Le congrès Urgences a consacré cette année une large place à la psychiatrie et aux traumatismes psychologiques. Avec notamment plusieurs communications sur l’impact psychique des attentats. Alors que de nombreux travaux sont en cours pour mieux chiffrer et mieux comprendre le phénomène, l’importance d’une prise en charge psychologique la plus précoce possible semble faire consensus.
évalué en nombre de victimes, l’impact psychique d’un attentat est estimé dix fois supérieur à son impact physique.
En d’autres termes, pour 300 blessés, 3 000 personnes auront un traumatisme psychologique qui laissera souvent des séquelles à distance. à l’occasion du congrès Urgences (Paris, 31 mai-2 juin), plusieurs experts ont mis en exergue l’impact psychologique des attentats et souligné l’importance d’une prise en charge précoce.
Désamorçage précoce ou « defusing »
Les cellules d’urgence médico-psychologiques (CUMP) ont été développées dans ce sens à la suite de l’attentat de la station Saint-Michel, en 1995, pour prendre en charge les états de stress aigu et essayer de prévenir l’installation de troubles chroniques, états de stress post-traumatiques (ESPT), en particulier. « On nous a beaucoup critiqués, en disant que cela ne sert à rien, qu’il faut attendre la demande des personnes », témoigne le Dr Nathalie Prieto, coordinatrice de la CUMP de l’hôpital édouard-Herriot (Lyon). Son équipe a participé à la prise en charge des victimes des attentats du 13 novembre, à la mairie du XIe. Une enquête téléphonique menée un mois plus tard auprès de 129 personnes indique les effets positifs de cet accompagnement précoce appelé defusing (désamorçage) : 93 % des sujets interrogés se déclaraient satisfaits et 87 % disaient avoir été apaisés ; 96 % avaient consulté à l’issue de cette prise en charge initiale (Encéphale, 2016). « C’est un point très important, souligne le Dr Nicolas Dantchev (Hôtel-Dieu), car les études menées par Santé Publique France montrent qu’une proportion très importante des personnes exposées aux attentats de janvier et novembre 2015 continuent à aller très mal six mois ou un an après et n’ont strictement aucune prise en charge spécialisée. On voit aussi dans les dossiers d’indemnisation du fonds de garantie que des personnes atteintes d’états de stress post-traumatiques (ESPT) majeurs chroniques n’ont aucune prise en charge. »
Redonner la maitrise au patient
La victime d’attentat est confrontée à la mort et au non-sens de l’existence. Mais, pour le Dr Prieto, « le plus fort dans l’immédiat, c’est la sensation de ne plus maîtriser sa vie qui conduit à une impression de déshumanisation. La victime est chosifiée par l’arbitraire. Il s’y associe toujours une altération du sentiment d’appartenance à un groupe et une culpabilisation. Cela fonde le sens de notre intervention immédiate : faire baisser la charge émotionnelle, réhumaniser l’événement, redonner la maîtrise, renforcer l’appartenance. La prise en charge individuelle peut avoir lieu dans les jours qui suivent l’événement. Mais il est important que les CUMP soient présents sur les lieux de l’attentat pour aider à la gestion de crise, en lien avec les secours, a expliqué le Dr Prieto, les victimes sont traumatisées autant par ce qui est arrivé, que par la manière dont l’événement est géré. Si c’est le chaos, parce que les intervenants sont mobilisés par les urgences vitales dans une atmosphère d’insécurité, il y aura une cristallisation du traumatisme ».
En cas d’état de stress dépassé, avec stupeur ou agitation, l’intervention clinique fait plutôt appel à du nursing. En revanche, si le contact est possible, elle va viser d’abord à baisser la charge émotionnelle en écoutant la personne de manière bienveillante, pour lui permettre d’ordonner ses pensées en verbalisant l’événement et les émotions qu’il a suscité, mais toujours de manière non intrusive et seulement si la personne est volontaire. Le defusing pourra être poursuivi après, de manière individuelle ou en groupe, pour aider la personne à replacer l’événement dans une continuité, pour lui redonner la maîtrise. L’objectif est de restaurer le sentiment d’appartenir à une communauté et de favoriser l’intégration de cette expérience traumatisante, afin d’éviter qu’elle ne soit revécue de manière incessante dans l’espoir d’être élaborée.Il n’existe pas de consensus sur les médicaments, qui doivent être prescrits avec une grande prudence, pour ne pas altérer la mémorisation.
Les soignants ne sont pas épargnés
La prise en charge en urgence ne peut être assurée que par des soignants très aguerris, capables de supporter cette charge émotionnelle. À l’occasion des attentats du 13 novembre, un dispositif d’accueil a été mis en place à l’Hôtel-Dieu. 1 200 victimes impliquées directement sont venues dans les 6 mois suivant le drame. « Certains psychologues ont entendu 100 fois le récit de la fosse du Bataclan », constate le Dr Dantchev. Cette répétition des témoignages peut entraîner un burn out ou un véritable état de stress post-traumatique. Les symptômes d’évitement, constants, sont les plus invalidants sur le plan social, a estimé le Dr Dantchev, citant le cas d’un soignant d’un hôpital parisien qui ne pouvait plus utiliser les transports en commun. La DRH de l’hôpital a décidé de prendre en charge les trajets en Uber.
Après un séisme, des études font état de 21 à 39 % d’ESPT à 3 mois chez les sauveteurs. Des publications donnent jusqu’à 30 % d’ESPT chez les soignants. Les résultats des études menées après les attentats en France seront bientôt disponibles. « Aucun soignant n’est à l’abri, a rappelé le Dr Dantchev. Ce n’est pas un signe de faiblesse ou d’incompétence. Après les attentats du 13 novembre, nous avons déployé des prises en charge sur un certain nombre de services, à la demande des équipes. Nous avons mis en place des circuits dédiés, hyperconfidentiels. Il faut toujours faire une déclaration d’accident de travail, même si l’on ne prescrit pas d’arrêt. Un dossier est ainsi ouvert, au cas où... »
L’Inserm et le CNRS ont mis en place le programme « 13 novembre », avec 5 études distinctes, pour comprendre comment un tel événement traumatique s’inscrit dans la mémoire individuelle et collective. « Il y avait une cloison entre sciences du vivant et sciences humaine et sociales », a observé l’historien Denis Peschanski, codirecteur du programme avec le neuropsychologue Francis Eustache. Préciser la manière dont le traumatisme psychologique modifie les structures et les fonctions cérébrales est essentiel pour comprendre les troubles de la mémoire au cœur de l’ESPT. L’étude 1 000 repose sur des entretiens, qui seront répétés sur 10 ans, auprès de 1 000 volontaires : personnes directement exposées, habitants des quartiers visés, d’autres quartiers et enfin d’autres villes. L’étude biomédicale Remember inclus 192 sujets de cette cohorte : 120 directement exposés et 72 habitants d’autres villes que Paris, suivis par des IRM de repos et d’activation en 2016, 2018 et 2021. Les résultats préliminaires montrent déjà que les personnes qui ont été exposées directement aux attentats, mais n’ont pas d’ESPT, ont un réseau de connexions cérébrales plus structuré entre le cortex préfrontal et médian et les régions impliquées dans la mémoire et les émotions. « Loin de rajouter au traumatisme, ce programme aurait plutôt un effet positif sur les participants, qui passent de la position de victimes à celle d’acteurs », ont estimé les deux codirecteurs du programme. Un programme est aussi en cours d’élaboration à Nice, avec une dimension pédopsychiatrique.
Infarctus : encore trop d’admissions aux urgences
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Le taux d’accès direct en unité de cardiologie interventionnelle des patients ayant un syndrome coronarien aigu ST+ s’est amélioré entre 2013 et 2015, passant de 47 à 67 %, selon le dernier recueil des indicateurs pour l’amélioration de la sécurité des soins. Parallèlement, le taux de reperfusion dans les délais recommandés a grimpé de 57 à 71 %. Cependant un tiers des patients passent encore par les urgences. Pour eux, le taux de reperfusion n’est que de 63 % contre 74 % en cas d’accès direct.
Seuls 16 % des patients hospitalisés pour infarctus sont informés d’appeler le 15 en cas de récidive.
Violence conjugale, entre prudence et ingérence
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En 2015, 122 femmes sont mortes en France à la suite de violences conjugales. Hors du cercle familial, les médecins, généralistes en particulier, sont souvent les premières personnes à être informées des violences au sein des couples. Leur tâche est compliquée par le fait que les femmes battues taisent souvent leur souffrance, seule une petite minorité portant plainte. Devant des lésions traumatiques, il faut systématiquement poser la question de violences, hors de la présence du conjoint, ont répété les intervenants, qui ont insisté également sur l’importance d’établir systématiquement un certificat pour constater les blessures, même si la femme ne demande rien. Ce document doit être conservé dans le dossier car la femme a 6 ans pour déposer plainte. Le médecin « peut » faire un signalement si la femme est vulnérable (mineure, personne âgée, handicapée, femme enceinte) ou en cas de péril imminent, c’est-à-dire lorsqu’il craint la mort ou des blessures graves. Mais cela doit être fait avec une très grande prudence car il y a un risque que les violences s’aggravent. Si la femme est en danger, il faut l’hospitaliser, même pour un motif fictif.