En 2017, il y aurait eu au moins 537 décès directement liés aux drogues en France. Un chiffre en hausse de 30 % depuis 2003, selon une analyse de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), publiée le 16 juillet 2019. Le Dr Anne-Claire Brisacier, un des auteurs de l'étude, nous explique les difficultés de ce chiffrage.
LE QUOTIDIEN : Qu'entend-t-on par « décès directement liés aux drogues » ?
Dr ANNE-CLAIRE BRISACIER : Ces décès surviennent peu de temps après la consommation de substances psychoactives, drogues illicites ou médicaments contenant des opioïdes. Cette notion recouvre les décès par surdoses mais aussi ceux provoqués de façon non doses dépendantes par des complications cardiovasculaires.
Selon vos estimations, le nombre de ces décès a augmenté d'un tiers depuis 2003, après forte baisse dans les années 1990. Comment l'expliquez-vous ?
Cette hausse est liée à 3 profils. Nous observons la progression des décès de personnes présentant un profil d'usagers de drogues : des hommes le plus souvent, majoritairement âgés de moins de 50 ans. Cette hausse semble fortement liée à l'augmentation de la disponibilité et de la pureté de l'héroïne. Le 2e profil est celui des personnes âgées traitées pour la douleur dans le cadre de soins palliatifs. Le 3e profil est celui de personnes plus jeunes, traitées pour des douleurs aiguës ou chroniques en dehors d'un contexte de fin de vie ou de douleurs cancéreuses. L'ampleur de la hausse de ces décès reste à confirmer, mais il y a là un point de vigilance.
Vous avez croisé plusieurs sources : la base de données CépiDc de l'INSERM, le dispositif DRAMES et l'enquête DTA menée par le CEIP-A de Grenoble. Sont-elles exhaustives ?
Les décès liés aux drogues sont très sous-estimés en France. Dans le CépiDc, la cause de chaque décès est renseignée dans le certificat de décès, mais il y a une mauvaise articulation entre justice et santé publique en cas de décès suspects. Un volet complémentaire doit alors être rempli par le médecin légiste à l’issue de la procédure judiciaire. Mais sa transmission au CépiDc est très irrégulière. De nombreux décès étiquetés « mort subite » ou causes inconnues sont des décès par surdosage.
Les enquêtes DRAMES et DTA dépendent de la participation volontaire des experts médico légaux. Ces études ne sont pas exhaustives, même si le nombre de participants tend à s’accroître. Des études montrent que les sources DRAMES et DTA d’une part et CépiDc de l’autre ne se recoupent qu’en partie et que la sous-évaluation du nombre de décès serait d’au moins 30 %.
Peut-on affirmer que nous sommes face à une augmentation des décès par surdosage des antalgiques ?
C'est difficile à dire. Un certain nombre de personnes âgées atteintes d’un cancers sont classées à tort parmi les victimes d'un surdosage dans les données du CépiDc. C’est le plus souvent un cancer qui devrait être considéré comme la cause initiale du décès.
Pour les populations plus jeunes traitées pour une douleur chronique ou aiguë, la situation est difficile à évaluer. En 2017, on compte 105 cas dans l'enquête DTA, 20 de plus qu’en 2016, couplés cependant à une plus forte participation des experts toxicologues. C’est un signal qui appelle un renforcement de la surveillance.
Comment les médecins peuvent-il aider à une meilleure remontée de l'information ?
En cas de suspicion de décès liés aux drogues, le médecin qui constate le décès doit poser l'obstacle médico-légal sur le certificat. Quant au médecin légiste qui réalise une autopsie, il doit remplir le volet complémentaire du certificat et les substances ou médicaments suspectés doivent être indiqués dans les causes du décès.
En revanche, chez les personnes en fin de vie, les surdoses aux médicaments opioïdes, même impliquées dans le décès, ne doivent en principe pas figurer en cause initiale. De même, dans les cas de décès de personnes dépendantes à une substance psychoactive mais qui ne sont pas liés à une intoxication (endocardite, septicémie, pneumopathie), l'intoxication ou le trouble de l'usage lié à la substance ne doivent pas figurer en cause initiale.
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?
Maintien des connaissances et des compétences
La certification périodique marque des points