Des dispositifs implantables pourraient être testés

Les cellules endothéliales, une arme anti-cancer

Publié le 25/01/2011
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DE NOTRE CORRESPONDANTE

LA CROISSANCE du cancer et les métastases sont régulées en partie par les cellules du stroma, tels les fibroblastes et les cellules immunes au sein du microenvironnement tumoral.

Les cellules endothéliales (CE), qui tapissent les vaisseaux sanguins, sont abondantes dans les tumeurs solides ; toutefois leur impact au sein des tumeurs n’est pas bien compris.

L’intégrité des CE va souvent de pair avec la santé tissulaire, notamment dans le système vasculaire, ou les CE saines suppriment chaque phase de la maladie vasculaire, dont l’inflammation et la prolifération, tandis que les CE dysfonctionnelles accentuent la lésion en favorisant ces processus.

Le Pr Elazer Edelman (MIT, Cambridge et Harvard Medical School, Boston), Joseph Frances et coll., ont pensé que les cellules endothéliales pourraient jouer un rôle similaire dans les tumeurs. Elles pourraient réguler le comportement des cellules cancéreuses, favorisant l’homéostasie lorsqu’elles sont saines et stimulant le cancer lorsqu’elles sont dysfonctionnelles.

Dans une étude publiée dans la revue « Science Translational Medicine », ils montrent que les cellules endothéliales libèrent des facteurs qui inhibent la prolifération et le pouvoir invasif des cellules cancéreuses du poumon et du sein in vitro.

Un protéoglycane qui régule l’angiogenèse tumorale.

De plus, l’altération du sécretome des CE peut modifier ce phénomène de régulation du cancer. En effet, les chercheurs ont inhibé l’expression par les CE du perlecan, un protéoglycane majeur régulant la biologie vasculaire et l’angiogénese tumorale. Une baisse (de 50 %) de la sécrétion de perlecan par les CE élimine leur capacité à inhiber le pouvoir invasif des cellules cancéreuses, via une augmentation de la sécrétion de l’IL-6. Ainsi, lorsque les CE sécrètent de larges quantités de perlecan mais peu d’IL-6, elles suppriment efficacement l’invasion des cellules cancéreuses, tandis qu’elles sont inefficaces lorsque l’IL-6 prédomine sur le perlecan.

Enfin, lorsqu’ils ont implanté des CE incluses dans des matrices poreuses (gélatine 3D) à proximité de tumeurs xénogreffées chez des souris, ces implants ont ralenti la croissance tumorale.

De même, lorsque des cellules de carcinome pulmonaire ont été prétraitées en culture avec des facteurs sécrétés par les CE (milieu conditionné par des CE intactes), leur potentiel métastatique a été réduit après leur injection intraveineuse chez la souris.

Une lutte permanente.

Selon les chercheurs, il existerait une lutte constante entre les cellules cancéreuses et les cellules endothéliales, les cellules endothéliales triomphant la plupart du temps. «  Nous sommes tous exposés à des facteurs qui causent le cancer, mais relativement peu d’entre nous développent la maladie. Nous pensons que le mécanisme de contrôle gagne la plupart du temps, mais lorsque l’équilibre s’inverse, alors le cancer domine », explique le Pr Edelman. Cette lutte dépend aussi de la matrice extracellulaire. « Plus une cellule cancéreuse est agressive, plus elle a de chances de dominer les cellules endothéliales et la matrice extracellulaire, ce qui lui permet alors de se propager aux autres tissus. »

Développés il y a plusieurs années par le Pr Edelman, les dispositifs de « CE incluses dans une matrice » ont été implantés en essais cliniques autour de vaisseaux sanguins opérés, et ils ont permis d’améliorer le contrôle local de la thrombose et de l’infection, sans effet néfaste majeur. De plus, grâce à leur inclusion dans une matrice, les CE allogènes peuvent être implantées sans provoquer de rejet chez les patients.

Les chercheurs imaginent que ce dispositif implantable de CE incluses dans la matrice pourrait être utilisé chez les patients cancéreux, soit pour réduire la tumeur avant excision, soit pour sensibiliser les tumeurs à la radiochimiothérapie, ou encore pour limiter la métastase et la récurrence après l’excision.

La compagnie américaine Pervasis Therapeutics, qui compte parmi ses premiers fondateurs le Pr Edelman, développera en clinique cette nouvelle approche thérapeutique basée sur les CE incluses dans une matrice pour cibler l’environnement tumoral (ou écosystème) et prévenir la récurrence du cancer.

Ce travail pourrait aussi expliquer pourquoi des thérapies inhibant l’angiogenèse n’ont montré qu’un bénéfice transitoire et modéré chez les patients cancéreux. « On prive la tumeur de son approvisionnement de sang, mais on endommage aussi les cellules endothéliales des vaisseaux sanguins de la tumeur ; aussi lorsque la tumeur revient, il n’y a plus rien qui la tenir en échec », propose le Pr Edelman. « Les vaisseaux nourrissent la tumeur, mais leur cellules endothéliales contrôlent les cellules cancéreuses au sein de la tumeur. L’administration des cellules endothéliales sans les vaisseaux sanguins procure le meilleur des deux mondes, et pourrait peut-être un jour offrir une nouvelle voie thérapeutique du cancer. »

Science Translational Medicine, Frances et coll., 19 janvier 2011

Dr VÉRONIQUE NGUYEN

Source : Le Quotidien du Médecin: 8892