD a récemment ajouté trois catégories d’objets connectés à son périmètre de tests : les pèse-personne, les glucomètres et les tensiomètres.
Pour tout ce qui concerne les tensiomètres, et, plus largement, la pratique de l’automesure, c’est le site développé par le Dr Nicolas Postel-Vinay depuis une quinzaine d’années (http://www.automesure.com) qui fait autorité. Le cardiologue – avec l’ensemble de l’unité d’hypertension artérielle de l’HEGP – s’est en outre distingué, il y a six mois, par la publication du premier algorithme d’interprétation des données d’automesure tensionnelle qui soit scientifiquement validé (Hy-Result, cf Le Généraliste du 27 février 2015).
Parmi les autres critères de confiance vis-à-vis de la m-santé, on peut bien sûr souligner le fait que la contribution d’un médecin, d’un professionnel de santé, voire d’une société savante à l’élaboration d’une application devrait constituer un gage supplémentaire de crédibilité. Sur le plan du contenu en tout cas.
Les blogueurs séduits
Vous pouvez aussi vous tourner vers les blogueurs, médecins ou non, qui sont de plus en plus nombreux à se montrer séduits par la santé connectée et à partager les résultats de leur veille, de leurs tests et de leurs observations. Quelques bonnes adresses à retenir : celle de Buzz-Médecin (http://comparatif-logiciels-medicaux.fr/materiel-medical-connecte) ou celle d’un médecin maître toile (http://www.medecingeek.com), sans oublier le Connected mag (lire encadré), qui reste cependant un support d’information générale et ne vous aidera pas à faire le tri.
Il n’empêche, comme le souligne le Dr Postel-Vinay (5), que seul un véritable travail d’évaluation scientifique « permettra d’accepter – ou de refuser – les propos vantant tel ou tel avantage d’un objet connecté ». Il déplore que « trop d’applications ressemblent à des boîtes noires », un déficit de connaissances qui doit d’autant plus être corrigé que « la santé connectée ambitionne d’avoir un impact direct sur les comportements et prises de décision des utilisateurs (patients et/ou professionnels) », nous rappelle-t-il.
(2) http://ansm.sante.fr/S-informer/Actualite/Logiciels-et-applications-mobiles-en-sante-information-des-
utilisateurs-Point-d-information
(3) http://www.conseil-national.medecin.fr/node/1558
(4) http://www.dmdpost.com
(5) En verbatim du livre blanc du CNOM.