On estime que 40 % des patients atteints d’un cancer de la prostate sont, 6 mois après le diagnostic sous hormonothérapie anti-androgénique (HAA), que ce soit par les analogues ou par des antagonistes de la LH-RH (ou GnRH). On sait aussi que la mortalité à long terme est plus souvent liée à des causes CV qu’au cancer lui-même. Quel peut être le lien avec l’hormonothérapie ? Les grandes méta-analyses, en particulier celle de N’Guyen (1), concluaient qu’elle était bénéfique sur la mortalité et neutre vis-à-vis du risque CV, tout en précisant que cette conclusion ne s’appliquait pas en cas d’antécédents CV ! Or le cancer de la prostate concerne généralement une population d’hommes d’un certain âge, avec déjà des antécédents CV ou un certain nombre de facteurs de risque.
Un surrisque cardiovasculaire « dans la vraie vie »
« Les essais randomisés, menés chez des patients très sélectionnés ne renseignent pas le risque CV. Mais les données de la réalité sont loin d’être aussi rassurantes », alerte la Dr Cautela. Une méta-analyse, menée sur près de 130 000 patients issus de cohortes observationnelles recevant une HAA, montre très clairement l’existence d’un surrisque de complications et de mortalité CV en cas de déprivation androgénique (2). Mêmes conclusions dans une autre méta-analyse (3) : sous analogues de la GnRH, on constate une augmentation significative des infarctus du myocarde fatals ou non (HR = 1,57) et des AVC (HR = 1,51). De plus, les évènements CV sont également multipliés par 1,24 après une orchidectomie et par 1,21 sous privation androgénique en général. « Ce surrisque est majeur dans les 6 à 12 mois, quel que soit le type de traitement, et de façon d’autant plus rapide et plus importante qu’il existe déjà des antécédents CV », insiste la cardiologue. Dans une autre cohorte (4), les patients atteints de coronaropathie ou d’insuffisance cardiaque ont une mortalité globale pratiquement multipliée par 2 sous déprivation androgénique (26,3 % vs 11,2 %, p = 0,04), ce qu’on ne constate pas chez ceux indemnes de pathologie CV ou n'ayant qu’un seul facteur de risque.
Les antagonistes de la GnRH moins défavorables que les agonistes ?
Si on compare agonistes et antagonistes de la GnRH, une méta-analyse (5) montre peu de différences sur la mortalité CV, sauf en cas d’antécédents CV, où la mortalité CV est diminuée de moitié à un an sous antagonistes de la GnRH. Une étude spécifique est en cours afin de les comparer directement.
De l’obésité abdominale à la rupture de plaque
La différence entre agonistes et antagonistes de la GnRH pourrait s’expliquer par le fait que les agonistes induisent un « syndrome métabolique expérimental » : augmentation de la masse grasse, de l’insulinorésistance, du LDL-cholestérol et des triglycérides. Sur des modèles murins, on a montré qu’ils agissent aussi directement sur le risque d’accidents thrombotiques artériels et notamment le risque de syndrome coronarien aigue, en déstabilisant la plaque d’athérome via l’activation des lymphocytes T et des récepteurs GnRH présents au niveau de la plaque. De plus, le risque lié à la déprivation androgénique elle-même favorise l’obésité viscérale, les états préthrombotiques et diminue la vasodilatation ainsi que le HDL-cholestérol.
Et en pratique ?
Actuellement, ce potentiel risque CV chez les patients traités pour un cancer de la prostate est cité dans les recommandations destinées aux urologues et dans un « position paper » de l’ESC (6), en suggérant une évaluation cardiologique préalable chez les patients à haut risque CV mais sans proposer de stratégie pratique.
Avant le traitement, l'idéal serait d'évaluer le risque CV sur le plan clinique et biologique (calcul du SCORE risque) afin d’introduire ou d’optimiser les traitements cardioprotecteurs. Chez les patients à haut risque CV, il faudrait également rechercher, par un test d’ischémie par exemple, une coronaropathie significative méconnue, susceptible de se déstabiliser sous déprivation androgénique. Le BABA de la prévention, c’est… ABCDE : Attention à l'Aspirine et aux symptômes CV, Blood pressure (objectif de PA < 140/90), baisser le Cholestérol et arrêter la Cigarette, traiter le Diabète et adopter des règles hygiéno-Diététiques de base, privilégier l’Exercice physique.
« En cas de facteur de risque ou de cardiopathie constituée, il ne faut surtout pas arrêter le traitement "parce que le patient a un cancer" comme cela était souvent le cas, mais au contraire l’optimiser et être plus proactif. Ainsi, on peut pratiquement maitriser le risque de complications CV tout en permettant l’instauration d’un traitement oncologique efficace », insiste la Dr Cautela. D'ailleurs, plusieurs études ont montré que l’aspirine a aussi un intérêt sur le plan oncologique, puisqu’elle serait associée à une diminution de la mortalité liée au cancer de la prostate. Les inhibiteurs du système Rénine-Angiotensine (SRA) auraient un effet cardioprotecteur chez les patients atteints de cancer du sein, du colon ou de la prostate. Les statines sont doublement bénéfiques, puisqu’en dehors de leur impact CV, elles diminuent le taux de testostérone circulant, facteur de progression du cancer de la prostate.
Les patients seront revus tous les 3 à 6 mois la première année, où le risque d’évènements est le plus important, puis la surveillance sera ensuite adaptée à leur état cardiologique et à la maintenance, ou non, du traitement anti-androgénique.
D’après un entretien avec la Dr Jennifer Cautela, Hôpital NORD (Marseille), Centre Méditerranéen Hospitalo-Universitaire de Cardiologie Oncologique
(1) N’Guyen et al, JAMA ; 306(21): 2359–2356
(2) Zhao & al, PLoS One. 2014 Sep 29;9(9):e107516.
(3) Bosco et al, European Urology 68 (2015) 386–396
(4) Nanda et al, JAMA. 2009;302(8):866-873
(5) Albertsen PC. Eur Urol 2014 ; 3 : 565 -73 [6] Cancer treatments & cardiovascular toxicity 2016 (Position Paper) : https://academic.oup.com/eurheartj/article/37/36/2768/2197413
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