Éviter les toxicités létales sans faire perdre de chances

Avant une chimio avec 5FU, le dépistage du déficit en DPD doit être systématique, estime UNICANCER

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Publié le 19/02/2018
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Qui faut-il dépister avant une chimiothérapie contenant des fluoropyrimidines, 5FU (fluorouracile) ou capécitabine (Xeloda) ? Et comment ? À ces questions, le groupe de pharmacologie clinique oncologique (GPCO) d'UNICANCER se positionne sans équivoque, tandis que l'ANSM est plus évasive, dans l'attente courant 2018 des conclusions du projet FUSAFE, un programme soutenu par l'INCa.

Dans ses nouvelles recommandations co-signées avec le Réseau national de pharmacogénétique hospitalière (date de publication prévue le 23/02/18), le GPCO estime que le dépistage du déficit en dihydropyrimidinedehydrogénase (DPD), identifié depuis près de 30 ans pour être responsable de toxicités sévères voire létales, doit être systématique.

Pour ce faire, le GPCO recommande que le dépistage puisse se faire sur le génotypage du gène DPYD, le phénotypage fonctionnel ou mieux sur un score composite, l'objectif étant d'adapter la dose à ce qui suffit pour traiter tout en évitant les toxicités graves. « Il est temps de faire changer les pratiques, indique Joseph Ciccolini, pharmacologue à l'hôpital de la Timone (APHM, Marseille) et président du GPCO-UNICANCER. Il existe un flou aujourd'hui du fait de la reconnaissance du risque mais de l'absence de recommandations officielles. Nous défendons au GPCO une position pragmatique et implantable partout, de façon à ce que chaque patient puisse avoir accès à un examen préventif ».

L'ANSM s'est, pour l'instant, limitée dans un point d'information à rappeler aux médecins, « l'existence de différents moyens à leur disposition permettant de réduire la survenue de ces toxicités aiguës ». L'Institut national du cancer (INCa) attend lui aussi l'état des lieux de FU-SAFE pour lancer un groupe de travail sur les modalités du dépistage du déficit en DPD et son déploiement à grande échelle.

Huit décès avec déficit identifié en DPD sur 10 ans

L'agence du médicament rappelle « qu'une toxicité grave peut également survenir et malheureusement aboutir à un décès, même pour un patient avec une activité enzymatique normale ». Alors qu'une étude du centre de pharmacovigilance de Marseille va être publiée, l'ANSM interrogée par le « Quotidien » transmet des chiffres sur la toxicité liée aux fluoropyrimidines en France. « Entre 2005 et 2015, ce sont 1 505 effets indésirables graves qui ont été déclarés dans la base nationale de pharmacovigilance », a répondu l'agence de santé.

Il y aurait eu, parmi ces 1 505 effets graves, 22 cas avec déficit identifié, soit 1,5 %, révèle l'ANSM. « Parmi les 1 505 cas graves notifiés, 133 ont abouti à un décès, précise l'agence sanitaire. Parmi ces 133 décès, 8 patients ont été déclarés comme présentant un déficit en DPD (6 % des décès) ».

Pour Joseph Ciccolini, il faut aller plus loin, les cas de toxicité les plus graves pouvant être évités. Selon lui, le dépistage du DPD a aujourd'hui la fiabilité nécessaire et il est d'ores et déjà possible de le proposer à un maximum de patients sur le territoire national. « Aujourd'hui, le maillage existant, bien qu'imparfait, peut satisfaire la demande en France, estime-t-il. Il existe aujourd'hui 17 laboratoires hospitaliers et 1 laboratoire privé qui réalisent la détection d'un déficit en DPD, tous tests confondus. Certains centres, comme l'HEGP à Paris ou à Lille, tournent déjà à plusieurs centaines de tests par mois. La proximité est un facteur important d'accès aux soins, c'est pourquoi le GPCO réfléchit avec l'INCa au moyen de densifier le maillage des laboratoires ».

Pour le pharmacologue marseillais, le défaut d'accès au typage GPD est surtout lié à un manque d'information des médecins. « Les médecins ne savent pas vers qui se tourner, poursuit-il. Ils ne savent pas où envoyer les tubes, combien ça coûte - 110 euros pour le génotypage, 40 pour un phénotypage - et qu'il existe une possibilité de remboursement, ces actes étant inscrits au référentiel des actes hors nomenclature ».

Plusieurs modalités de dépistage possibles

Le « hic », c'est que tous les tests ne sont pas d'efficacité tout à fait comparable, ni disponibles de la même façon, ce qui freine depuis longtemps les autorités à prendre position. « Le génotypage est beaucoup plus répandu que le phénotypage, précise Joseph Ciccolini. Le GPCO propose d'étendre le nombre de polymorphismes délétères à rechercher à 4 variants alléliques pour le génotypage. Ce n'est pas parfait mais hautement spécifique, très simple et facilement automatisable. Certes il est toujours possible de passer à côté d'autres variants alléliques très rares, mais ces 4 polymorphismes permettraient d'éviter les cas de surtoxicité les plus dramatiques. La technique de phénotypage est très sensible mais requiert plus de technicité et nos nouvelles recommandations proposent un seuil d'alerte validé pour le taux d'uracilémie. L'idéal est de combiner les deux techniques, génotypage et phénotypage, avec un score composite, ou au moins d'utiliser l'une de ces deux techniques. Un abaque simple permet de guider le prescripteur ».

Le dépistage, par l'une des trois techniques, permet d'adapter les doses sans perdre en efficacité, assure Joseph Ciccolini. « Il est très rare de recommander de ne pas traiter, explique-t-il. Le plus souvent, on adapte les doses et on guide le prescripteur selon le niveau de déficience, soit en supprimant le bolus du 5-FU, soit en réduisant la posologie de 20 à 50 %. À l'AP-HM, où le typage des patients est systématique depuis 10 ans comme cela est fait aussi dans d'autres centres, des études en vie réelle dans les cancers colorectaux et ORL montrent que réduire la posologie chez les patients déficients permet de limiter la toxicité tout en maintenant des taux de réponse comparables aux patients non déficients recevant une pleine dose ».

Il existe une part d'accident qui restera toujours imprévisible, reconnaît néanmoins le pharmacologue. « Lors d'une étude à la Timone, sur plus de 800 patients dans les années 2000, 25 % des toxicités sévères et 15 % des décès toxiques ne semblaient pas imputables à un déficit en DPD », détaille-t-il.

Quant au Vistogard, cet antidote disponible en France sous ATU, il est surtout intéressant en cas d'exposition accidentelle, par exemple de surdose accidentelle, lorsque la situation à risque est identifiée très rapidement, souligne Joseph Ciccolini. « Le produit est efficace dans les 4 jours suivant la fin de l'administration de la chimiothérapie développe-t-il. Dans la situation d'une toxicité liée à un déficit en DPD, la toxicité apparaît dans les 2 à 3 jours après la perfusion et il se passe quelques jours supplémentaires avant que le patient et son entourage s'inquiètent vraiment. Le temps d'obtenir le produit, il est souvent trop tard et le dépistage préventif reste aujourd'hui la meilleure stratégie ». Le GPCO UNICANCER travaille au développement d'une interface téléchargeable gratuitement sur téléphone mobile calculant le niveau de réduction de doses, en fonction du typage DPD.

 

 

 


Source : Le Quotidien du médecin: 9641