Entretien avec Jean-Pierre Dewitte, président de la conférence des directeurs de CHRU

Jean-Pierre Dewitte : "Je n’imagine pas à l’horizon 2030 une réduction du nombre de Chu"

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Publié le 09/02/2017
visuel Dewitte

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Crédit photo : Agence MGF

Décision Santé. La Fédération hospitalière de France vient de livrer sa plateforme présidentielle. Est-il indispensable de s’émanciper de la FHF afin de présenter ses propres propositions ?

Jean-Pierre Dewitte. C’est une lecture erronée. Nous avons participé activement à l’élaboration et à la réflexion de la plateforme de la FHF. Certes, la FHF représente tous les hôpitaux publics français. Mais les Chu ont des spécificités qui exigent des mesures spécifiques. Vingt-cinq pour cent de nos activités sont réalisées uniquement dans ces Chu comme les transplantations d’organes, les greffes de moelle ou la prise en charge des grands brûlés. On nous adresse également des patients au titre de l’expertise. Enfin, notre dimension hospitalo-universitaire relève de mesures spécifiques. Dans nos 17 propositions, l’accent est mis sur l’innovation et la recherche. Il s’agit bien non pas d’une émancipation mais d’un complément aux propositions de la FHF qui soutient d’ailleurs notre démarche.

D. S. Faut-il seulement toiletter la réforme Debré de 1958 ?

J.-P.D.

Il faut surtout la garder. C’est une réforme excellente. Elle a créé l’originalité française autour de ce trépied, soins-enseignement-recherche. Le progrès médical y puise sa source en continu. L’ossature est bonne. Un toilettage est seulement nécessaire. Simplement une évolution doit prendre en compte le changement de périmètre de nos activités. Les GHT n’existaient pas en 1958, sans parler du nouveau découpage des régions. Alors qu’il était encore possible de mener de front les trois activités de médecin-enseignant-chercheur, cela semble aujourd’hui difficile. L’alternative serait de les distribuer au sein d’une équipe par exemple. Rappelons que cette réforme a permis à la France de conserver un rang très honorable en matière de recherche dans la compétition internationale. Pour une fois, on ne demande pas de changer la loi.

D. S. Avec les nouvelles régions, faut-il envisager pour demain des GHT de Chu ?

J.-P. D. 

Je n’imagine pas à l’horizon 2030 une réduction du nombre de Chu. Comment envisager qu’un élu d’une grande métropole abandonne un Chu alors que les maires refusent toujours de fermer les maternités de moins de 300 accouchements ? Pour autant, tout ne doit pas rester figé. Nous travaillons actuellement sur l’idée de réseau de CHU ou d’une fédération. A l’avenir, un Chu ne réalisera pas toutes les activités médicales avec son seul plateau technique. Chaque Chu disposera certes d’une plateforme de simulation pour la formation des médecins et des paramédicaux. Mais seuls quatre ou cinq Chu en France disposeront d’une plateforme de simulation en réanimation néonatale en réanimation néo-natale. Une rationalisation des dépenses est nécessaire. Les IHU montrent la voie d’un travail en commun. Un CHU ne doit plus exercer de manière isolée et en concurrence frontale avec ses voisins.

D. S. L’exportation du modèle français à l’étranger ne serait-elle pas une première marche pour fédérer les compétences ?

J.-P. D. C’est un chantier prioritaire, indispensable. Pourquoi la France serait-elle le seul pays à ne pas s’ouvrir à l’extérieur ? La prise en charge des patients étrangers est un problème à la marge. L’essentiel est de vendre notre ingénierie, notre formation médicale, la qualité de gestion de nos établissements. Imaginons au hasard un appel d’offres pour organiser la biologie dans un pays africain. Aucun CHU ne peut répondre seul. En revanche, nous avons mis en place un portail qui collecte toutes les ressources disponibles à l’exception de l’AP-HP, sur une demande précise. Ce sera bien une réponse Chu-France. C’est un bon exemple de l’obligation de travailler ensemble.

D. S. Comment dans le même temps accueillir comme au XIXe siècle un grand nombre d’étudiants en médecine en formation dans les Chu français ?

J.-P. D. Le prestige de la médecine française à l’international est réel. En revanche, nous accueillons moins d’étudiants en provenance de l’étranger. Une mesure s’impose, à savoir la dispensation de cours en anglais et en français. Ensuite, on peut déplorer des effets de mode, du type la meilleure formation serait assurée aux Etats-Unis. Effet Trump oblige, l’Europe peut retrouver son lustre d’antan. Rien n’est perdu. En tout état de cause, un effort d’adaptation est indispensable.

D. S. Sur les 17 propositions, quelles sont celles qui seraient prioritaires ?

J-P. D. Elles méritent toutes d’être reprises. Trois chantiers sont toutefois prioritaires. En premier lieu, les nouveaux modes d’exercice des trois missions doivent être repensés. Il faut permettre à des hospitalo-universitaires de privilégier selon le moment la valence recherche ou la valence enseignement. De nouveaux statuts dans ce cadre seront envisagés. En second lieu, nous l’avons déjà évoqué, les CHU en réseau sont une priorité. Un maillage de surspécialités et de surcompétences sur l’ensemble de l’Hexagone répondra aux attentes des Français. Enfin, le label CHU attribué hors les murs distinguera les compétences des équipes exerçant dans les maisons de santé ou dans des maisons de la recherche. Seront ainsi associés les médecins libéraux et des praticiens hospitaliers.

D. S. Quel bilan dressez-vous du dernier quinquennat ?

J.-P. D. Nous avons tous reconnu le fait que l’on ne peut plus travailler seuls. C’est le point positif de ces cinq dernières années. La concurrence public-public doit être stoppée au profit d’une stratégie de groupe public-public. La prise de conscience a été lente, mais elle parvient aujourd’hui à maturité. Elle se traduit par la constitution des GHT et de la collaboration entre CHU.

En revanche, en réponse aux contraintes financières, l’innovation et la recherche ont souvent été les variables d’ajustements. Résultat, nous avons perdu en capacités d’innover. Nous proposons lors du vote de l’Ondam au Parlement une sanctuarisation des budgets de recherche dans nos établissements afin de mieux préparer l’avenir.


Source : lequotidiendumedecin.fr