Un centre de cancérologie expérimental

Le Pr Goldwasser veut retrouver le fil d’Ariane

Publié le 15/02/2010
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QU’APPORTE le progrès médical, en général, mais aussi dans le domaine de la cancérologie ? Moins de guérisons qu’une « explosion » du nombre de patients rendus « apte à vivre longtemps avec la maladie », estime le Pr François Goldwasser, cancérologue à l’hôpital Cochin. « Les cancers sont maintenant des maladies chroniques » qui surviennent, en moyenne, à un âge où l’on cumule des pathologies. À la chronicité s’ajoutent donc la complexité de la prise en charge et la vulnérabilité du patient.

C’est de ce triple constat qu’est née l’idée de créer un centre de soin « qui n’existe nulle part ailleurs » et dont le nom est emblématique : Ariane, un fil qui permet de s’y retrouver « dans le labyrinthe de l’hôpital et de la maladie ». « Actuellement, la médecine est déclinée par spécialités anatomiques ou techniques. Face à un patient qui a un cancer et un problème psychiatrique ou un cancer et un problème cardiologique, le médecin ne sait plus quoi faire. Il y a une nécessité d’un mouvement de balancier pour que la surspécialisation n’aboutisse pas à un hyperéclatement de la prise en charge jusqu’à l’absurde ».

Évaluation précoce.

Le futur centre Ariane aura une mission d’accueil et d’information mais surtout, et c’est ce qui en fait « son intérêt sur le plan expérimental », permettra un temps d’évaluation pluriprofessionnelle (médecins, infirmières, psychologues, diététiciens, assistantes sociales) et pluridisciplinaire (anesthésistes, cardiologues, cancérologues, gériatres, diabétologues, psychiatres...) sur chaque patient. Cette évaluation précoce des besoins et des risques donnera lieu à une synthèse, préalable à la Réunion de concertation pluridisciplinaire en cancérologie, la « RCP », dont les critères sont précisés dans le plan Cancer. C’est en fonction de tous ces paramètres que le traitement le plus « performant » et le plus « raisonnable » sera défini.

Raisonnable en quoi ? En ce qu’il prendra en compte les souhaits de la personne. « C’est un aspect qui nous ramène à l’éthique, poursuit le cancérologue, coordonnateur de ce projet. Aujourd’hui, entrer à l’hôpital devient dangereux, au sens qu’il y a une tendance à l’automatisation des décisions. Il y a des réponses techniques mais pas d’interrogations systématiques sur le sens. En cancérologie, cet aspect est important, car il y a un enjeu vital, des soins lourds, éventuellement des effets indésirables : la question de la proportionnalité des soins se pose. Dans un contexte d’urgence, la personne est très vulnérable. Si, en amont, dans le cadre d’une procédure systématique et réitérée, on l’invite à exprimer ses souhaits et éventuellement les limites qu’elle fixe, on a des points de repère. C’est l’autre point original du centre : nous voulons intégrer la personne de manière systématique, dès l’entrée dans le système. À l’hôpital, la loi Leonetti (loi de 2005 sur la fin de vie) n’est pas du tout connue. Il y a encore du boulot. Le cas clinique de Vincent Humbert finit par l’euthanasie mais commence par la question de l’acharnement thérapeutique. Dans le centre Ariane, nous voulons, en quelque sorte, prévenir les demandes d’euthanasie. »

Le soignant référent, celui qui devra vérifier que le patient a non seulement compris le rapport bénéfice-risque mais également qu’il adhère au projet, ne sera pas un (ou une) médecin mais une (ou un) infirmière : elle aura également la responsabilité de la cohérence du parcours de soins, depuis la prise de rendez-vous au choix, par exemple, d’une structure d’aval.

Soin global.

Il y a deux autres défis que François Goldwasser entend relever grâce à Ariane. En premier, celui de réconcilier la médecine technique et un soin plus global s’appuyant sur le mode de vie, à travers l’éducation diététique et sportive. « À mon sens, en cancérologie, on devrait passer autant de temps à expliquer ce qu’il faut manger qu’à expliquer une chimiothérapie. Il faut aussi prendre en compte le traumatisme psychique et aider le patient à recréer une harmonie entre le corps et l’esprit. Ces trois dimensions (diététique, sportive et psychique), extrêmement pauvres aujourd’hui, ne sont pas en opposition avec la prise en charge médicamenteuse, elles l’élargissent. »

Le second défi n’est pas le moins intéressant en période de restrictions budgétaires. Intégrée au centre, une « cellule d’évaluation médico-économique » aura pour but de calculer le coût réel d’un parcours de soin (hospitalisation, médicaments, ambulance, etc.). « La question est : à égalité de qualité de soins, ai-je choisi la solution la plus performante sur le plan économique ? On n’aura pas forcément la réponse avant de faire un choix, mais, au moins, on pourra disposer de cette information. Le but, c’est que cette évaluation soit faite à partir de cas plutôt que globalement et aveuglément, et donc de pouvoir faire de réelles économies sans qu’elles soient pénalisantes pour le malade ».

Ariane devrait être fonctionnel dans le courant de 2010, en attendant des locaux définitifs, précise le Pr Goldwasser. Car ce projet s’inscrit dans le contexte de la restructuration de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et de sa volonté de constituer un centre de cancérologie associant l’hôpital Cochin à celui de l’Hôtel-Dieu. Ce centre devrait reposer sur quatre piliers : un pôle de cancérologie, un laboratoire de transfert moléculaire en cancérologie, un centre d’investigation clinique et le centre Ariane.

* Colloque présidé par le Dr Régis Aubry, coordonnateur du programme national de développement des soins palliatifs.

STÉPHANIE HASENDAHL

Source : Le Quotidien du Médecin: 8709