L’arrivée au gouvernement de Bruno Retailleau, pourfendeur de l’Aide médicale d’État (AME), a relancé le débat sur la réforme de ce dispositif d’accès gratuit aux soins pour les étrangers en situation irrégulière, créé en 2000 par le gouvernement Jospin. Le ministre de l’Intérieur veut transformer l’AME en aide médicale d’urgence (AMU). Quant au Premier ministre Michel Barnier, la suppression de ce système n’est pour lui « ni un totem, ni un tabou », même s’il n’a pas évoqué ce sujet délicat, mardi, dans sa déclaration de politique générale.
Selon des élus de droite et d’extrême droite, l’AME crée un appel d’air qui favorise l’immigration à des fins sanitaires. En réalité, il s’agit là d’un argument politique difficile à prouver et les données dont on dispose atténuent grandement cette hypothèse. Une enquête de l’Irdes (2019) montre que la migration pour raisons de santé est de 9,5 % et que le taux de recours à l’AME (pour ceux qui y ont droit) n’est que de 49 %.
Dans leur rapport de décembre 2023, l’ancien ministre Claude Evin et le spécialiste des questions d’immigration Patrick Stefanini le disent clairement : l’AME n’apparaît pas comme un facteur d’attractivité pour les candidats à l’immigration. Les deux experts n’excluent pas pour autant le besoin d’une réforme à la marge.
La seconde raison parfois évoquée par les détracteurs de l’AME est purement économique. Puisqu’il faut limiter la dépense à tous les étages, pourquoi ne pas agir aussi sur cette aide aux étrangers sans papiers ? Là encore, il s’agit d’un argument qui trouve ses limites. D’abord parce que l’impact serait marginal : en 2024, l'AME représente 1,2 milliard d'euros, soit 0,5 % des dépenses de santé annuelles, qui s’élèvent à 254,7 milliards d’euros. Surtout, les défenseurs de l’AME expliquent que sa suppression entraînerait un recours accru aux urgences (déjà saturées) et à des soins plus lourds et coûteux. Sans compter l’augmentation des risques épidémiologiques.
De leur côté, soignants et associations sont unanimes : la suppression de l’AME, c’est non. Une position défendue aussi par les responsables hospitaliers : Nicolas Revel, le patron de l’AP-HP, a expliqué dans La Tribune Dimanche que la fin de l’AME serait un « contresens sanitaire et financier ». La semaine dernière, dans une tribune publiée sur le site du Monde, huit anciens ministres de la Santé se sont insurgés contre les « fantasmes » qui entourent l’AME. Sa suppression, lancent-ils, aurait des « conséquences sanitaires, humaines, sociales et économiques inacceptables ».
Avec l’arrivée de la droite dans un gouvernement sous surveillance du RN, nul doute que le débat sur la réforme de l’AME a de beaux jours devant lui. Mais devant la levée de boucliers du monde de la santé, en première ligne dans cette affaire, passer des paroles aux actes va s’avérer compliqué.
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