L’étude, publiée en septembre dans The Lancet Regional Health-Europe, a permis d’objectiver ce que le Dr Jérémy Khouani constate sur le terrain. « En consultation, je vois tous les jours des patientes qui nous racontent avoir vécu des violences sexuelles dans leur pays, pendant leur trajet d’exil et en France », souligne le médecin généraliste, cogérant de la maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) Peyssonnel dans le 3e arrondissement de la cité phocéenne, à deux pas de l’Hôpital européen.
Cela fait plus de six ans qu’il exerce en parallèle à la permanence d’accès aux soins de santé (Pass) des Hôpitaux universitaires de Marseille (AP-HM). Depuis 2020, cette équipe mobile, au sein de laquelle il travaille à présent un jour par semaine, se déplace en camion à la structure de premier accueil des demandeurs d’asile (Spada) de Marseille et peut recevoir en consultation des personnes primo-arrivantes, délivrer des traitements et les suivre.
Financée à hauteur de 50 000 euros par le ministère de la Santé, cette étude a donné lieu à une convention inédite entre l’AP-HM et l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Celui-ci avait identifié près de 1 300 femmes demandeuses d’asile, récemment arrivées en France, en octobre 2021, au démarrage de l’étude. Parmi elles, 880 environ étaient injoignables. Parmi les femmes contactées, 273 ont donné leur accord pour témoigner.
Risque de viol 18 fois plus élevé
Les résultats montrent que plus d’un quart des femmes demandeuses d’asile incluses dans l’enquête (26,3 %) ont subi une violence sexuelle dans l’année après leur arrivée en France, dont 5 % ont été violées, soit un risque 18 fois plus élevé que la moyenne, la très grande majorité (15 sur 17) l’ayant été plusieurs fois. Les trois quarts d’entre elles avaient déjà subi des violences sexuelles avant leur entrée sur le territoire français : il s’agit de viols pour plus des deux tiers des femmes concernées (68,5 %).
« La violence sexuelle est banalisée. C’est à nous, soignants, de dire que ce n’est pas normal de subir des violences, souligne le Dr Khouani. Nous devons d’abord répondre concrètement à la demande de la personne : pourquoi elle vient. C’est la base du lien de confiance, explique le médecin généraliste. L’important, c’est d’ouvrir un espace de parole, de leur permettre d’en parler si elles en ont envie, maintenant, la prochaine fois ou encore dans six mois ».
Des mutilations génitales chez 40 %
Parmi les demandeuses d’asile incluses dans l’enquête, 40 % ont subi des mutilations génitales – 56 % des femmes originaires d’Afrique sont concernées. « Certaines sont mères de petites filles », insiste le Dr Khouani. D’après une autre étude, publiée par la même équipe en 2022, près d’un quart des femmes demandeuses d’asile, en âge de procréer, sont enceintes. Le risque de mutilation génitale féminine est un motif de protection dans le cadre de la demande d’asile, y compris pour les personnes ayant déjà subi ces violences.
À la suite de ce travail, la MSP Peyssonnel a mis en place un protocole afin d’améliorer la prise en charge des femmes demandeuses d’asile victimes de violences sexuelles en ville. Celui-ci s'adresse aussi bien aux médecins généralistes et aux structures de soins primaires, qu’aux travailleurs sociaux, psychologues et médiateurs en santé. « On a besoin de centres de référence hospitaliers et ambulatoires mais la porte d’entrée dans le système de santé ce sont les soins premiers, la ville et la proximité », renchérit le généraliste qui plaide également pour que les médecins libéraux aient tous l’accès à l’interprétariat.
Le fait qu’il y ait différents professionnels permet de multiplier les portes d’entrée
Dr Jérémy Khouani, généraliste à Marseille
Quatre médecins généralistes (cinq depuis janvier) exercent au sein de cette structure ainsi qu’une gynécologue médicale, un kinésithérapeute et une infirmière libérale. Depuis 2022, la MSP participe à une expérimentation dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale afin de promouvoir l’innovation en santé. Elle a pu ainsi recruter une médiatrice en santé, une psychologue, une assistante sociale et une infirmière de santé publique « parcours complexes », salariées à temps plein. « Le fait qu’il y ait différents professionnels permet de multiplier les portes d’entrée », souligne le Dr Khouani, insistant sur la nécessité de travailler en réseau.
Dans le cadre du protocole, en cours d’évaluation, il est systématiquement proposé aux patientes d’échanger avec un médiateur en santé, d’avoir un entretien social, de consulter la gynécologue ou la psychologue. « Chaque cas est systématiquement étudié en staff dans le cadre de réunion de concertation pluridisciplinaire », précise le Dr Khouani. L’équipe anticipe aussi « s’il y a une urgence médico-légale, s’il y a une violence sexuelle dans les moins de cinq jours ou s’il faut faire un signalement au procureur de la République pour une mise à l’abri en cas de conjoint violent par exemple », ajoute-t-il.
Par ailleurs, « c’est important d’impliquer les patientes, certaines portent elles-mêmes des actions au sein de groupes de parole ou d’ateliers d’éducation thérapeutique et à la santé, poursuit le Dr Khouani. Ces expériences de soins font évoluer les représentations et permettent de rompre avec la banalisation des violences sexuelles et l’isolement ».
Khouani J. et al., The Lancet Regional Health Europe, 2023. doi.org/10.1016/j.lanepe.2023.100731
À l’AP-HM, dans l’attente du procès d’un psychiatre accusé de viols
Le texte sur la fin de vie examiné à l'Assemblée à partir de fin janvier
Soumission chimique : l’Ordre des médecins réclame un meilleur remboursement des tests et des analyses de dépistage
Dans les coulisses d'un navire de l'ONG Mercy Ships