Crise à l'hôpital/réaction au discours du président Macron

Anne Wernet (SNPHARE) : « Nous allons de crise en crise et de rustine en rustine »

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Publié le 12/01/2023
Dr Anne Geffroy-Wernet : Administrateur du SNPHARE, secrétaire générale de l'union syndicale Avenir Hospitalier, membre d'APH.

Dr Anne Geffroy-Wernet : Administrateur du SNPHARE, secrétaire générale de l'union syndicale Avenir Hospitalier, membre d'APH.
Crédit photo : DR

Décision Santé. Quelle est votre réaction suite au discours du président Macron le 6 janvier dernier ?

Anne Wernet. Je suis assez déçue. De manière globale, les propos du président sont restés extrêmement vagues. Il y a eu un bon teasing avant, qui a suscité des attentes. Je suis restée sur ma faim en ce concerne les praticiens hospitaliers. Je reste inquiète quant à la structuration du système de santé. J'attendais qu'on nous dise clairement : « Le système de santé est complètement défaillant. Il nous faut tout restructurer, repartir d'une page blanche. » Mais là on ne sait plus qui fait quoi, que ce soient le médecin, l'infirmière, etc. Aucune orientation n'est donnée sur les attributions de chaque secteur, libéral, clinique, hôpital. Les libéraux doivent-ils faire de la permanence des soins ou pas ? Le président aurait pu aller beaucoup plus loin dans le Ségur de la santé et relancer des négociations, tandis que nous n'avons eu aucune concertation depuis mars dernier. Pire, nous avons eu la crise de l'été aux urgences, celle de l'automne en pédiatrie, la triple épidémie en hiver. Bref, nous allons de crise en crise et de rustine en rustine. Au contraire, il faudrait partir des besoins de la population et proposer une offre de santé qui lui correspond.

Quid de la fin de la T2A et de l'instauration du tandem médico-administratif ?

A. W. Ce dernier existe déjà avec la réforme de la gouvernance. Suite à des décrets parus en 2022, le président de la CME a beaucoup plus de prérogatives dans la gouvernance de l'établissement et dans son aspect médical. De plus, d'une part ce n'est pas une codirection proposée, d'autre part quel médecin ferait partie de ce binôme ? Car en devenant chef de pôle ou de CME, on bascule forcément dans la gouvernance et on risque donc de prendre les travers de la direction, plus que de représenter ses pairs. Ces codirecteurs médicaux médecins devront-ils suivre l'École de Rennes et devenir des vrais administratifs ?

Quant à la T2A, elle est certes inflationniste. Et empêche de réfléchir à la pertinence des soins. Chiffre donné depuis quelques années, 30 % des actes de soins ne sont pas pertinents (examens complémentaires, biologiques, radiologiques ou même certains actes chirurgicaux). Pour autant, pour quelle alternative ? Le budget global ne marchait pas. Quant à la Rosp pratiquée dans le libéral, s'il s'agit de s'occuper de patients diabétiques, on le pratique déjà. Mais ce travail comme le parcours de soins restent à analyser. Quant aux 35 heures évoquées par le président, il ne concerne que les professions non médicales, et on ne comprend pas ce qu'il y a derrière. C'est un sujet important auquel on peut réfléchir, mais qui peut donner lieu à des dérives.

Le président a abordé l'attractivité des carrières...

Là encore ce n'est pas clair. Tous les PH nommés avant 2020 ont perdu quatre ans d'ancienneté par rapport aux arrivants. Est-ce que nous allons devoir travailler jusqu'à 70 ans pour pouvoir profiter du dernier échelon ? Ces chantiers de la permanence des soins, de l'attractivité, nous demandons à ce qu’ils soient ouverts depuis longtemps, nous avons des propositions concrètes et efficaces.

Pourtant, le président a fixé quelques échéances au 1er mars ou au 1er juin...

A. W. C'est paradoxal. J'aurais préféré entendre un délai à dix ans avec des dates intermédiaires. En fait, pourquoi les hospitaliers fuient l’hôpital[WA1]  ? Ils n'ont plus d'espoir. En témoignent les infirmiers qui arrêtent leurs études. Pour leur redonner envie, il faut leur apporter une vision à long terme. Il faut trouver des incitations pour faire en sorte que les hospitaliers qui ne font que de l'intérim reviennent dans des postes fixes. Nos politiques n'osent pas parier sur des résultats. Concernant les assistants médicaux, s'il y en a 10 000, cela ne sert que 1 médecin généraliste sur 6 (ils sont 60 000 à exercer en cabinet)[WA2] . Et si on met ces assistants médicaux dans les hôpitaux, en fait ce sont les anciennes secrétaires qu'on a délocalisées dans les pays étrangers. Les secrétaires médicales faisaient l'accueil des patients, les factures, l'explication, le parcours de soins. Bref on est en train de réinventer un métier qu'on est en train de faire disparaître.

La rémunération du travail de nuit et la permanence des soins ?

A. W. Depuis que les gardes sont rémunérées à part, il n'y a pas eu beaucoup d'augmentations, soit un passage de 250 à 280 euros la nuit de garde. Depuis le Covid, il y a eu des revalorisations du temps de travail additionnel pour les praticiens et de certaines gardes pour les hospitalo-universitaires. Depuis la mission flash de François Braun juste avant sa nomination comme ministre, il y a eu la proposition d'augmenter de 1,5 à deux fois l'indemnité de sujétion. Mais ces augmentations ne sont jamais gravées dans le marbre. Nous avons réalisé une enquête auprès de nos professionnels au moment de la mission flash "Nuit blanche". On leur a demandé à combien ils estimaient leur travail dans le cadre de la permanence des soins. Résultat, l'auto-estimation des sondés est de 600 euros net la garde. Ce qui est bien inférieur à ce que ce qu'on ferait dans un établissement libéral. Quant à l'astreinte, au lieu d'avoir un plafond à 190 euros, ils sollicitent un rehaussement de ce dernier à 400 euros la nuit. Enfin, pour la rémunération totale, ils souhaiteraient un montant 1,5 plus important que celle qui se trouve sur la grille actuelle des rémunérations. C'était intéressant car nous avions séparé par classe d'âge. Et du coup les salaires montaient avec l'âge et reproduisaient une grille d’échelons. Bref, concernant la permanence des soins, on va inscrire dans le marbre ce qui se répète de saut de puce en saut de puce. Ce qui risque de creuser encore plus les inégalités, à savoir : les PH sont payés à un tarif, les HU le double, et les praticiens associés beaucoup moins.


Source : lequotidiendumedecin.fr