Cancer du poumon EGFR muté : avantage à l’association osimertinib/chimiothérapie

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Publié le 14/12/2023
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L’association d’emblée de la chimiothérapie à la thérapie ciblée permet d’allonger la durée de réponse sans progression… au prix toutefois d’une toxicité plus importante. Les données sur la survie totale seront connues dans deux ans.

Certains cancers pulmonaires non à petites cellules (CNPC) comportent des mutations activatrices du récepteur au facteur de croissance épidermique (EGRF). Ils représenteraient 12 % des cas en France. Ces cancers bénéficient des anti-tyrosine kinases inhibitrices de ces récepteurs. Parmi eux, l’osimertinib, un inhibiteur de troisième de génération, est un inhibiteur sélectif et irréversible de ces récepteurs tant natifs que mutés, particulièrement actif sur les métastases cérébrales. En 2018, l’essai de phase III Flora a mis en évidence sa supériorité en première ligne, comparativement aux inhibiteurs de première génération (erlotinib, géfitinib). C’est pourquoi c’est aujourd’hui le traitement de référence en première ligne de ces tumeurs en phase localement avancée ou métastatique. Néanmoins, malgré l’allongement de la survie sans progression et de la survie totale, la plupart des patients finissent par ne plus répondre. Peut-on faire mieux, en associant d’emblée ce traitement à la chimiothérapie (pemetrexed plus platine), habituellement réservée à la seconde ligne de traitement ? Il semble bien que oui.

L’étude de phase 3 Flaura 2, explorant l’activité et la toxicité en première ligne de cette association, versus osimertinib en monothérapie, met en évidence un allongement significatif de la durée de réponse sans progression dans le groupe osimertinib/chimiothérapie (1). Au prix néanmoins d’une augmentation des toxicités de grade 3 chez des patients plutôt en bon état général (Ecog 0 ou 1), qui suggère que l’association n’est peut-être pas à privilégier systématiquement pour tous les patients. Sans compter qu’il faut attendre encore deux ans pour savoir si ce bénéfice en survie sans progression se traduira bien par un allongement de la survie totale.

Cette étude de phase III internationale coordonnée par le Pr David Planchard (Institut Gustave Roussy, Villejuif) porte sur des sujets adultes porteurs d’un CNPC à EGFR muté, au stade avancé ou métastatique non prétraité par thérapeutique systémique. L’analyse génomique de la tumeur devait avoir mis en évidence une des deux principales mutations, à savoir une délétion sur l’exon 9 et/ou une mutation p.Leu858Arg (L858R), seules ou associées à d’autres mutations de l’EGFR.

Seuls les patients en bon état général — Ecog à 0 ou 1 — étaient inclus. Les patients porteurs de métastases cérébrales, sous réserve d’être neurologiquement stables, étaient éligibles.

577 patients naïfs à un stade localement avancé ou métastatique

Au total, 577 patients ont été randomisés. Ils ont 61 ans d’âge médian et environ 60 % sont de sexe féminin. Parmi eux, 40 % avaient des métastases cérébrales. Leur Ecog est de zéro pour un tiers d’entre eux, d’un pour les deux autres tiers.

À noter que les deux tiers de ces patients sont asiatiques, région où ces tumeurs mutées sont bien plus fréquentes puisque retrouvées dans 35 % des cas.

Les patients ont été randomisés en deux bras : osimertinib à dose recommandée (80 mg/j VO) en monothérapie, versus osimertinib VO plus chimiothérapie standard associant pemetrexed et platine en IV (cisplatine ou carboplatine).

Le critère primaire est la survie sans progression. Les taux de réponses, les toxicités et la survie globale constituent des critères secondaires.

Amélioration de près de 40 % de la survie sans progression

Au total, le taux de survie sans progression est significativement plus élevé, de presque 40 % en valeur relative, dans le bras sous osimertinib/chimiothérapie versus osimertinib : RR = 0,62 [0,49-0,79] ; p < 0,001. « Les survies médianes sans progression sont respectivement de 25,5 versus 16,7 mois. Soit globalement un bénéfice de près de 10 mois sous osimertinib/chimiothérapie », soulignent les auteurs. À deux ans, le taux de survie sans progression est de 57 % dans le bras osimertinib/chimiothérapie versus 41 % dans le bras osimertinib seul.

« Ce bénéfice est retrouvé dans tous les sous-groupes, y compris en fonction du type de mutation et de la présence ou pas de métastases cérébrales », ajoutent-ils. Chez les patients présentant une délétion de l’exon 9, on est à 28 mois de survie médiane sans progression dans le bras osimertinib/chimiothérapie, versus 19 mois dans le bras osimertinib. Chez les patients présentant une mutation L858R, on est respectivement à 25 versus 14 mois.

En présence de métastases cérébrales, la survie médiane sans progression dans le bras osimertinib/chimiothérapie est de 25 mois versus 14 mois dans le bras osimertinib. Quand il n’y en a pas, on est respectivement à 27 versus 21 mois.

Par ailleurs, les taux de réponses objectives — totales ou partielles — sont augmentés. On est globalement à 83 % versus 76 % de réponses. Il en est de même des durées médianes de réponse, respectivement de 24 mois sous osimertinib/chimiothérapie versus 15 mois sous osimertinib seul.

Enfin, à 24 mois de suivi, on est à 79 % de survie globale dans le bras osimertinib/chimiothérapie versus 73 % dans le bras osimertinib. « Cette analyse est encore trop précoce mais montre toutefois que l’association ne réduit pas la survie », tempèrent les auteurs.

Plus de toxicités hématologiques dans le bras association

Le suivi n’a pas mis en évidence de toxicités non attendues dans le bras association. Le profil de sécurité correspond à ceux de l’osimertinib et de la chimiothérapie. Sans surprise, l’incidence des toxicités de grade 3 est plus élevée dans ce bras association : on est à 64 % versus 27 % de toxicités de grade 3.

On a observé en particulier 71 % de toxicités hématologiques de tout grade, versus 24 %. Une maladie pulmonaire interstitielle ou une pneumopathie ont été observées chez 3 % versus 4 % des patients et une toxicité cardiaque chez 9 % versus 4 % des patients.

« Au vu de ces toxicités et de la nécessité d’administration IV de la chimiothérapie, l’association - si elle tient ses promesses en termes de survie globale pourrait être privilégiée chez certains patients en particulier ceux présentant des métastases cérébrales », propose l’éditorial accompagnant cette publication (2).

(1) D. Planchard et al. Osimertinib with or without chemotherapy in EGFR-MutatedAdvanced NSCLC. N Engl J Med. 2023 Nov 23;389(21):1935-48

(2) YL Wu, Q Zhou. Combination therapy for EGFR-mutated lung cancer. N Engl J Med. 2023 Nov 23;389(21):2005-7

Pascale Solère

Source : lequotidiendumedecin.fr