Cancer et trouble psy, un parcours semé d'obstacles

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Publié le 22/09/2023
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Crédit photo : BURGER / PHANIE

Les femmes souffrant de troubles psychiatriques ont une espérance de vie réduite de 13 ans, les hommes, de 16 ans. Et les taux de mortalité prématurée sont quadruplés par rapport à la population générale. Ces inégalités ne peuvent s'expliquer uniquement par le poids des comportements individuels ou les problèmes mentaux eux-mêmes ; ils témoignent surtout de l'angle mort dans lequel est reléguée la santé somatique des patients psychiatriques, comme le montre, dans le domaine du cancer, une nouvelle étude de la spécialiste Coralie Gandré* publiée dans Questions d'économie de la santé ce mois de septembre.

Dès la phase diagnostique, les patientes atteintes d'un cancer du sein avec un trouble sévère préexistant (environ 1 500 sur 97 000 femmes ayant un cancer de ce type, selon les chiffres de 2013 et 2014), cumulent les vulnérabilités. Elles sont plus nombreuses que les cas témoins à relever de la couverture maladie universelle complémentaire et à habiter dans des communes défavorisées. Et leur cancer est plus souvent détecté au stade métastatique, selon les chiffres tirés des données du système national des données de santé (SNDS).

Délais dans la prise en charge

L'entrée dans le parcours de soins est plus chaotique : elles sont moins susceptibles de bénéficier de tous les examens diagnostiques, notamment de la combinaison mammographie et biopsie du sein (odds ratios ajustés [ORa] de près de 0,5, voire de 0,8 pour l'IRM). Elles sont aussi moins susceptibles de recevoir leur premier traitement pour cancer dans les délais adéquats (ORa : 0,75) et même d'avoir une biopsie en moins de deux semaines, après une mammographie (ORa : 0,91), ou avant le premier traitement (ORa : 0,65).

Le retard au diagnostic et les découvertes fortuites s'expliquent, lit-on, par une mauvaise appréciation de la plainte « comprise comme un symptôme du trouble psychique ou un effet de son traitement » par le médecin, quand elle n'est pas sous-estimée par le patient lui-même, qui peut avoir une perception de la douleur modifiée sous l'effet des neuroleptiques.

De moins bons traitements

En termes de soins anticancéreux, les femmes cumulant cancer du sein et trouble psy reçoivent davantage de traitements invasifs (mastectomies totales, ORa : 1,4) et se voient proposer moins de chirurgies conservatrices (mastectomie partielle ou tumorectomie) et de combinaisons chirurgie + radiothérapie + chimiothérapie (ORa : 0,8). Ces inégalités perdurent jusqu'au décès, puisque la mortalité par cancer des femmes souffrant de trouble psy est supérieure à celle des cas témoins et que leurs fins de vie se déroulent souvent dans la plus grande solitude.

Ces choix thérapeutiques peuvent s'expliquer par des facteurs cliniques, néanmoins ils « interrogent la façon dont s'ordonnent les priorités des médecins quand il s'agit de femmes en situation de handicap. Les professionnels pourraient minorer les conséquences d'une mastectomie totale pour cette population et l'enjeu de préserver un attribut associé à la féminité », lit-on. Pourraient aussi jouer les « inquiétudes des professionnels quant à la capacité des personnes vivant avec un trouble psychique à gérer les multiples rendez-vous médicaux ou à supporter des examens ou traitements pénibles », ou encore à être observants et à supporter les effets secondaires.

Attention aux généralités

Au-delà du quantitatif, l'intérêt de l'article tient à l'analyse qualitative menée par l'équipe de Coralie Gandré, qui permet d'éviter « toute tentation d'homogénéiser indûment » ce groupe de patients. Des entretiens ont ainsi été menés auprès de 42 professionnels de santé, 14 patients et 6 aidants.

Sans nier le risque de « formes de stigmatisations discrètes et persistantes », certains écarts dans les choix thérapeutiques répondent à des demandes explicites des personnes ou sont l'aboutissement d'une réflexion éthique. En outre, « est apparu de façon inattendue un sentiment de déstigmatisation vécu par les personnes avec un trouble psychique lors de la prise en charge du cancer ». Plusieurs explications : la maladie visible est moins honteuse que la pathologie psychiatrique ; les patients ne sont pas considérés seulement sous le prisme de leur trouble ; la prise en charge est plus « digne » en cancérologie qu'en psychiatrie ; certains, forts de leur expérience de la maladie, deviennent des patients modèles.

L'une des clefs dans le vécu du parcours de soins est la présence des proches, soulignent les autrices. Et de conclure en insistant sur l'importance de développer les prises en charge globales en soins primaires et les dispositifs à l’intersection entre soins somatiques et psychiatriques.

* En collaboration avec le consortium Canopée, Irdès, École des hautes études en santé pubique (EHESP) et GHU Paris psychiatrie et neurosciences et universités de Nantes et Nanterre.  


Source : lequotidiendumedecin.fr