Opposition au don d’organes

La religion ne doit pas servir d’alibi

Publié le 25/06/2010
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SI L’ACTIVITÉ de greffe n’a cessé de progresser ces dernières années, elle marque le pas depuis 2008, alors que les besoins sont de plus en plus nombreux. En 2009, plus de 14 400 malades ont nécessité une greffe ; 4 580 ont pu être greffés et 1 481 personnes ont été prélevées. Le taux de refus tourne invariablement autour de 30 %. Dans près de 4 cas sur 10, le défunt avait déclaré son opposition au don d’organes. Dans les 6 autres cas, l’opposition vient de la famille.

Selon l’Agence de la biomédecine, le manque d’informations sur la volonté du défunt est l’une des principales causes de refus de la famille. Désemparés par la disparition soudaine d’un de leurs proches et dans l’ignorance de sa volonté, les membres de la famille se réfugient parfois derrière la religion pour prétexter d’un refus. « Don d’organes et religion, opposition ou non-opposition ? » était le thème de la table ronde organisée par la coordination des prélèvements du Groupe hospitalier Cochon avec l’aumônerie.

« Le thème de la table ronde est volontairement provocateur car, en vérité, les trois religions monothéistes que nous évoquons aujourd’hui acceptent le don d’organes », a expliqué Guy Lesoeurs, anthropologue de la santé. Avec le Dr Taïeb Ferradji, psychiatre à l’hôpital Avicenne, il a réalisé un film de formation destiné aux coordinateurs, intitulé « Le frère venu d’ailleurs ».Dans un des extraits, on voit l’aîné de la fratrie s’opposer au prélèvement d’organes de sa mère car « a priori, ce n’est pas permis » dans la religion musulmane. Le coordinateur argue du contraire, tandis que l’homme lui répond : « Vous n’êtes pas une référence pour moi. Je vais me renseigner de mon côté. » On se doute que le laps de temps pendant lequel le prélèvement est possible sera largement dépassé quand il aura obtenu sa réponse.

Témoignages.

Mina, de confession musulmane et mariée avec un catholique, est venue témoigner, lors de cette journée, de la disparition de son fils Maxime, victime d’un accident de circulation à 18 ans. Elle raconte que deux ans auparavant, par l’intermédiaire d’un reportage télé, ils ont eu une discussion en famille au cours de laquelle Maxime lui a révélé son souhait de ne « pas pourrir dans la terre » si quelque chose lui arrivait un jour. « Je veux sauver des vies », lui a-t-il dit. En arrivant à l’hôpital, Mina était déterminée à respecter la parole de son fils, « par amour pour lui ». Devançant la question des médecins, elle explique ne pas avoir pensé à la religion. C’est ensuite qu’elle a entrepris les démarches, avec l’accord de son mari, pour enterrer son fils baptisé selon les rites musulmans. « Dans le Coran, rappelle-t-elle, un verset dit que “Qui sauve une vie, sauve l’humanité”. »

Catholique, Sandrine se souvient du moment où, avec sa sœur, convertie à l’islam, elles ont ressenti « comme une évidence » l’acceptation du don d’organes de leur frère décédé d’une méningite. « On nous dit de faire le bien autour de nous. Moi, j’ai l’impression que son âme continue d’être là, parmi nous. C’est ce qui me console. » Sandrine a appris que son frère avait contribué à sauver 4 vies. Le choix de la crémation, qui gênait sa sœur, a finalement été abandonné pour un enterrement.

Enfin Marco, de confession israélite, a été confronté à la question du don d’organe à la suite d’une mort subite récupérée. « Je ne pouvais pas faire autrement, j’avais besoin d’un myocarde. » Pendant les 18 mois au cours desquels il attendu cet organe vital, il a appris à accepter l’idée de vivre avec « l’organe de quelqu’un qui est mort ». « Dans la religion juive, la vie prône », indique-t-il. Alors qu’il désirait faire enterrer son cœur, lui aussi a dû faire acte de don, puisque les équipes médicales l’ont « offert à la science », précise-t-il. Cheminement personnel, la question du don d’organes mérite également une réflexion collective. La ministre de la Santé a d’ailleurs chargé l’Agence de la biomédecine d’en mener une afin de « donner un nouvel élan à la greffe » en France.

STÉPHANIE HASENDAHL

Source : Le Quotidien du Médecin: 8798