« Dans l’amylose cardiaque (AC), il n’y avait aucun traitement spécifique disponible il y a cinq ans ! Souligne le Pr Jean-Sébastien Hulot, hôpital européen Georges Pompidou (Paris). La survie des patients allait de quelques mois pour l’AC à chaînes légères à quelques années (trois ans environ) pour l’AC à transthyrétine (TTR), la forme la plus fréquente. L’arrivée de traitements spécifiques et efficaces sur la morbimortalité a donc profondément modifié la prise en charge de cette pathologie. Cette maladie rare, à l’origine sans traitement, est devenue une affection à évoquer systématiquement devant toute hypertrophie ventriculaire gauche ou une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée, afin de mettre rapidement en place une prise en charge adaptée ». Ces progrès ont conduit la Société européenne de cardiologie à éditer des recommandations sur le diagnostic et le traitement de l’AC en 2021 (1).
Dans l’AC à TTR, trois cibles thérapeutiques sont possibles : la suppression de la TTR anormale et/ou de sa source principale de synthèse, la résorption des fibrilles amyloïdes toxiques de la TTR, ainsi que la stabilisation de la TTR. Ce dernier mode d’action est celui du premier traitement spécifique disponible, le tafamidis. « Aujourd’hui, chez les patients ayant spécifiquement une atteinte cardiaque avec une amylose à TTR, le tafamidis reste le premier et le seul traitement ayant démontré son efficacité », explique le Pr Hulot. L’étude ATTR-ACT a mis en évidence son action sur la survie après deux ans de traitement. Le tafamidis réduit de 30 % le risque de décès et de 32 % le risque de réhospitalisations pour décompensation cardiaque (2,3). C’est un traitement de première intention de l’amylose à TTR avec cardiomyopathie. Il s’agit du seul médicament disposant d’une autorisation de mise sur le marché dans cette indication.
La piste des ARN interférents
D’autres molécules, étudiées dans un premier temps dans les formes d’amylose avec atteintes neurologiques, font l’objet d’essais cliniques dans l’AC avec des données préliminaires prometteuses. C’est le cas d’un ARN interférent, le patisiran (administré toutes les trois semaines en intraveineuse), qui bloque la production hépatique de la TTR. Dans l’essai Apollo (4), il a démontré son efficacité dans l’amylose à TTR avec atteinte neurologique. Cette étude de phase III a inclus des patients ayant des polyneuropathies, avec ou sans atteinte cardiaque. Une amélioration de l’atteinte cardiaque ayant été observée, un nouvel essai, Apollo-B, a été lancé pour confirmer l’effet du patisiran sur la cardiomyopathie. Ses résultats devraient être publiés dans les prochains mois.
« Autre ARN interférent, le vutrisiran est un dérivé du patisiran avec une stabilisation métabolique de la molécule, ce qui permet une administration par voie sous-cutanée seulement tous les trois mois », explique le Pr Hulot. Son mécanisme d’action est le même. Dans l’étude de phase III Helios-A (5) menée chez des patients avec une amylose héréditaire à TTR entraînant une atteinte neurologique, le vutrisiran montre, versus patisiran, des résultats favorables après neuf mois sur plusieurs critères d’évaluation neurologiques, ainsi qu’une non-infériorité sur la réduction de la TTR sérique. De plus, chez les patients avec une atteinte cardiaque associée, le vutrisiran, comme le patisiran, a entraîné une amélioration des critères d’évaluation cardiaque. Pour confirmer cette tendance favorable, l’essai Hélios-B est en cours chez des patients ayant une AC. Les résultats sont attendus pour 2024.
Oligonucléotide antisens et anticorps monoclonaux
L’inotersen, oligonucléotide antisens, a un mécanisme d’action reposant sur sa liaison au brin d’ARN codant la TTR, qui bloque ainsi la synthèse hépatique de cette protéine anormale. Indiqué dans le traitement de la polyneuropathie en cas d’amylose à TTR héréditaire, il ne fait pas actuellement l’objet d’essais dans les atteintes cardiaques.
À moyen terme, des traitements déplétifs par anticorps monoclonaux auraient le potentiel de nettoyer les dépôts amyloïdes tissulaires. Ils pourraient venir compléter l’action des ARN interférents, en l’absence de dégradation des dépôts par l’organisme. C’est le cas de l’anticorps monoclonal NI 006, qui cible directement les dépôts amyloïdes. Il est actuellement évalué en phase Ib dans le traitement de l'AC à TTR.
Modifier le génome ?
« À plus long terme, la modification du génome par le système CRISPR/Cas9 est un formidable espoir pour éteindre le gène codant pour la TTR, et guérir les patients en stoppant la production de la protéine pathogène », estime le Pr Hulot. Le premier essai chez l’homme a été concluant (6). Il a inclus six patients ayant une amylose à TTR avec neuropathie, avec ou sans cardiomyopathie à TTR. Ils ont reçu un agent thérapeutique d'édition de gènes in vivo conçu pour réduire la concentration de TTR dans le sérum, le NTLA-2001. Chez les sujets ayant reçu de moyennes et fortes doses, les résultats ont été spectaculaires, avec une réduction de 87 % de l’expression de la TTR. Cette baisse persiste, après aujourd’hui un an de recul.
D’après un entretien avec le Pr Jean-Sébastien Hulot, hôpital européen Georges Pompidou (Paris).
(1) Garcia-Pavia P et al. Eur J Heart Fail. avr 2021;23(4):512‑26.
(2) Maurer MS et al. N Engl J Med. 2018 Sep 13;379(11):1007-16.
(3) Damy T et al. Eur J Heart Fail. 2021 Feb; 23(2):277–85.
(4) González-Duarte A et al. J Neurol. 2020 Mar;267(3):703-12
(5) Adams D et al. La Revue de Médecine Interne, Volume 42, Supplement 2, December 2021, Page A404.6.
(6) Gillmore JD et al. N Engl J Med. 2021 Aug 5;385(6):493-502.
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