Dans son dernier rapport sur l’intérim médical, rendu public le 23 juillet, la Cour des comptes dresse un constat sévère des politiques à visée corrective qui ont été déployées depuis 2017. Le message principal des magistrats : toutes ont manqué leur cible voire ont induit des effets contreproductifs.
Pour contenir le recours aux emplois médicaux temporaires (intérim, contrats courts) à l’hôpital, le gouvernement joue depuis 2017 sur deux leviers : revoir les plafonds réglementaires de rémunération et renforcer les contrôles. Or, dans un contexte de forte concurrence, ces mesures « ont créé des effets d’aubaine non maîtrisés et délétères ». « La seule régulation par les tarifs ne suffit pas à résoudre les conséquences d’une pénurie durable de médecins », tranche la Cour.
En 2017, la tentative d’Agnès Buzyn mise en échec
Une première tentative sur l’intérim médical est « mise en échec » en 2017, lit-on dans le rapport. La ministre Agnès Buzyn introduit un plafond de rémunération fixé par voie réglementaire. À compter du 1er janvier 2018, le salaire brut maximum pour une journée de 24 heures de travail effectif est fixé à 1 170,04 euros. Le décret visait d’une part à rendre l’intérim médical moins attractif que l’exercice sous statut, d’autre part à limiter la surenchère via le respect du code de la commande publique. Mais, juge la Cour, « l’effet vertueux attendu […] a été limité ». En ciblant uniquement l’intérim, le ministère de la Santé a laissé « indirectement » fleurir les contrats de gré à gré, qui lient médecins et hôpitaux à des tarifs négociés dans le secret du bureau des RH.
En 2021, la loi Rist rectifie le tir… avec de nouveaux effets de bord
Tirant les conséquences de cet « échec », la loi Rist de 2021 s’engage à réguler tous les contrats signés entre un établissement et un praticien, avec ou sans passage par une agence de recrutement. La loi investit les comptables publics d’une mission de vérification du respect des plafonds réglementaires. Mais plusieurs parlementaires alertent le gouvernement sur les difficultés des hôpitaux à assurer les soins sans l’aide des médecins temporaires. Résultat : la loi, qui devait s’appliquer à l’automne 2021, est reportée à « dès que possible en 2022 » par le ministre Olivier Véran.
La Cour s’attarde sur les effets néfastes d’une autre mesure prise la même année et pour le moins paradoxale : la simplification et la revalorisation du nouveau statut de contractuel, qui regroupe les anciens statuts de praticien contractuel, de clinicien et d’attaché. Il contient une petite particularité qui va engendrer, une fois de plus, un effet d’aubaine. En cas de difficultés particulières de recrutement ou d’exercice, un contrat dit « de motif 2 » financièrement très intéressant et sans réel garde-fou peut être proposé.
Autre étrangeté de 2021 : la création de la prime de solidarité territoriale (PST), conçue comme un substitut aux contrats courts et à l’intérim. L’objectif de cette prime était d’inciter à la mutualisation des ressources médicales en poste à l’échelle des territoires. Elle supposait aussi de « récupérer » dans le circuit une partie des médecins intérimaires sous contrat de gré à gré.
En 2023, chi va piano va sano
La loi Rist revue et corrigée a finalement été appliquée en 2023. Après hésitation, les pouvoirs publics ont décidé que seuls les prestations intérimaires et contrats conclus à compter du 3 avril seraient contrôlés. Une boîte à outils répondant à « un vrai besoin, tant la gestion technique de la paie d’un médecin est complexe » a été diffusée auprès des hôpitaux et des comptables publics. Selon les calculs des magistrats, le système a plutôt bien marché. « Le contrôle de légalité confié aux comptables publics paraît donc opérant », écrivent-ils.
Mais – car il y a un « mais » – le nombre de contrats soumis au contrôle reste très limité. D’une part, les pouvoirs publics ont sorti du champ de contrôle tout l’historique de contrats signés avant le 3 avril 2023. Nombreux sont les médecins « qui se sont empressés de signer des contrats aux anciennes conditions », tacle la Cour. D’autre part, la complexité du système de paie a pu créer des trous dans le filet. Enfin, « les pratiques de contournement demeurent possibles, dès lors que le contrôle repose sur une liste déclarative ».
Au final, un empilement de dispositifs et de « l’intérim déguisé »
La Cour le dit sans détour : « L’empilement des dispositifs donne la possibilité aux médecins de choisir le plus rémunérateur, ce qui crée des effets d’aubaine. »
« Très utilisée » dans les régions Paca, Auvergne Rhône-Alpes, Occitanie, Bourgogne-Franche-Comté et Grand-Est, la prime de solidarité territoriale (PST) séduit franchement (un peu trop ?) les praticiens depuis avril 2023, notamment les anesthésistes-réanimateurs, les urgentistes, les obstétriciens, les pédiatres, les radiologues et les généralistes. En gros, les spécialités soumises à la permanence des soins et à des tensions démographiques.
Pour la Cour, « le bilan de la prime est mitigé ». L’ARS Île-de-France souligne que la mise en œuvre s’avère « compliquée », les tensions sur les spécialités à garde étant généralisées. L’entraide n’est pas aisée quand on est soi-même entravé dans sa pratique.
Le « recours massif » au contrat de motif 2 remet même en question l’intérêt de la réforme Rist. L’effet d’aubaine est là, trop là. Depuis le 3 avril 2023, le nombre de ces contrats a augmenté de manière « significative », insiste la Cour, en particulier en Corse, en Bretagne, en Normandie et à la Réunion. De plus en plus courts, « ils s’apparentent à de l’intérim déguisé ».
Enfin, confirme la Cour, depuis 2017, les mesures prises « ne résolvent pas la pénurie et accroissent les phénomènes concurrentiels, […], laissant le champ libre aux surenchères qui, si elles ne portent plus sur le plafond de rémunération, se traduiront par des exigences renforcées sur le temps de travail et les lieux d’exercice ». Ainsi, le praticien se retrouve dans la position où il peut arbitrer différemment temps de travail et rémunération. « Pour le même montant, conclut la Cour, le médecin peut préférer intervenir dans des services où l’activité sera moins importante ou moins complexe et exigeante. »
Plus de 23 000 médecins hospitaliers « non permanents »
Les dépenses d’intérim médical des hôpitaux publics s’élèvent à 147,5 millions d’euros en 2022, en progression de 25 % par rapport à 2017. Entre 2017 et 2021, la rémunération des praticiens hospitaliers a augmenté de 13 %, mais celle des contractuels et des cliniciens (statut supprimé depuis) a respectivement progressé de 17 % et 39 %. Tout statut et type d’exercice confondus (intérimaires, contractuels), le nombre de médecins hospitaliers « non permanents » est de 23 573 en 2022. C’est 23 % de plus en cinq ans. Selon le Centre national de gestion (CNG), le nombre de praticiens hospitaliers en exercice augmente en moyenne de 1,3% par an.
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