Dr Stéphane Pinard, président d'UG : « Arrêtons avec les propositions descendantes »

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Publié le 18/12/2020

Élu début octobre à la tête de la branche généraliste de la Fédération des médecins de France (FMF), le Dr Stéphane Pinard, omnipraticien à Belle-Île-en-mer (Morbihan), a pris part à ses premières négociations conventionnelles. Une expérience décevante, qui pousse le président d'Union généraliste à tirer la sonnette d'alarme. À quatre mois des élections professionnelles, le Dr Pinard appelle les autorités à moins se précipiter et à écouter davantage le terrain.

Crédit photo : DR

Vous avez pris la tête d'Union généraliste il y a deux mois et semblez déjà bien agacé, qu’est-ce qui ne va pas ?

Dr Stéphane Pinard : Tout est fait dans la précipitation. Quand les autorités nous sollicitent sur un sujet, elles attendent une réponse pour le lendemain. Tout va à la vitesse d’internet… Personne ne veut se poser dans ce pays, discuter, réfléchir, échanger ? On l’a encore vu avec la proposition de loi proposant de créer une profession intermédiaire de santé (la disposition a été abandonnée, N.D.L.R.) en s'affranchissant de discuter avec l'Ordre, les médecins, les infirmiers. On ne prend plus le temps de rien, à tous les niveaux.

Personnellement, quand je suis arrivé à Belle-Île-en-Mer en 2012 (pour la mise en place d'un pôle de santé ayant permis d'enrayer la désertification médicale sur l'île, qui a valu au Dr Pinard de remporter deux Grand Prix du Généraliste, N.D.L.R.) nous nous sommes assis autour d'une table et avons échangé avec l’ARS, la CPAM, le CDOM, les ambulanciers, les kinés, les infirmiers, les médecins… Puis, à la fin des échanges on nous a dit : « Écrivez-nous un projet de santé et on verra comment le financer ».

Je rêve qu'on prenne deux jours pour se pencher sur un vrai plan de restructuration du système de santé en France. Autour de la table il y aurait l'Assurance maladie, le ministère, les syndicats, les ARS. On partagerait chacun nos points de vue et on essaierait de monter quelque chose qui ait de la gueule. 

Les négociations conventionnelles sont un moyen de faire remonter vos idées, vous n'êtes pas satisfait de la façon dont elles se déroulent ?

Dr S.P. : Ce ne sont pas vraiment des négociations. Avant d’écrire le canevas de l’avenant, il faudrait déjà demander aux différents syndicats de faire des propositions. Prenons l'exemple des soins non programmés : sur le terrain nous avons plein de bonnes idées pour les organiser. Or, pendant ces négos, nous découvrons les propositions pré-écrites de la caisse sur un PowerPoint. Et nous passons les deux heures de réunion à dire ce qui ne nous va pas. C'est contre-productif ! Il faudrait lister les ingrédients et tenter de faire une recette avec, plutôt que de revoir l'assaisonnement une fois que le plat est déjà préparé. Ce que l'Assurance maladie propose ne correspond pas à ce que les médecins veulent voir être mis en place pour faciliter leur pratique. Arrêtons avec les propositions descendantes de la Cnam vers les médecins. 

Quelle serait la bonne recette pour améliorer l'accès aux soins non programmés (SNP) selon vous ?

Dr S.P. : Le système doit être simple, avec une astreinte de 150 euros pour le médecin qui libère une demi-journée de son planning et 15 euros de majoration par acte. Il faut également prévoir une compensation si le médecin ne reçoit personne sur la plage horaire libérée. Et c'est parti ! Et puis il ne faudrait pas de plafond d'activité de soins non programmés. À Belle-Île, c'est l'essentiel de mon activité car c'est une zone touristique. Je n'ai qu'une petite patientèle médecin traitant, ce qui fait que je touche peu d'argent au titre de la Rosp (rémunération sur objectifs de santé publique). Cet avenant devrait donc être fait pour moi, qui suis un « professionnel » des SNP. Si nous en sommes à considérer que dès qu’il y a un avenant les médecins vont tricher pour gagner un peu plus d'argent, nous ne sommes pas près d'y arriver !  

Quelles sont les urgences du moment selon vous ?

Dr S.P. : Il faut redonner l’envie aux généralistes et aux spécialistes de s’installer en libéral. Ici, il faut six mois pour obtenir un rendez-vous chez un ORL, quatre mois pour un IRM, un an pour une consultation douleur… Avec ces délais, je suis obligé de passer des coups de fil pour trouver des rendez-vous plus tôt pour mes patients, en plus de les examiner, dépister, soigner… Au secours ! Ça ne peut plus durer. 

La deuxième priorité est de désengorger les urgences. C'est la suite logique de la première. Si l'un de mes patients a un nodule dans la gorge et qu'il crache du sang, je peux lui proposer deux solutions : attendre plusieurs mois pour un rendez-vous chez l'ORL ou se rendre immédiatement aux urgences. Les pouvoirs publics imaginent qu'ils vont parvenir à régler le problème en créant le Service d'accès aux soins (SAS). C'est peut être une bonne idée, mais ça ne fonctionnera que s'il y a suffisamment de médecins de ville.

Comment faire pour relancer l'installation des médecins en libéral ?

Dr S.P. : Il faut revaloriser l’acte médical et simplifier notre exercice, en diminuant considérablement nos tâches administratives. Il faut également mieux nous protéger. Si ce n'est pas le cas, les médecins vont continuer à préférer le salariat. Or, un salarié travaille 35 heures, un libéral 70. Plus les médecins privilégieront l'exercice libéral, plus l’offre de soins sera conséquente ! Les mots-clés sont : valoriser, simplifier, protéger. Le problème est qu'aujourd'hui l'Assurance maladie ne fait que complexifier, complexifier… (il répète plusieurs fois le mot)

Prenons la Rosp : au lieu d'avoir une trentaine d'indicateurs pour l'adulte, et dix pour l'enfant, dont certains sont inadaptés, on pourrait mettre en place un système avec cinq indicateurs ayant un vrai impact sur la pratique qui changeraient tous les quatre ans. À l’époque, on sentait que le CAPI (contrat d'amélioration des pratiques individuelles) visait à améliorer notre pratique ! On doit aussi simplifier la nomenclature : 20 cotations suffiraient. Il y a une multitude de cotations pour les sutures alors qu'il ne pourrait y en avoir qu'une ! J'en fais régulièrement à mon cabinet, cela me prend quasiment le même temps et représente le même coût au niveau du matériel, quelles que soient la taille et la gravité de la plaie.

Malgré tout, y a-t-il des sources d’espoir ?

Dr S.P. : Si on continue comme ça, je suis très pessimiste pour les 5-10 ans à venir. Si nous ne voulons pas aller dans le mur - on y est peut-être même déjà -, il faut vite changer de voilure afin d'améliorer le système. Il faut un électrochoc. 


Source : lequotidiendumedecin.fr