Environ 800 médecins scolaires pour 12 millions d’élèves, des besoins croissants et des missions qui s’étoffent : la profession espère beaucoup de sa nouvelle ministre de tutelle à l’Éducation nationale, Anne Genetet, elle-même médecin. En cette rentrée, « Le Quotidien » a rencontré la Dr Mechtilde Dippe, médecin scolaire à Nogent-le-Rotrou, épanouie mais critique…
Elle l’admet sans réserve. « La médecine scolaire, au départ, je n’en avais pas forcément une très bonne image », sourit la Dr Mechtilde Dippe, qui est cependant, à 47 ans, médecin de l’Éducation nationale depuis… une douzaine d’années.
Un retournement que la principale intéressée n’avait pas vu venir. Dès l’obtention de son diplôme de médecine générale, en 2005, à la fac de Tours, son intérêt est tout entier tourné vers l’aventure libérale et ses modalités d’exercice, en cabinet de groupe ou isolé. Avec une prédilection affichée pour le milieu semi-rural. « En cinq ans, je me suis bien promenée pendant mes remplacements », confie-t-elle. Jusqu’à son expérience dans la Sarthe, où elle assure l’intérim régulier de deux généralistes exerçant chacun en solo. « Je n’en pouvais plus, je voulais retrouver une équipe », se souvient la Dr Dippe. C’est le hasard qui débloquera la situation.
Un concours réussi haut la main
Au détour d’une rencontre avec une médecin cheffe de service de médecine scolaire à Chartres, elle accepte de prendre, en sus de ses remplacements libéraux, une vacation sur un poste à temps partiel à Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir). Suivi des enfants depuis les classes de primaire jusqu’au collège et au lycée, rencontres régulières avec les infirmiers, les psychologues et l’équipe éducative : la Dr Dippe s’aperçoit qu’elle a trouvé sa voie dans la santé scolaire.
À tel point qu’elle décide, en 2012, de passer le concours pour rejoindre le corps des médecins de l’Éducation nationale. Une épreuve qu’elle réussira haut la main après avoir potassé le mémento sur les missions – et leurs limites – des médecins scolaires. Veille sanitaire des maladies contagieuses à déclaration obligatoire, adaptation scolaire pour les enfants souffrant de troubles chroniques de la santé, suivi des troubles du neurodéveloppement, prévention et repérage précoce… « En réalité, ce n’est pas si compliqué. L’oral d’une heure que l’on passe à Paris, devant un jury, valide davantage notre maîtrise des arcanes administratifs que nos compétences médicales, déjà confirmées par notre diplôme de médecine et le fait que la plupart des candidats ont déjà exercé depuis un certain temps », détaille la Dr Dippe. Le concours a lieu chaque année aux alentours de mars, les résultats tombent un mois plus tard. Les lauréats commencent leur nouvelle carrière avec le statut de médecin stagiaire.
Pas de gardes mais des réunions de préparation de rentrée
Pour la nouvelle recrue, ce sera dans le Perche, où elle habite, avec, côté face, la durée socle (applicable dans la fonction publique) de 1 607 heures annuelles. « Je débute ma journée à 8 h 30 et je termine généralement entre 17 h 30 et 18 heures », révèle la quadragénaire, qui effectue un temps plein tous les jours.
Si les réunions entre équipes éducatives se font le plus souvent à l’heure du déjeuner ou le soir, la journée du mercredi est plus spécifiquement dévolue à des activités de formation, parfois en télétravail, ou à des consultations avec les élèves et leurs parents. En tant que médecin de l’Éducation nationale, la Dr Dippe n’est pas tenue de faire des astreintes ou des gardes. Mais elle doit participer aux réunions de préparation de rentrée, ce qui représente deux semaines de présence prises sur les congés scolaires, dont une semaine pendant les vacances d’été. Elle a aussi l’obligation de rédiger un rapport annuel d’activité chaque début juillet.
Deux médecins scolaires pour un département
Mais côté pile, en prenant ses fonctions, la généraliste de formation découvre la pénurie chronique que subit cette profession dont les effectifs ont diminué de 20 % en dix ans (lire aussi page 12). Elles ne sont que deux médecins scolaires pour couvrir l’ensemble des établissements du département d’Eure-et-Loir… soit 40 000 élèves pour chacune ! Les deux généralistes, qui s’appuient sur le réseau des 50 infirmières scolaires, elles-mêmes aidées par les assistantes sociales et les psychologues, ont donc décidé de diviser le département en deux, chacune en couvrant une moitié.
« C’était ce qu’il y avait de plus simple, on fait avec les moyens du bord », confie la Dr Dippe, qui ne s’estime pas si mal lotie aujourd’hui puisqu’elle dispose d’un vrai bureau, avec une secrétaire. Un « confort de travail » pour compléter les dossiers médicaux des élèves et assurer leurs bilans de santé. « Alors que je connais des confrères, dans d’autres départements, qui n’ont qu’une toute petite pièce, au rez-de-chaussée, qui donne directement sur la rue », explique-t-elle. Pas idéal pour les enfants amenés à se déshabiller lors de l’examen médical.
À l’appel de deux syndicats, les médecins ne rendent plus d’avis d’expertise sans avoir réalisé un examen en présentiel de l’enfant
Cette démographie en souffrance, alors même que les missions de la médecine scolaire et les besoins des élèves sont grandissants, a conduit la profession a dire stop. Depuis février, à l’appel de deux syndicats représentatifs de la profession – le Syndicat national des médecins scolaires et universitaires (SNMSU) et le Syndicat national des médecins de santé publique de l’Éducation nationale (Snamspen/SGEN-CFDT) –, les médecins ne rendent plus les avis d’expertise sans « avoir réalisé au préalable un examen physique en présentiel des enfants ». Fini les consultations à distance ou par mail, en mode dégradé, pour essayer de tenir les objectifs…
« Nous sommes plus efficaces ainsi. Les parents sont soulagés de nous rencontrer, encore plus quand ils ont été confrontés à une errance diagnostique dans la prise en charge de leur enfant », explique la Dr Dippe, aujourd’hui cosecrétaire du SNMSU, consciente des défis difficiles que doit relever la profession. En douze années de métier, elle a relevé une progression alarmante des problèmes de santé mentale chez les élèves. Durant cette décennie, elle estime à 25 % la hausse des refus scolaires anxieux. Les cas de dépression et les tentatives de suicide, qui concernaient majoritairement les lycéens, s’observent dès le collège. TikTok, YouTube, Instagram : « les réseaux sociaux sont des amplificateurs des phénomènes de harcèlement à l’école », ajoute-t-elle.
Relais (trop) occasionnels avec les médecins libéraux
Pour y faire face, elle s’appuie sur le travail d’équipe des professionnels de santé scolaire – infirmiers, assistants sociaux et psychologues. Mais aussi, parfois, sur les médecins libéraux du territoire, avec qui elle a pris contact. « Ils ne savaient pas trop ce que je faisais, mais maintenant, il nous arrive de travailler en réseau et ils peuvent m’envoyer des enfants », en cas de suspicion de maltraitance par exemple. Parmi leurs prérogatives, les médecins scolaires sont habilités à recevoir les mineurs sans la présence des parents.
Il n’y a pas une journée qui ressemble à une autre ; j’aime cette diversité
Dr Mechtilde Dippe
Aujourd’hui, la Dr Mechtilde Dippe avoue être épanouie dans son métier. « Il n’y a pas une journée qui ressemble à une autre ; j’aime cette diversité. » Et avec 4 000 euros net par mois, elle s’estime plutôt bien payée, pouvant envisager un niveau de salaire proche de 5 000 euros en fin de carrière. Mais la responsable syndicale reprend vite le dessus. Parmi les sujets qui fâchent, la durée nécessaire pour passer d’un échelon à un autre, qui peut varier grandement selon les départements. Et, bien sûr, le manque drastique d’effectifs pour sortir la médecine scolaire du marasme. En mai 2023, un rapport parlementaire avait pointé la « performance dégradée » de la médecine scolaire avec la non-réalisation systématique des dépistages médicaux et infirmiers obligatoires mais aussi la difficulté à orienter les élèves les plus fragiles vers des professionnels compétents extérieurs à l’Éducation nationale.
L’ouverture du concours de recrutement de médecins de l’Éducation nationale pour l’année 2025 vient d’être publiée au Journal officiel et les inscriptions sont enregistrées par internet du 1er octobre au 7 novembre 2024. Cette année encore, les lauréats ne devraient pas avoir trop de difficultés à trouver un poste…