Politique de santé

Accès aux soins, délégations : la révolution de velours

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Publié le 12/01/2024
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Fin 2023, plusieurs textes de loi importants sur l’accès aux soins ont été examinés au Parlement, notamment ceux portés par les députés Stéphanie Rist (Renaissance), Frédéric Valletoux (Horizons) et Yannick Neuder (Les Républicains). Si le grand soir de la santé n’est pas à l’ordre du jour, plusieurs mesures vont modifier singulièrement la pratique des médecins.

L’Assemblée nationale a adopté plusieurs textes sur la santé en 2023

L’Assemblée nationale a adopté plusieurs textes sur la santé en 2023
Crédit photo : GARO/ PHANIE

Parler à un médecin d’adhésion obligatoire à une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) ou, pire, de coercition à l’installation, c’est prendre le risque de déclencher une crise d’urticaire fulgurante chez lui. Les parlementaires le savent bien et, s’ils ne s’empêchent jamais de défendre des textes de loi qui soutiennent des changements drastiques dans l’organisation du système de santé, ils œuvrent plus volontiers par petites touches, moins impressionnantes mais bien plus concrètes au quotidien.

Le député Horizons et vieille connaissance des médecins Frédéric Valletoux l’a bien compris : finalement, pas besoin de remettre en question la liberté d’installation pour encadrer davantage l’exercice des libéraux. Adoptée mi-décembre, sa proposition de loi acte que ceux qui déplaquent ou partent en retraite devront prévenir l’agence régionale de santé (ARS) et l’Ordre six mois avant toute cessation d’activité définitive. Un préavis valable également pour les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes, qui doit permettre d’anticiper une solution de remplacement. L’ancien patron de la Fédération hospitalière de France (FHF) limite, par ailleurs, à une fois tous les dix ans les aides financières et les exonérations fiscales à l’installation. Ciao les praticiens nomades !

La loi Valletoux limite à une fois tous les dix ans les aides financières et les exonérations fiscales à l’installation. Ciao les praticiens nomades !

 

À l’hôpital cette fois, autre réforme issue de la loi Valletoux qui changera les pratiques : la responsabilité « collective » des gardes pour tous les établissements de santé, privés comme publics. En cas de carence, le directeur général de l’ARS concernée réunira les acteurs et si le problème persiste, il pourra désigner les hôpitaux et cliniques chargés d’assurer la mission de PDS-ES. Un rééquilibrage qui pourrait mobiliser davantage les praticiens du privé, même si la rédaction du texte a été soigneusement calibrée pour ne pas braquer les spécialistes…

Et si sa collègue députée Renaissance Stéphanie Rist avait déjà plafonné l’intérim médical à l’hôpital au printemps 2023, la loi du député Horizons enfonce le clou en interdisant aux praticiens et aux paramédicaux d’entamer leur carrière professionnelle par cette pratique de remplacement. Ceci sans préciser toutefois la durée de cette mesure, renvoyée à une décision fixée ultérieurement par voie réglementaire. Habile.

Toujours par petites touches, cette même loi un peu « fourre tout » sur l’accès aux soins muscle les missions du conseil territorial de santé (CTS), organe local de démocratie sanitaire, et renforce le rôle du médecin coordonnateur en Ehpad.

Rapatrier les étudiants en santé à l’étranger

D’autres initiatives parlementaires modifient l’exercice de la médecine pour les plus jeunes. Le texte de loi porté par le député LR Yannick Neuder dans la niche prévue pour son groupe (et adopté en première lecture à l’Assemblée) prévoit de « rendre effectif » la suppression du numerus clausus, en rendant prioritaire le critère des « besoins de santé » du territoire, mesuré par les conseils territoriaux de santé (CTS). Et si les capacités de formation des universités sont insuffisantes, « il reviendra à l’État d’apporter les moyens ». Dans un autre registre, les quelque 5 000 jeunes partis étudier la médecine à l’étranger verront, eux, leur retour en France facilité par ce même texte du député LR et cardiologue, lequel entend réintégrer tous les étudiants « au niveau » avant le troisième cycle, après un examen… dont les conditions seront fixées par décret.

La loi Valletoux ouvre de son côté le contrat d’engagement de service public (CESP) dès la fin de la deuxième année d’études de médecine. Ce contrat consiste dans une allocation mensuelle de 1200 euros brut en contrepartie d’un engagement à exercer deux ans minimum sur un territoire. Enfin, le texte lance une expérimentation pour encourager les lycéens issus de déserts médicaux à entamer des études de santé. Une initiative qui ne portera ses fruits que d’ici une dizaine, voire une quinzaine d’années…

Plus de responsabilités pour les infirmiers

D’autres mesures prises par les parlementaires en 2023 donnent davantage de poids aux paramédicaux et, en creux, moins d’influence aux médecins. C’est le cas de la loi de la rhumatologue Stéphanie Rist, qui favorise l’accès direct aux infirmiers engagés dans la pratique avancée (IPA) en coordination avec les médecins et qui encadre leur primo-prescription.

Dans la même logique, la loi Valletoux vient de créer le statut d’infirmier référent pour les patients en ALD, permettant de reconnaître leur rôle dans le suivi du patient.

Le texte généralise l’expérimentation de la signature des certificats de décès par les infirmiers

 

Le même texte généralise l’expérimentation de la signature des certificats de décès par les infirmiers pour pallier les situations dramatiques des familles dénoncées par les élus locaux.

Enfin, avec des passerelles renforcées et une formation complémentaire accélérée, les infirmiers (mais aussi les kinés ou d’autres soignants) pourraient même devenir médecins, comme l’appelle de ses vœux le Dr Yannick Neuder.

Pas de panacée

Quitte à changer la donne aussi pour les médecins, les parlementaires ont parfois la volonté de bousculer le parcours de soins des patients, pour le pire comme pour le meilleur. La loi Valletoux a ainsi supprimé (la première année) la majoration du ticket modérateur pour les Français ayant perdu leur médecin traitant du fait de son départ à la retraite ou son déménagement.

Par ailleurs, le budget de la Sécurité sociale pour 2024 (PLFSS) a inscrit dans le marbre une mesure d’économies qui a déclenché l’ire du secteur du transport sanitaire. Désormais (et sous conditions), les patients qui refuseront, sans raison médicale valable, de partager un véhicule sanitaire léger ou un taxi conventionné avec un autre patient devront faire l'avance de frais… et ne seront remboursés que sur la base Sécu.

D’autres dispositions ont failli être retenues dans la loi Sécu, à l’instar de la « taxe lapins », plébiscitée par les médecins et votée par le Sénat, qui pénalisait les patients indélicats n'honorant pas leurs consultations programmées. Retoquée par l’Assemblée, cette mesure a été renvoyée par l’ancien ministre de la Santé Aurélien Rousseau aux négociations conventionnelles. Comme se tuent à le répéter parlementaires et élus, en termes de santé, il n’y a pas de panacée. Mais cela ne les empêche pas de faire bouger les lignes.


Source : lequotidiendumedecin.fr