La place de la santé dans le champ de la construction européenne est un sujet complexe et dont bilan est difficile à tracer. La réponse dépendra du point de vue adopté.
Pour les juristes, la réponse est dans l’article 168 TFUE (Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne). D’un côté, son alinea 1 dispose que « un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l'Union » ; de l’autre l’alinea 7 précise que l’organisation des soins et leur prise en charge sont de la compétence stricte des Etats Membres. On pourrait résumer ainsi : une politique de santé est expressément exclue mais la santé est un objectif des autres politiques. Concrètement, cela signifie que l’essentiel des actions visant à une meilleure santé seront menés par des moyens humains et financiers qui ne lui sont pas dédiés exclusivement. On a une forme de gouvernance par objectifs assez répandue dans la conduite des politiques publiques contemporaines.
1954, l'échec d'un projet ambitieux d'harmonisation
Pour la majorité des analystes en science politique, la prise en charge de la situation peut s’expliquer grâce au détour par l’histoire. En 1954, un projet ambitieux d’harmonisation, la communauté européenne de santé échoue, bloquant la mise en place d’une démarche intégrative. Dès lors, l’européanisation des sujets de santé est moins le résultat d’une dynamique propre à ce champ que la conséquence du déploiement des grands projets européens, le marché puis la monnaie. Par exemple, le marché unique suppose la libre circulation des marchandises et la libre circulation des personnes. La première va nécessiter la mise en place d’une régulation européenne des médicaments et des dispositifs médicaux, la seconde s’applique aux professionnels de santé et aux patients.
En plus de cela, certains accidents historiques comme la crise de la vache folle vont amener à l’européanisation de sujets (en l’occurrence la sécurité sanitaire). A noter que cette approche orientée marché n’est pas forcément antagoniste de préoccupations de santé publique. Si la législation sur le tabac est basée sur la mise en place d’un marché unique, elle incorpore effectivement des considérations de santé.
Plutôt Luxembourg que Bruxelles
Ce qu’on peut noter comme dans d’autres secteurs de la construction européenne, c’est le rôle essentiel du juge européen. A travers les arrêts Kohll et Decker de 1998 qui écartent au nom de la libre prestation de service l’obligation de demander l’accord à sa caisse de sécurité sociale avant de se faire soigner dans un autre pays de l’Union ou l’arrêt Simap de 2000 qui redéfinit le temps de travail à l’hôpital, le moteur de l’intégration européenne semble plus se trouver à Luxembourg où siège la Cour de justice qu’à Bruxelles.
Une autre manière de parler de l’Europe de la santé est de mesurer l’effet que l’Europe peut avoir par rapport aux acteurs de la santé nationaux. Si la politique de santé européenne a une influence réduite tant ses moyens humains (effectifs et influence de la direction générale ad hoc de la Commission), juridiques (textes peu contraignants) et financiers (budgets dédiés) sont faibles, il est difficile de nier l’importance que les politiques européennes peuvent avoir pour les acteurs nationaux du champ : recrutement des professionnels, normes d’emploi. L’Europe présente aussi une ressource par exemple pour les établissements : ils peuvent utiliser des fonds par le biais de financements dédiés à d’autres politiques, principalement la recherche ou la cohésion sociale. Encore une fois, il leur faudra prendre en compte des considérations autres que celles auxquelles ils ont l’habitude pour espérer remporter ces appels d’offre.
En résumé, la santé n’est pas dans l’Union européenne l’objet d’une politique spécifique structurée comme elle peut l’être au niveau national avec une compétence exclusive attribuée à une administration dédiée. La seule exception est une compétence d’appui mais où l’Union dispose de moyens réduits. Cette circonstance ne doit jamais être oubliée dans les jugements qui sont portés sur les « acquis » et les pistes de transformation de l’Europe de la santé.
(1) «L'Europe de la santé», presses de l'EHESP 2018
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