Un futur formidable

Nos longues années d'études médicales, nos stages et nos gardes à l'hôpital, le temps passé durant plusieurs années auprès des patients dans nos cabinets, à les soigner souvent, à les écouter beaucoup, à les guérir plus rarement et surtout le temps passé à les convaincre de l'utilité ou de l'inutilité d'un traitement ou de certains examens complémentaires, nous ont donné la prétention de penser savoir comment devrait fonctionner notre système de soins et ce qui serait bon pour nous et pour nos patients. Nous sommes très inquiets, devant cette loi de santé et devant son corollaire : le tiers payant généralisé. Mais nous devons reconnaître humblement, que nous n'avons pas le recul de Madame Touraine notre ministre de la santé, de Monsieur Caniard et de tous nos formidables énarques qui savent ce qui est bon pour nous et ce qui est bon pour les patients. Notre président, Monsieur Hollande, nous l'a même promis lui-même : « il faut que ce soit simple pour les médecins ».

Cette loi de santé et son corollaire (le tiers payant généralisé) sont une formidable idée. En effet, grâce à cette mesure indispensable notre quotidien sera plus serein : nous n'aurons plus de tâches ingrates de comptabilité (dont les recettes ne seront plus que des bordereaux de retour Noémie, qui pourront même être transmis par leurs soins à nos associations de gestions agréées et aux organismes divers : CARMF, URSAFF, impôts...);nous n'aurons plus ce moment de honte à réclamer la somme indécemment élevée de 23 euros; nous n'aurons plus à subir la pression de l'industrie pharmaceutique et de ces vils délégués médicaux pour choisir les bons médicaments, car la liste de ceux qui sont bons nous sera fournie; nous n'aurons plus à convaincre nos patients de l'inutilité de certains examens complémentaires car nous pourrons leur fournir les référentiels qui nous seront donnés; nous n'aurons plus à passer du temps à les adresser à nos correspondants spécialistes où à les hospitaliser, car les réseaux mutualistes se chargeront de nous en donner la liste ou même de faire la démarche; nous n'aurons plus à nous faire de souci de manque d'activité, car les consultations de premier recours aux urgences nous seront octroyées; plein de jeunes consœurs et confrères voudront venir travailler avec nous ou nous succéder dans ce nouveau système simple et formidable; nos honoraires seront considérablement revalorisés, car les économies réalisées sur les prestations seront encore plus considérables.

En prime, comme ce formidable système nous apportera beaucoup de temps libre et de sérénité, nous pourrons aller prendre quelques vacances. Et comme notre solidaire système mutualiste a été très prévoyant, pour ses sociétaires, et a beaucoup investi dans l'immobilier (en « bon père de famille »), nous pourrons profiter de locations à prix préférentiels (comme partenaires privilégiés et responsables), pour passer quelques jours à Paris. Ils pourront même nous permettre de rencontrer ceux que nous admirons dans leurs formidables spots publicitaires : la belle Cerise de Groupama, les sympathiques comiques Chevallier et Laspallès de la Matmut et tous les autres. Nous pourrons aussi avoir des places privilégiées pour le Tour de France, généreusement sponsorisé par leurs soins.

Notre vie sera plus simple, nous serons enfin satisfaits de notre fonction sociétale, nous ne nous sentirons plus honteux de vivre de la maladie des autres, nos patients seront ravis de ne plus prendre de médicaments inutiles et de plus subir d'examens stressants qui rallongent de façon honteuse leur espérance de vie, les poussant inéluctablement vers la maladie d'Alzheimer ou l'institutionnalisation; ils n'auront plus de soucis financiers non plus pour se soigner.

Il nous faut donc nous rendre à l'évidence, de ce qui sera bon pour nous et pour nos patients, et ne plus nous faire « manipuler », par nos syndicats qui semblent ne pas avoir compris « l'avancée sociale » de cette loi de santé. La preuve en est, que même l'un de leurs anciens membres, le Docteur Sopena (ancien vice-président de MG-France, retraité, secteur 2!) sait ce qui est bon pour nous et nos patients. Il faut donc convaincre, dès à présent, nos syndicats que cette loi est une « bonne loi » et une avancée pour tous et qu'il faut vite la signer.

Nous vivrons alors une « époque formidable ». « Reiserement » vôtre, voire « Charliement » vôtre !