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Dossier

Nouvelles technologies

Quel avenir pour la télésurveillance médicale ?

Par Hélène Joubert - Publié le 03/11/2023
Quel avenir pour la télésurveillance médicale ?

Favoriser la participation des médecins libéraux passera par une information et une simplification des processus administratifs
BURGER/PHANIE

Depuis le 1 er juillet dernier, la France est devenue le premier pays européen à rembourser la télésurveillance médicale, dans la continuité du programme d’expérimentations Etapes. Trois mois après l’inscription de certaines activités de télésurveillance dans le droit commun, séduit-elle les acteurs de santé et comment s’organise-t-elle ?

Il était temps d’agir. Pour le Dr Yann-Mael Le Douarin, conseiller médical télésanté à la Direction générale de l'offre de soins (DGOS), « nous avions recueilli suffisamment d'informations pour justifier la mise en place du droit commun en matière de télésurveillance médicale, affirme-t-il, avec la conviction que celle-ci est bénéfique à la fois sur le plan clinique pour les patients, pour les acteurs de santé et l’organisation des soins. » Ceci même en l'absence du rapport final des expérimentations du programme Expérimentations de télémédecine pour l'amélioration des parcours en santé (Etapes), qui ont profité à environ 130 000 patients depuis 2018. Avec un remboursement dorénavant pérenne, le gouvernement entend déployer cette pratique, sur le territoire comme dans les indications médicales.

Un avis partagé par la Dr Corinne Collignon, chargée de mission numérique en Santé à la Haute Autorité de santé (HAS) : « la télésurveillance offre de nombreuses opportunités pour améliorer la qualité des soins de santé et bien au-delà des pathologies déjà inscrites sur la liste des activités de télésurveillance médicale (LATM) ; le diabète gestationnel ayant par exemple récemment été intégré d’emblée dans le droit commun en ligne générique ». La télésurveillance des patients porteurs de prothèses cardiaques implantables (PCI) est la prochaine ligne générique issue du programme Etapes. Elle rejoindra la télésurveillance de l'insuffisance respiratoire (ventilation non invasive -VNI et/ou oxygénothérapie), du diabète, de l'insuffisance rénale et cardiaque. Des situations aiguës sont évoquées à moyen terme, comme la sortie précoce d'hospitalisation. Et si besoin, pour les intégrer au plus vite dans le quotidien des patients, une prise en charge anticipée des dispositifs médicaux numériques (PECAN) a été prévue.

Une « activité » médicale, au-delà de l’acte médical

Dans les faits, le fonctionnement de la télésurveillance médicale est simple : elle permet à un professionnel de santé d’interpréter à distance les données de santé du patient recueillies sur son lieu de vie. Ceci grâce à l’utilisation d’un dispositif médical numérique (DMn : site internet, applications ou objets connectés), lequel doit répondre aux exigences du Référentiel d’interopérabilité et de sécurité des dispositifs médicaux numériques 2023 de l’Agence du numérique en santé. Un algorithme peut ensuite générer des alertes auprès du médecin ou de l’équipe médicale, qui prennent en conséquence des décisions liées à la prise en charge. « On parle bien ici du couple professionnel de santé et prestation médicale associée, souligne la Dr Collignon, d’où une évaluation large des solutions de télésurveillance par la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS) portant sur trois dimensions : l'intérêt clinique, l'intérêt organisationnel et/ou l'intérêt pour la santé publique. » Les conseils nationaux professionnels (CNP) ont d’ailleurs leur mot à dire.

Forfaits, place des prestataires… une période d’ajustement

Une fois le DMn inscrit sur la LATM, dans l’une ou l’autre des dimensions validées par la CNEDiMTS, les pouvoirs publics ont prévu deux forfaits de remboursement. Le premier, dit « forfait opérateur », rémunère un suivi médical effectué par un médecin (ou centres, maisons et établissements de santé) réalisant de la télésurveillance médicale. Son montant mensuel est de 11 euros par patient pour le niveau 1 (prothèses cardiaques implantables) et de 28 euros pour le niveau 2 (insuffisances cardiaques, respiratoire ou rénale et diabète). « La responsabilité de l'opérateur revient à évaluer le type d'équipement numérique pour une utilisation optimale du dispositif, avertit le Dr Frédéric le Guillou, pneumologue libéral et ancien président élu de la Société Française de santé digitale. Il doit accompagner le patient dans la mise en fonctionnement du dispositif, dans l'apprentissage de son utilisation et évaluer son adhésion. Il lui revient d’effectuer une analyse bihebdomadaire des données, notamment en cas d'insuffisance cardiaque et respiratoire. » L’opérateur peut déléguer certaines tâches (accompagnement thérapeutique, préfiltrage des alertes, rappels vis-à-vis de l’observance), moyennant rétrocession d’une partie de son forfait, à des infirmiers en pratique avancée (IPA), à l'industriel fournisseur de la solution de télésurveillance, à des bénévoles associatifs ou à des sociétés telles que les prestataires de services et distributeurs de matériel (PSDM). Pour ces derniers, « cette sous-traitance va nécessiter une contractualisation avec l’opérateur, regrette Didier Daoulas, président du syndicat des prestataires de santé à domicile (UPSADI), une négociation de gré à gré et donc une lourdeur administrative qui aurait pu être évitée si nous avions été nommément identifiés dans le texte de loi et notre contribution évaluée. »

Mais que le professionnel de santé se charge lui-même de ces tâches ou non, sur le plan financier, « il est vrai que l'on aurait pu espérer une tarification plus élevée, reconnaît le Dr Le Guillou, mais nous ne sommes qu’aux prémices de cette nouvelle approche. » Pour la Pr Laurence Guédon-Moreau, rythmologue à l’Institut Cœur Poumon (CHU de Lille) et l’une des pionnières françaises en matière de télésurveillance en rythmologie, le compte n’y est pas : « le financement actuel reste insuffisant pour couvrir adéquatement le personnel nécessaire à la télésurveillance. Selon les recommandations internationales de 2023, il faudrait environ trois personnes à plein temps pour télésurveiller 1 000 patients ; une exigence que nous n’arrivons pas à satisfaire avec les ressources actuelles, ce qui se répercute sur la qualité de la télésurveillance. »

Bras de fer sur les grilles tarifaires pour le forfait technique

Un second forfait a été créé, le forfait technique, qui rémunère les fabricants de dispositifs de télésurveillance en fonction de la file active - avec des tarifs dégressifs en fonction de l'importance de la patientèle -, et de l’impact de l’activité de télésurveillance. « L'impact organisationnel et le bénéfice pour le patient sont évalués, notamment en termes de morbimortalité ou de qualité de vie », précise Dorothée Camus, responsable Accès au marché au sein du Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (Snitem). La grille tarifaire en vigueur date du 23 mai 2023, renégociée après une levée de boucliers suite à de premiers tarifs jugés « inacceptables par les entreprises du secteur de la santé, car ne reconnaissant pas les investissements et la valeur apportée au système de soins et aux patients », explique Dorothée Camus. Des inquiétudes subsistent néanmoins concernant le taux de TVA et son impact sur le modèle économique des entreprises. « Certains acteurs du secteur expriment encore des réserves quant à la viabilité du modèle, explique Dorothée Camus. Les entreprises sont d’accord sur cette nouvelle grille à la condition d'appliquer un taux de TVA de 5,5 % au lieu de 20 % ». Air Liquide s’est d’ores et déjà désengagé de la télésurveillance en pneumologie et dans l’insuffisance cardiaque. D'autres entreprises pourraient suivre, avec le temps et le déploiement de l’activité, laisse entendre le Snitem.

Motiver les médecins, un challenge de taille

« Le gain de temps, l'optimisation des ressources et la possibilité de repenser les méthodes de travail sont autant de leviers pour les professionnels de la santé, promet le Dr Yann-Mael Le Douarin (DGOS). Ils auront l'opportunité de repenser leurs rôles et leurs responsabilités, et de s'adapter aux nouveaux modèles de soins. Les compétences requises dans ce domaine évolueront également, en matière de technologie, de gestion de données et de communication à distance. » Les libéraux, vivement invités à se lancer dans la télésurveillance, sont-ils sensibles à cet appel ? Pour l’heure, les expérimentations ont le plus souvent été menées dans un contexte hospitalier. « Favoriser la participation des médecins libéraux passera par une information et une simplification des processus administratifs, indique Dorothée Camus, car ceux-ci sont complexes, avec des contrats, des déclarations, des coopérations avec divers fournisseurs de solutions et une facturation adéquate. »

Alors, pour inciter les libéraux à franchir le cap, des initiatives se montent, dont celle du collectif de pneumologues Belvedair créé en 2023 sous forme d’association de type Loi 1901. Son président, le Dr Yves Grillet et vice-président du CNP de pneumologie (Fédération française de pneumologie), veut ainsi « faciliter la tâche des opérateurs quel que soit leur mode d’exercice, depuis le médico-administratif jusqu’au préfiltrage des alertes et l’accompagnement thérapeutique, via des conventions/contrats établis avec des paramédicaux ou des PSDM/PSAD. »

Quant aux médecins généralistes, les activités de télésurveillance actées les concernent moins, en dehors du diabète de type 2 conjointement avec un diabétologue, et dans l’insuffisance cardiaque pour ceux possédant le DU. Sceptique, le Pr Stéphane Oustric, au nom du Conseil national de l’Ordre des médecins, s’interroge : « Où est la garantie humaine dans cette organisation ? Qui va réagir auprès du patient ? Le médecin traitant, en dépit de son rôle essentiel de coordinateur et de référent auprès du patient, apparaît peu dans les textes. Comment s’intègre-t-il aux équipes de soins dans la vraie vie et non pas sur le papier ? »

Le numérique n’est qu’un outil

La télésurveillance est vue comme « un complément essentiel qui peut améliorer et optimiser les soins sans remplacer le contact direct avec le soignant » par Dorothée Camus, et comme « une première étape vers une pratique médicale plus intégrée au sein d'équipes de soins spécialisées » par le Dr Frédéric le Guillou. Les médecins vont-ils s’emparer de cet outil ? Yann-Mael Le Douarin est confiant : « Il n'y a pas eu de « pertes » de professionnels ou de patients télésurveillés lors de la transition Etapes-droit commun. Selon un premier retour d’expérience, l’intérêt va croissant parmi les soignants non encore impliqués dans Etapes. À date, le nombre d'opérateurs de télésurveillance déclarés atteint 736 déclarations. Cela inclut une variété de professionnels et d'établissements de santé, de gros établissements aux maisons de santé en passant par les médecins libéraux. »

Le mot de la fin revient aux patients. Ceux qui ont testé la télésurveillance en sont largement satisfaits, dixit les diverses expérimentations et les études ponctuelles. « Les retours sont bons, confie le Pr Damien Logeart, cardiologue (hôpital Lariboisière, AP-HP, Paris), l’un des expérimentateurs dans l’insuffisance cardiaque. Ils se sentent plus surveillés et rassurés, avec plus d’écoute, plus d’explications, plus de temps passé avec l’infirmière, ce qu’ils apprécient énormément. » Quant à la crainte d’un éloignement patient-soignant et d’une perte d’humanité dans la relation, elle n’est pas si certaine. La Pr Laurence Guédon-Moreau ajoute même : « La télésurveillance offre une forme de suivi continue, mais non intrusive, permettant aux professionnels de santé de rester en contact étroit avec les patients. La tranquillité d'esprit et la sécurité. » Vincent Daffourd, vice-président de l’association Santé respiratoire France, raconte son vécu : « outre identifier une désaturation importante jusque-là méconnue, la télésurveillance a conduit à une prescription médicale initiale d'oxygénothérapie. Je me suis senti rassuré, et j’ai pu constater un suivi médical en général plus réactif. » Un bémol cependant est pointé par le Pr Logeard : « un certain nombre de patients, plutôt ceux qui sont stables, abandonnent la télésurveillance au bout d’un temps. Cela confirme son utilité chez les patients plus sévèrement atteints. Pour limiter les abandons, le recueil passif des données avec des DMn perfectionnés serait une solution, bien que plus complexe et trop onéreuse si l’on tient compte des forfaits actuels. »