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Dossier

Urgences

Drogues de synthèse, les nouveaux zombies

Publié le 29/06/2018
Drogues de synthèse, les nouveaux zombies

Ouvertue provisoire
Kondor83 / Adobe Stock

La consommation des nouvelles drogues de synthèse, aussi nombreuses que faciles à se procurer, se développe inexorablement. Ces cocktails chimiques posent un problème d’identification et de prise en charge, comme l’ont rapporté les urgentistes lors de leur congrès annuel.

Depuis 2010, toutes les intoxications aux drogues conventionnelles baissent (sauf la méthadone) au profit des nouveaux produits de synthèse (RC : Research Chemicals) qui progressent rapidement. Aux États-Unis, on estime que l’usage de ces drogues de synthèse – le chef de file étant le très puissant Fentanyl – fera 20 000 morts par an. Outre les morphiniques de synthèse, sont également pointés du doigt les cathinones et les cannabinoïdes de synthèse qui provoquent des intoxications particulièrement difficiles à prendre en charge. On peut même dire que « les zombies de demain », comme le mentionnait une session du 12e congrès de la Société française de médecine d’urgence (Paris, du 13 au 15 juin) sont déjà parmi nous. 261 nouveaux produits ont été répertoriés sur le territoire français depuis 2008, dont 46 en 2016.

Cathinones, cocaïne discount

Si les amphétamines, à la dangerosité reconnue, ne peuvent plus être vendues en France, il est facile de trouver des “amphétamines like” aux effets comparables. Par un jeu de modification permanente des formules chimiques, des cathinones (bêta- kéto-amphétamines) arrivent sur le marché régulièrement. Licites pour certaines d’entre elles, du fait d’un vide juridique, elles sont bon marché, peuvent être achetées sur le Web et livrées comme n’importe quel produit. Une boutique est même sur le point d’ouvrir à Tourcoing.

Parmi ces produits, la poudre de méphédrone (4-MMC) provoque une libération massive mais de courte durée de sérotonine (sentiment de confiance) et de dopamine (circuit de la récompense, dépendance) dans le cerveau humain. Elle mime ainsi les effets de la cocaïne dont elle constitue une drogue “de substitution” de plus en plus prisée car 15 fois moins chère ! Classée comme stupéfiant depuis août 2012, elle est aujourd'hui vendue en toute légalité en complément à l'engrais pour les plantes d'intérieur sous des appellations diverses.

Les cathinones peuvent provoquer une mydriase, des effets cardiaques, psychiatriques, neurologiques, gastro- intestinaux, une hypertension, des douleurs thoraciques, une sidération vasculaire voire un arrêt cardiaque.

« Le problème de ces nouvelles drogues de synthèse est que le génie chimique étant passé par là, on ne peut pas leur attribuer un toxidrome [présentation clinique orientant le diagnostic vers une intoxication par une classe particulière de toxique, NDLR] », a souligné le Dr Nicolas Peschanski (urgentiste, SAMU 27, Évreux) qui a évoqué des cas de cannibalisme avec la méphédrone.

Pas simple alors de savoir comment prendre en charge ces patients, car on peut tout observer aux urgences, du syndrome dopaminergique au syndrome sérotoninergique. D’autant plus que les consommateurs peuvent faire des mélanges et varier les voies d’administration (produits consommés, inhalés, fumés).

 

Cannabinoïdes de synthèse, des effets à la carte

Comme leur nom l’indique, les cannabinoïdes essaient de copier le tétra-hydrocannabinole (THC) du cannabis mais sans en contenir. Ces drogues de synthèse sont nées dans le laboratoire de John W Hoffmamn en Caroline du Nord en 1980 avant d’essaimer en Allemagne en 1982. Là encore, les chimistes et le marketing jouent avec les formules et les formats. En cas d’interdiction, il suffit de changer de molécule et de nom. Ces drogues sont disponibles sur Internet avec différentes déclinaisons en fonction des effets souhaités : sédation, excitation, dissociation, euphorie (voir la roue des drogues ci-dessous). On en trouve dans les stations-service aux États-Unis et en France, une boutique a récemment ouvert dans Paris.

Sont-ils dangereux ? Évidemment oui, avertit l’urgentiste. Le syndrome d’hyperémèse cannabinoïde (CHS), comportant des crises de vomissements, des douleurs abdominales avec hypertension et tachycardie, survient plus précocement et fréquemment avec les cannabinoïdes de synthèse qu’avec le cannabis. Pour l’apaiser, les Américains ont découvert fortuitement l’efficacité d’une application sur tout le corps d’une crème à la capsaïcine (Dolpic). Les patients rapportent aussi l’efficacité des douches chaudes à répétition.

Des cas d’intoxications sévères liées à la présence concomitante de mort-aux-rats sont également à déplorer à États- Unis en 2018 ainsi qu’un épisode d’intoxications collectives en juillet 2016 à Brooklyn : 33 personnes ont été admises aux urgences après avoir fumé de l’“herbe” nommée AK- 47 24 Karat Gold. Toutes présentaient un tableau de léthargie avec des réponses lentes aux questions, sans excès de salivation, ni de sueurs, sans modification des signes vitaux, ni du réflexe pupillaire. Ils traînaient leurs bras et leurs pieds et gémissaient de temps en temps. Les symptômes ont été résolutifs en 24 heures. Toutes les recherches toxicologiques habituelles étaient négatives. C’est véritablement à l’issue d’une enquête menée en collaboration entre urgentistes, forces de d’ordre et médecins de santé publique que l’origine de l’intoxication a pu être trouvée. « Il faut s’entraîner à recevoir ces nouveaux tableaux d’intoxication », a recommandé le Dr Peschanski. « Pour cela, il est utile de se rendre sur les sites des consommateurs car ils décrivent tous les effets observés et connaissent mieux ces produits que les médecins. »

Cécile Froment