Aurélien Rousseau, ministre de la Santé : « Le C à 50 euros, ça n’aurait pas de sens ! »

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Publié le 17/10/2023

Crédit photo : GILLES ROLLE / PHANIE

Alors qu'il vient enfin d'adresser sa lettre de cadrage « courte et ciblée » pour relancer les négociations conventionnelles, Aurélien Rousseau détaille ses intentions dans un entretien exclusif au Quotidien. Soucieux de « regarder en face » et « sans déni » les raisons de la mobilisation des médecins, il précise que la question du C à 30 euros est « centrale » mais exclut un tarif à 50 euros qui « n'aurait pas de sens ».

Il insiste sur le rôle du médecin traitant, la réduction des inégalités entre spécialités, la simplification des forfaits, l'évolution du mode de rémunération mais attend des résultats sur « la pertinence des actes et des prescriptions ». Il met en garde les partenaires après l'échec du précédent round : « Nous ne pouvons pas collectivement nous en permettre un second. »

LE QUOTIDIEN : Votre lettre de cadrage, qui relance les négociations conventionnelles, intervient quelques jours après le début d’un mouvement de grève unitaire inédit des médecins libéraux. Est-ce une manière de désamorcer un conflit qui pourrait s’installer dans la durée ?

AURÉLIEN ROUSSEAU : Face à un appel à la grève qui émane d’autant de syndicats, on ne peut évidemment tourner la tête. Il faut regarder en face les raisons qui conduisent les médecins à se mobiliser. Ces dernières sont connues et dépassent la seule question de la revalorisation tarifaire ! Ce mouvement du 13 octobre avait été annoncé depuis longtemps et je n’allais pas essayer de le dégonfler en envoyant la lettre de cadrage juste avant cette date.

Je l’ai dit très clairement dès mon arrivée au ministère, je souhaite relancer la dynamique conventionnelle. J’espère que cette lettre, courte et ciblée, montrera aux médecins qu’il n’y a aucune forme de déni de la part du ministère sur leurs revendications. En même temps, c’est aussi une lettre de responsabilité qui s’inscrit dans un contexte plus global, celui du PLFSS et de la dynamique des dépenses de l’Assurance-maladie.

Avez-vous, via les retours des ARS, des préfectures et des caisses primaires, une idée du nombre de médecins grévistes ?

Il y a quelques endroits très précis où nous avons dû procéder à des réquisitions pour la permanence des soins, comme en Mayenne. Il n’y a pas eu d’endroits où les patients se sont retrouvés massivement sans solution et se sont reportés sur les urgences. Mais nous n’avons pas de chiffre global. Le seul outil à notre disposition sera le nombre de cotations des actes, dont nous prendrons connaissance via le système d’information de l’Assurance-maladie.

De la même manière, même si cela ne se superpose pas forcément, nous n’avons pas relevé d’abus au niveau national sur la surcotation à 30 euros ou le déconventionnement. Mais je dis cela avec beaucoup de prudence, parce que c’est parfois dans le moyen terme que l’on est à même de mesurer l’impact de ce type de mouvement.

Quelques mois après l’échec des négociations, comment abordez-vous la reprise des discussions dans ce contexte de grève, mais aussi de fronde tarifaire et d’intentions de déconventionnement. Un nouvel échec pourrait-il remettre en cause notre système conventionnel ?

L'enjeu est important pour le gouvernement comme pour les syndicats de médecins. Nous sortons d’un échec et je considère que nous ne pouvons pas collectivement nous en permettre un second. Il ne faut pas se tromper sur ce qui se passerait si nous n’avions pas ce système conventionnel.

Il faut regarder les positions très divisées du Parlement sur la question de l’obligation d’installation des médecins. Le cadre conventionnel est toujours plus pertinent. Les professionnels sont là, avec leur interlocuteur du quotidien, l’Assurance-maladie, car nous sommes dans un système assurantiel. Même s’il est en déficit de huit milliards cette année, notre système est un joyau ! La question est de savoir dans quelle mesure cette convention fera naître un nouveau modèle, dans un contexte où notre soutenabilité financière est fragile.

Vous avez voulu une lettre de cadrage courte alors que les attentes concernent de nombreux sujets. Thomas Fatôme a évoqué le fait de ne pas pouvoir tout aborder dans ces discussions. Cela sous-entend-il que certains dossiers ne seront pas traités ?

Penser que la convention médicale, en quelques mois de négociations, va tout résoudre, ne me semble pas crédible, ni même pertinent. Néanmoins, c’est une vraie convention et pas un simple avenant. Nous aurons des mesures tarifaires. Il faut qu’elles soient ambitieuses et pertinentes, tant sur la rémunération que sur le parcours du soin et la prise en charge des patients.

Quel sera le calendrier de ces négociations ? Et prévoyez-vous que certaines mesures de revalorisation puissent s’appliquer sans l’application du délai requis de six mois ?

Je souhaite que les discussions commencent sans délai. Il faut qu’au moment de la mise en œuvre du règlement arbitral avec les 26,50 euros, il n’y ait pas d’ambiguïté sur le fait que la négociation conventionnelle est relancée. À ce stade, beaucoup de responsables syndicaux disent vouloir aller vite, mais quand on regarde les documents de la précédente négociation, il ne s’agit pas juste d’une page pour acter les 30 euros !

Nous sommes à un moment de transformation profonde de la médecine de ville, pour lequel nous devons prendre le temps nécessaire. La question des délais et des modalités de mise en œuvre de certaines mesures relève du champ législatif. Tout se discutera. Le délai de six mois [des stabilisateurs automatiques] est un élément de la discussion, ça n’est pas un préalable.

Concrètement, abandonnez-vous la pomme de discorde du contrat d’engagement territorial dans votre cadrage ?

Selon moi, la dynamique d’engagement territorial est déjà en marche ! 80 % de la population est aujourd’hui couverte par une CPTS, cela veut dire que les médecins se sont investis dans une démarche où cette dimension territoriale est bien réelle. Mais ce n’est pas le seul aspect, le mot « pertinence » figure en bonne place dans ma lettre, tout comme la question de la refonte. Nous verrons jusqu’où nous pourrons aller dans le cadre des négociations. Je constate aussi qu'un certain nombre de forfaits s’accumulent et comportent de nombreuses couches. Il faudrait sans doute voir si on peut les structurer différemment.

Justement, les forfaits représentent environ 15 % de la rémunération des généralistes, voulez-vous augmenter cette part ?

Dans le PLFSS, nous avons une réforme en cours de la tarification des hôpitaux, avec la partie T2A et deux autres briques : la santé publique et les missions spécifiques qui vont nécessiter des dotations. Je voudrais reproduire ce schéma dans la structure de la rémunération des médecins libéraux, qui contiendrait évidemment de l’acte mais aussi une responsabilité populationnelle et patientèle. Si nous avançons sur cette approche plus globale qui reposerait sur la répartition de la prise en charge entre professionnels de santé, nous devons mettre également en place une rémunération, elle aussi globale, pour prendre en compte les coûts de coordination par exemple. 

Vous avez dit plusieurs fois que le C à 26,50 euros n’était qu’une étape. Y a-t-il un engagement sur le C à 30 euros comme tarif de référence, et si oui pour quand ?

Je le dis explicitement, la question du tarif et du C à 30 euros, demandé par certains syndicats, est aujourd'hui centrale. Je mets de côté ceux qui souhaitent porter le tarif à 50 euros, ça n’aurait pas de sens : aujourd’hui, l’Assurance-maladie est en déficit de plus de 8 milliards d’euros, elle l’était de 22 milliards l’an dernier, le C à 50 euros épuiserait toutes les ressources de l’Assurance-maladie. Nous sommes dans une négociation. Le C à 30 euros représenterait un investissement fort pour la nation. Mais je ne rentre pas dans cette négociation en disant qu’on acte « le C à 30 euros, et ensuite les partenaires conventionnels discutent ». Il est certain que le 26,50 est une étape, c’est le règlement arbitral, c’est provisoire.

Quelles seront les contreparties demandées aux médecins ?

Pour moi, nous devons entamer un travail crédible, réel et pragmatique sur la pertinence des actes et des prescriptions. C’est une convention de responsabilité où l’on va se dire les choses et mettre les chiffres sur la table. Notre système de santé est le plus socialisé du monde : 82 % des dépenses sont prises en charge par l’Assurance-maladie obligatoire et 12 % par les complémentaires santé. On a aussi, et ce n’est pas un secteur versus l’autre, des moyens très importants pour l’hôpital. Régler le problème des urgences ou renforcer le lien entre la ville et l’hôpital, c’est aussi faire baisser un peu la pression sur la médecine libérale.

Quant à la solution avancée par certains, qui consiste à dire qu'on doit faire payer davantage les complémentaires, je leur réponds qu'il faut d’abord savoir quelles seront les conséquences pour les patients, quand ces dernières annoncent déjà des augmentations de 8 % de leurs cotisations. La variable d’ajustement des revenus des professionnels de santé ne doit pas se faire au détriment des assurés. 

Sur les revenus, souhaitez-vous que cette convention réduise les inégalités de rémunérations entre les spécialités ? Et faut-il insister davantage sur le forfait médecin traitant ? 

Bien sûr, la réduction des inégalités entre spécialités, notamment la psychiatrie et la pédiatrie, fait partie des sujets sur lesquels nous devons avancer. De plus, la lettre de cadrage remet au centre des débats l’idée du médecin traitant, et donc du forfait qui y est associé. La Cnam est engagée pour trouver un médecin traitant, notamment pour les malades en ALD.

Justement, avez-vous des résultats de la campagne d'aller-vers les patients en ALD sans médecin traitant ?

À ce jour, tous les patients en ALD ont été contactés par la Cnam. Nous sommes aux alentours de 80 000 patients qui ont trouvé un médecin traitant. En ce moment, l’Assurance-maladie cible une cohorte très importante, les gens qui sont en ALD et qui ont vu deux fois le même médecin l’an dernier. On propose à ce médecin de devenir leur médecin traitant. Mais c’est une course contre la montre, notamment en raison des départs à la retraite.

Les syndicats ont réclamé un changement de méthode de la part de la Cnam pour reprendre les discussions. Les soutenez-vous ?

J’observe que le changement de méthode a déjà eu lieu pour toutes les parties. Quand des syndicats de médecins rendent publiques les négociations, cela change évidemment la nature même des échanges. J’ai entendu les demandes d’avoir les documents de travail plus tôt pour pouvoir les étudier sereinement et faire des propositions. L’Assurance-maladie a beaucoup travaillé sur le retour d’expérience de la précédente négociation. Son échec ne signifie pas pour autant que tout était à jeter.

La PPL Valletoux, source de conflit, arrive au Sénat fin octobre avec de possibles initiatives parlementaires sur les gardes ou la liberté d’installation. Faut-il séparer ces initiatives des discussions conventionnelles ?

La position du gouvernement sur la liberté d’installation est connue et a été défendue. Je suis en lien extrêmement suivi avec Frédéric Valletoux, y compris sur la PDS en établissement. Et je n’ai pas mis dans le PLFSS une proposition sur les équipes de soins spécialisés, considérant que cela relève de la convention.

Il y aura une totale transparence sur l’avancée des différents sujets. Paradoxalement, l’article qui avait fait le plus réagir – celui sur l'adhésion automatique aux CPTS – est aujourd’hui mieux compris. Je fais le parallèle avec les listes électorales, on est inscrit d’office mais on n’est pas obligé de voter.

Les internes ont déposé un recours pour reporter l’entrée en vigueur de la 4e année de DES de médecine générale. Pourrait-elle être repoussée ?

Non, nous ne repousserons pas cette réforme. J’ai demandé aux responsables de la mission qui avait accompagné cette 4e année d'internat de retravailler sur certains sujets, notamment sur la pédiatrie, de savoir aussi s’il faut adapter les maquettes à des typographies régionales. Nous avançons. Une partie des décrets d'application doit sortir tandis qu’une autre dépendra des retours de cette mission que j’attends pour la fin de l’année. Nous devons aussi réaliser des sondages sur la question du droit au remords et du changement de spécialité, pour évaluer l'ampleur de ce phénomène.

Propos recueillis par François Petty et Aurélie Dureuil

Source : Le Quotidien du médecin