Cancer agressif, maladie d'Alzheimer, fonction cardiaque… Les utilisations de l'intelligence artificielle (IA) en santé se développent de façon exponentielle. Aux avant-postes, l'imagerie construit des ponts pour d'autres spécialités (cardiologie, neurologie) avides d'algorithmes, même si la question de la responsabilité médicale reste à régler.
De chimérique, l'intelligence artificielle (IA) est devenue en quelques années une réalité dans de nombreuses spécialités médicales qui, sans renier la connaissance clinique, ont fait le pari des algorithmes.
Mais qu'elles utilisent au quotidien l'IA dite symbolique – connaissances fournies par le clinicien et enrichies par la machine – ou le machine learning et le deep learning – lorsque l'appareil compulse tout seul des bases de données, sans intervention humaine –, toutes les disciplines médicales ne sont pas au même degré de maturité.
En croissance exponentielle (50 % par an), le marché de l'IA en santé se structure autour d'une poignée de thématiques : l’aide au diagnostic et à la décision ; les objets connectés et le monitoring ; la gestion du parcours patient et hospitalier ; la recherche biologique et pharmaceutique. En France, l'imagerie médicale (lire ci-dessous) est précurseur dans l'utilisation de l'IA à des fins diagnostiques et pronostiques. « Dans cette spécialité, le rôle de l'intelligence artificielle est d'assister le radiologue dans sa routine clinique, en automatisant des tâches répétitives ou chronophages, et l'aider pour poser un diagnostic, par exemple en cas de suspicion de cancer », explicite Carole Lartizien, chercheuse au Centre de recherche en acquisition et traitement d'images pour la santé (CREATIS, Lyon) à l'occasion d'une conférence au CNRS.
Le médecin maître d’œuvre
« La technique la plus mûre dans le champ de l’IA en santé est, de loin, l’"apprentissage machine" par reconnaissance d’image, qui se diffuse de plus en plus rapidement en radiologie, confirme David Gruson, directeur santé du groupe Jouve, fondateur d'Ethik-IA et professeur à Sciences-Po (chaire santé). De nouveaux cas d’usage émergent également en radiothérapie, avec des algorithmes affinant le contour des rayons. »
Au quotidien, les radiologues utilisent l'aide au diagnostic sur les scanners, les IRM et les mammographies. Les machines analysent alors les images et relèvent des anomalies, sans les qualifier. « Ça peut être des nodules pulmonaires, des polypes ou des calcifications sur les mammographies », complète le Dr Jean-Philippe Masson, président de la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR), qui a lancé en 2018 avec les autres acteurs de la radiologie DRIM France IA, écosystème national d'intelligence artificielle pour l'imagerie médicale.
Dans la spécialité, parfois annoncée comme « en voie d'extinction » à cause de l'intelligence augmentée, la prochaine étape sera d'aller au-delà « des performances humaines », indique Carole Lartizien. Repérer des anomalies invisibles à l’œil nu, fournir des informations sur les caractéristiques d'une lésion, donner le degré d'agressivité d'un cancer : voilà ce que pourrait permettre l'IA demain. Mais, si l'on recherche un résultat maximal, le radiologue doit en rester le maître d'œuvre, prévient le Dr Masson. « Des nouveaux logiciels de deep learning, plutôt mono-organes, commencent à arriver. Leur fiabilité est de 80 %, couplé avec le radiologue, on est à plus de 95 % », souligne le spécialiste.
Du potentiel en cardiologie
À partir de l'imagerie médicale, des ponts s'ouvrent sur d'autres spécialités comme la cardiologie « Une méthode qui marche bien concerne la segmentation du cœur dans les images échographiques, avec les différentes parois, pour calculer la fraction d'éjection du ventricule gauche et ainsi déterminer l'état du patient », apprend Carole Lartizien.
De là à être au cœur de la pratique dans les services et cabinets de cardiologie, il y a encore du chemin. « Les industriels qui nous vendent les scanners et les échographes intègrent bien quelques solutions d'IA, mais le reste est du domaine de la recherche, indique le Dr Franck Albert, à la tête du Collège national des cardiologues des hôpitaux (CNCH). Pour l'instant, nous sommes plutôt utilisateurs de télémédecine, avec un suivi à distance de prothèses de l'insuffisance cardiaque. Dans quelques années, nous aurons entre nos mains des aides à la décision à grande échelle, j'en suis sûr ! » Le Dr Marc Villaceque, à la tête du Syndicat des cardiologues (SDC), partage l'enthousiasme de son confrère : « La cardiologie se prête à l'IA car il y a beaucoup de data, et donc d'applications possibles. Des études montrent que l'intelligence artificielle peut analyser des courbes d'électrocardiogrammes et trouver de mini-courbes invisibles à l'œil nu. »
Défis à venir
Les chercheurs s'intéressent aussi à la neurologie, toujours à partir d'images. L'épileptologie est un domaine porteur. « Pour détecter des lésions en épilepsie, nous cherchons à guider l'implantation d'électrodes avec de l'imagerie in vivo et non invasive. L'IA pourrait aider à détecter ces zones invisibles à œil nu, explique Carole Lartizien. Nous devons donc faire un apprentissage de la machine, pour qu'elle sache ce qu'est un cerveau normal. Une fois le modèle entraîné sur des sujets sains, on lui fait détecter des anomalies. Pour le moment, 60 à 70 % des lésions non vues par l'œil humain sont détectées. »
« La modélisation de modèles mathématiques pour la recherche de foyers épileptogènes est déjà appliquée, complète le Dr Bruno Perrouty, président du Syndicat des neurologues. Des travaux sont aussi menés par le Pr Fabrice Bartolomei sur la prédiction des crises d'épilepsie. Et en neuroradiologie, des modèles permettent de mesurer l'atrophie hippocampique pour détecter la maladie d'Alzheimer… Mais ce n'est pas encore tout à fait dans nos cabinets ! »
D'ici là, quelques défis restent à relever, comme la gestion des biais cognitifs, ou les données hétérogènes et parfois incomplètes. Pour cela, les scientifiques et amoureux de l'IA plaident pour un accès à des data en grand nombre via des banques partagées, comme BioBank au Royaume-Uni, ou le nouveau Health data hub en France. La responsabilité du médecin, notamment associée au machine learning, reste aussi à régler.