Pour les médecins libéraux, toute tentative de régulation de leur installation est vue comme un chiffon rouge. Car la liberté de s’installer, où ils l’entendent, est un fondement de leur condition d’exercice, faisant office de contrat social passé avec l’État. Pour autant, cette disposition est devenue, au fil du temps, un marronnier, qui fleurit dans les bouches des politiques, au gré des saisons.
Dernier épisode en date : le programme santé du Nouveau Front populaire, formation politique arrivée en tête à l’issue des dernières élections législatives. La « candidate pour Matignon » de la gauche unie, Lucie Castets, porte donc cette mesure, pour tenter d’apporter une réponse à la problématique de désertification médicale hexagonale, en grande partie due à une pénurie de médecins. Opposés à cette idée, cinq praticiens détaillent leur point de vue auprès du Quotidien.
Bonne intention, mauvaise réponse
« La formulation dans le programme et dans l’expression des leaders de gauche est large. Ce qu’ils défendent, c’est d’empêcher les médecins d’aller dans les zones surdotées, pas de les obliger à aller dans les zones sous-dotées », relativise le Dr Claude Pigement, ancien conseiller santé du Parti socialiste (PS). Mais, existe-t-il des territoires où il y aurait trop de praticiens ? En médecine générale : non, concède le gastro-entérologue, réaliste.
Mais, développe-t-il, « je comprends les élus qui, sous la pression de leurs électeurs, sont sensibilisés à l’accès aux soins et veulent y répondre… Cela part d’une bonne intention, mais c’est irréalisable et ce n’est pas la bonne réponse à ce vrai problème ». En tant qu’homme de gauche, l’ancien proche de François Hollande trouve plus « cohérente » la défense du service public, dont l’hôpital, de Lucie Castets, qui rencontrera le Président vendredi 23 août, accompagnée des représentants du NFP.
Césure entre politiques et médecins
« Cette mesure est le témoin de l’incompréhension et la césure entre le monde politique de gauche et ces professionnels de santé », glisse le Dr Bernard Jomier, sénateur qui a récemment rejoint le mouvement politique de Raphaël Glucksmann (Place Publique). Le généraliste observe que les choses ont toutefois évolué : des collègues de gauche autrefois enthousiastes à l’idée d’une régulation font désormais profil bas.
Bien que faisant partie du NFP – sans enthousiasme – Place Publique ne sera pas sur la même ligne en santé, confie le Dr Jomier. « Nous souhaitons réfléchir, avec les acteurs, mais nous ne défendrons ni coercition, ni posture électoraliste », promet-il. Une façon de souligner son opposition à cette mesure qui ne « réglera rien au problème », selon lui.
Anomalie sur l’échiquier syndical
« La gauche est une déception en ce qui concerne la santé. Mais celle-ci est universelle dans le monde politique : peu de gens comprennent vraiment les enjeux », lâche de son côté le Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint de MG France. Syndicat progressiste, plus que gauchiste ? « Nous sommes une sorte d’anomalie sur l’échiquier syndical. Nous avons toujours été en faveur à l’accès aux soins, parfois contre l’avis de nos collègues. Mais j’observe que nos idées – défense de l’AME, de la C2S, des ALD – sont désormais majoritaires lors des négociations », explique le généraliste.
Alors, face à cette mesure « stupide », voire « clientéliste », le vote, à gauche, du Dr Nogrette est-il remis en question ? Que nenni ! Si la thématique santé entre en ligne de compte dans son choix de vote, le médecin est un citoyen comme un autre, argumente-t-il. Ainsi, ce n’est pas un frein ; d’autant plus qu’étant déjà installé à Feytiat (Haute-Vienne), il ne serait pas affecté par cette mesure, c’est donc pour les patients qu’il s’oppose à cette régulation.
L’épreuve de la réalité
Vent debout contre toute coercition, le Dr Christian Lehmann a écrit le 14 août à Lucie Castets dans Libération pour lui exprimer tout le mal qu’il pense de cette mesure et pour la prévenir que « cette mesure est infaisable, débile et provoquera une aliénation d’un corps de santé qui tient à bout de bras le bordel que vous dites vouloir sauver », raconte-t-il au Quotidien.
« La régulation à l’installation n’a jamais été adoptée, par la droite comme par la gauche, car lorsque ses partisans arrivent en position de gouvernance et doivent faire un choix, comme dirait Lacan : ils se cognent au réel ! », défend le généraliste, citant les médecins qui ne s’installent déjà pas assez et le fait que 87 % du territoire est un désert médical. Assez virulent dans ses attaques, il affirme ne rien attendre ni du NFP, ni de sa figure de proue !
Gauche, droite : même rengaine
De gauche lui aussi, l’hyperactif Dr Michaël Rochoy, généraliste installé à Outreau (Pas-de-Calais), en croisade contre les certificats « absurdes », est également un pourfendeur de cette proposition qui n’a pas de sens pour lui. Mais, précise-t-il, « sur la santé, tout le monde est nul, de la gauche à la droite, en passant par le centre et l’extrême droite – pire que les autres avec sa volonté de supprimer l’aide médicale d’État ».
Pour le Dr Rochoy, en plus d’être contre-productive, cette mesure coercitive ne prend pas en compte la réalité sur le terrain : dans certaines métropoles, le nombre de médecin peut paraître conséquent, mais combien exercent à mi-temps ou dans une zone bien desservie dans le centre-ville ? « C’est une proposition qui semble bonne quand on ne connaît pas le sujet ou qu’on a des idées des années 1990 », résume-t-il.
Penser différemment
Médecin dans les années 1990 – et même avant – le Dr Jean-Martin Cohen Solal, qui souffle à l’oreille de l’ancien Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve (pressenti pour Matignon, pour certains), constate que « les idées proposées en santé ne sont pas très différentes d’un parti à un autre… Mais la coercition, ça ne marche pas ». Observant que dans le monde entier les systèmes de santé ne répondent plus aux attentes des citoyens, l’ancien directeur de la Mutualité appelle à « penser différemment : résoudre les problèmes d’accès aux soins au niveau du territoire et plus de façon globale ». Ce qui fait écho à ce que déclarait au Quotidien l’ancien rapporteur général du CNR, David Djaïz.
En plus d’encourager à la télémédecine, le généraliste appelle à favoriser une forme de « médecine foraine », soit permettre à des praticiens de faire des heures dans des petites villes, dans une sorte de cabinet secondaire, contre une valorisation. Le tout, pour permettre « un accès facile à la santé, dont les citoyens ont besoin, au moment où ils en ont besoin ». Reste, maintenant, à transformer l’essai.
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