Crise à l'hôpital/réaction au discours du président Macron

Emmanuel Cixous* : « Les gouvernements successifs n'ont pas été honnêtes à redonner des moyens réfléchis dans la santé »

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Publié le 12/01/2023

Crédit photo : DR

Décision Santé. Quelle est votre réaction suite au discours d'Emmanuel Macron ?

Emmanuel Cixous. Son discours long et pas très précis ressemble à une discussion au comptoir d'un café. Je suppose que François Braun a écrit un texte qui a été ensuite reformé par le président. Par exemple il a utilisé le terme de "diagnostic", un terme très "braunien". Mais pour autant je ne suis pas certain que cet état des lieux soit vraiment bien fait. L'exécutif sous-estime la gravité de la maladie. Quant aux quatre axes cités, c'était assez flou. Le président n'a jamais prononcé non plus le mot "ratio" (de soignants par rapport au nombre de patients). C'est une revendication ancienne de notre part. Le fait de ne pas l'instaurer dévalorise le travail à l'hôpital en particulier pour les paramédicaux. Les médecins souhaitent que leurs collaborateurs travaillent dans de bonnes conditions. Si les infirmières de mon service courent partout, cela ne me satisfait pas. D'ailleurs la charge de travail des paramédicaux a été un des motifs de départ de certains collègues pédiatres. Actions Praticiens Hôpital a aussi fait mention du ratio dans leur dernier communiqué de presse. L'exécutif ne souhaite pas faire cette mention car il prétend craindre que l'on ne prenne pas de patients supplémentaires privant des patients de soins. Notre objectif est que l'on ait plus de personnels pour mener à bien notre tâche dans de bonnes conditions de travail. Concernant le tandem médecin/administratif, il faut rester vigilant. Nous avons eu des collusions entre deux personnes dans des directions d'établissement (directeur/président de CME). Le vrai pouvoir doit être confié à une assemblée, à savoir la commission médicale d'établissement. Certaines tâches administratives sont des tâches ingrates et les médecins doivent en avoir moins. Mais pas celles-ci et les médecins doivent rester décisionnaires, pas les directeurs seuls. La tentation est grande de la part de ces derniers de raisonner en termes économiques et pas scientifiques et humains pour la prise en charge des patients.

D.S. Qu'est-ce qui vous a choqué dans ses propos ?

Emmanuel Cixous. Sa remarque sur les 35 heures. Il parle d'hyperrigidité et de la génération d'heures supplémentaires. Mais la raison est simplement qu'on n'a pas embauché assez. Quand on diminue le temps de travail, il faut recruter. Le problème est qu'au début de la mise en place des 35 heures, on a réduit le temps des transmissions en embauchant insuffisamment. Or, alors que cette durée de travail est déjà assez conséquente, la tendance va plutôt vers une diminution pour travailler dans de meilleures conditions. Pourtant, auparavant il était possible de recruter. Mais maintenant c'est devenu impossible. Le métier d'infirmière qui était auparavant valorisé ne l'est plus du tout. Ce qui est choquant aussi, c'est que notre président qui a déjà fait un mandat a l'air de découvrir la situation alors que la grogne remonte à bien des années. En fait, nous avons affaire à un système libéral qui essaie de concurrencer le privé. La dotation globale était grossière et ne permettait pas de donner des financements adaptés. La T2A aurait dû corriger cela mais c’est elle qui a sélectionné plutôt les activités concurrentielles avec le privé.

Par quoi sera-t-elle remplacée ? Pour en sortir, cela va être compliqué. Il faudra effectivement tenir compte des besoins de la population mais de façon juste et la tâche sera ardue. Dans le fonctionnement T2A, les activités programmées permettent à l'hôpital de gagner de l'argent au détriment des activités urgentes peu valorisées. Mais ces activités programmées permettent de donner des patients « intéressants » aux médecins de ces spécialités à forte T2A. S'ils ne s'occupent que de patients polypathologiques, ils en ont marre et vont dans le privé. C'est donc aussi un intérêt intellectuel. Autre désapprobation, le président stigmatise certains établissements privés et médecins généralistes. Il est possible que certains ne jouent pas le jeu . Mais c'est contre-productif d'agir de la sorte. La solution de la délégation de tâches est compliquée à mettre en place. Les médecins s'en méfient car les soignants paramédicaux ne doivent pas se substituer aux médecins. Car on reporte les soins sur des soignants moins chers mais qui n’ont pas forcément une démographie florissante non plus. Ces derniers doivent toujours rester sous supervision médicale.

Comment redonner de l'attractivité ?

E. C. Si l'on veut bien faire, nous aurons à dépenser beaucoup d'argent car nous avons au moins 150 milliards de retard sur l'Ondam. Il faut l'accepter, la santé est un gouffre financier si on veut l’exercer correctement. Et il ne faut pas partir dans la mauvaise direction car cela sera encore plus difficile à rattraper. La société a évolué. Auparavant elle était plus résiliente. Mais l'ambiance était sans doute moins pesante que maintenant. Pourquoi ? Car les gouvernements successifs n'ont pas été honnêtes à redonner des moyens réfléchis dans la santé. Ils ont compté sur la résilience des soignants, mais le Covid a tout accéléré. Avant la crise, il y a eu des grands mouvements de grève hospitaliers. Nous avions tiré sur la sonnette d'alarme lors de l'arrivée de l'épidémie de bronchiolite, soulignant qu'elle était pire que les années précédentes. Mais là aussi nous n'avons pas été entendus.

* président du Syndicat national des pédiatres en établissements hospitaliers (SNPEH).


Source : lequotidiendumedecin.fr