Autotest de l'allergie, du cholestérol total, de l'anémie par carence en fer, de la maladie de Lyme, de l'Helicobacter pylori, du VIH…
En quelques années, le nombre d'autotests disponibles en pharmacie a explosé. Après les tests de grossesse, d'ovulation et de consommation de stupéfiant ou d'alcool, les trois principaux fabricants et distributeurs en France, (Mylan, Alere et Medisur), se sont attaqués à l'orientation diagnostique de diverses pathologies et proposent désormais des dispositifs de mesure pour 13 variables biologiques, du taux d'IgE aux anticorps anti-toxine tétanique.
Cette multiplication de l'offre inquiète : dans son rapport sur le sujet publié le 12 février dernier, l'Académie de pharmacie constate un développement « sans réel contrôle » de ces tests. Dans un autre texte publié également en février, les principaux syndicats de biologistes dénoncent « un contexte de flou juridique » et une « absence de d'études scientifiques satisfaisantes ».
Message brouillé
Pour des acteurs de la santé publique, au-delà de la question de la fiabilité, la présence de certains de ces autotests en pharmacie entre en collision avec les modalités de dépistage déjà disponibles. C'est notamment le cas du dépistage des cancers colorectal et de la prostate : les autotests de dosage du PSA et de détection du sang dans les selles interrogent l'INCa, comme nous l’illustre le responsable du département dépistage, Frédéric de Bels : « Il est difficilement compréhensible que de tels tests soient proposés en dehors de toute recommandation et sans contrôle. »
Alors que le programme de dépistage du cancer colorectal, basé sur la remise de kits de dépistage remis par le médecin traitant aux patients de plus de 50 ans, monte encore en charge, l’ambiguïté introduite par ces autotests, disponibles en pharmacie, pose question : « L'efficacité du programme de dépistage n'est pas contestée et nous avons déjà beaucoup de mal à mobiliser les patients en termes de participation, explique Frédéric de Bels. C’est plutôt vers ce programme qu’il faut orienter les patients. En regard, nous ne disposons que de la notice des autotests et tout ce que l’on peut dire est que les autotests sur le cancer colorectal n’ont pas fait l’objet d’études de grande envergure en situation de dépistage. Ce n'est pas le moment de troubler le discours avec des autotests dont on ne connaît ni la sensibilité, ni la spécificité, ni même le fonctionnement exact », explique Frédéric de Bels. Ce test pourrait générer de véritables pertes de chance par exemple en rassurant à tort.
Quels seuils ? Pour quelle interprétation ?
Les autotests colorectaux et prostate sont semi-quantitatifs, et n'indiquent un résultat que lorsqu'un seuil de détection est atteint. Pour les tests prostate, le seuil retenu est de 4 ng/mL de PSA. Une limite pas nécessairement pertinente, selon le Pr Olivier Cussenot, chef du service d’urologie de l’Hôpital Tenon. « Il y a une forte variabilité individuelle à apprécier en fonction d'un contexte clinique, explique-t-il. Pour certains patients, un taux de PSA sera inquiétant avant 4 ng/mL. L'autre problème est que le grand public lie intimement le dosage PSA au dépistage du cancer de la prostate, alors que c'est un marqueur des maladies prostatiques en général qui n'est pas utile pris seul. » En 2012, l'ANSM avait interdit à la vente des autotests du dosage PSA. Cette décision a par la suite été annulée par le conseil d'État en 2015.
Qui plus est, ajoute Frédéric de Bels « ces autotests sont positionnés de façon erronée : les autotests colorectaux sont proposés de manière annuelle aux personnes de plus de 50 ans sans distinction, oubliant que la recommandation est de le faire tous les deux ans et que c’est la coloscopie qui est recommandée pour les patients ayant des antécédents. Par ailleurs, les informations fournies dans les notices sont erronées ou incomplètes, notamment quant aux bénéfices et aux limites de ces dépistage et de ces tests. »
Que faire des Helicobacter ?
Pour d'autres autotests, c'est la pertinence de la variable biologique mesurée qui est questionnable. Ainsi l'Académie de médecine rappelle que la mesure de l'élévation sanguine des IgE « ne présente pas d'intérêt médical avéré dans le cadre d'un dépistage d'une allergie ». Autre exemple : les autotests de détection des infections gastriques par Helicobacter pylori susceptibles de provoquer des gastrites chroniques.
En France, le diagnostic et le traitement des infections gastriques par Helicobacter pylori ne sont recommandés par la HAS que chez les personnes ayant des antécédents familiaux au premier degré de cancer gastrique et celles nécessitant un traitement par anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) au long cours. « Il y a les patients souffrant d'ulcères, ajoute le Pr Franck Zerbib, secrétaire général de la société nationale française de gastroentérologie (SNFGE), ainsi que ceux qui prennent des inhibiteurs de la pompe à proton au long cours, les patients souffrant de lymphomes gastriques, les anémies ferriprives, les patients carencés en vitamine B12 ou souffrant de purpura thrombopénique. »
Pour le Pr Zerbib, les autotests de recherche d'Helicobacter Pylori « représentent un problème : je ne sais pas quel est l’intérêt de pratiquer un tel test sans avis médical. Même dans des laboratoires de biologie médicale, les sérologies diffèrent d'un laboratoire à l'autre. Je n'ose imaginer ce que cela peut donner avec des autotests », craint-il. Pour la recherche d'H. pylori, le Pr Zerbib préconise l'endoscopie ou, si ce n'est pas possible, une sérologie ou un test respiratoire à l’urée marquée.
Certains autotests VIH plébiscités
Tous les autotests ne sont pas logés à la même enseigne. L'Académie de pharmacie estime que les autotests VIH, les tests de détection de l'infection urinaire et de détection des anticorps antitétaniques (pour vérifier son statut vaccinal) présentent un intérêt. Comparés aux tests de laboratoire (Elisa de 4e génération), les autotests VIH sont peu sensibles en période d’infection récente, ce qui n'empêche pas la HAS de le considérer comme des « outils complémentaires au dispositif de dépistage actuel ».
Situés dans une « zone grise », les dispositifs permettant la détection de l'hypoferritinémie, de l'hypothyroïdie et de l'hypercholestérolémie totale sont considérés comme potentiellement utiles par l'Académie de pharmacie, à condition de s'inscrire dans le contexte d'un suivi « en amont et en aval », associé à « une interprétation contextualisée et/ou des examens complémentaires ».
Les syndicats de biologistes aimeraient que l'utilisation d'autotests de suivi médicamenteux suive l'exemple décrit de l'auto-mesure de l'INR chez les patients sous anti vitamine K. Depuis 2017, un dispositif est autorisé et remboursé par la sécurité sociale, à condition que le patient soit formé à son utilisation et à l'interprétation des résultats. Cette formation doit être validée par le passage d'un examen, et des examens réguliers en laboratoire permettent d'éviter toutes dérive des résultats.
Les TROD, à généraliser ?
Également traités dans le rapport de l'Académie de pharmacie, les tests rapides d'orientations diagnostiques (TROD), sont jugés utiles car leur usage est mieux défini par la loi (voir encadré). Les académiciens demandent qu'il soit permis aux pharmaciens de réaliser des TROD « tests urinaires » et « recherche d’anticorps antitétaniques », afin d'accélérer la prise en charge thérapeutique. Le TROD « glycémie capillaire » est également considéré comme pouvant être généralisé au-delà des campagnes de prévention, à toute personne présentant des risques de diabète de type 2.