Faut-il mettre les futurs opérés à la diète ?

Un régime sans protéine ou sans tryptophane évite l’ischémie-reperfusion

Publié le 30/01/2012
Article réservé aux abonnés

DE NOTRE CORRESPONDANTE

« La restriction alimentaire comme moyen d’augmenter la résistance au stress peut sembler contraire à la logique, mais en fait nos données indiquent que l’organisme bien nourri est le plus susceptible à ce type de lésion », précise dans un communiqué le Dr James Mitchell (Harvard School of Public Health, Boston).

On sait que la restriction alimentaire, c’est-à-dire une baisse de l’apport alimentaire sans malnutrition, allonge l’espérance de vie et la bonne santé dans des modèles animaux allant de la levure aux primates non humains. Elle augmente également la résistance au stress, y compris le stress associé à la lésion d’ischémie-reperfusion (lésion d’IR), une agression tissulaire survenant lors d’un arrêt temporaire du flux sanguin, caractérisée par la mort cellulaire due à l’ischémie et une inflammation faisant suite à la reperfusion. La lésion d’IR est une cause majeure de morbimortalité par accident vasculaire cérébral (AVC) et par infarctus du myocarde (IM).

Chez les humains, la restriction alimentaire semble également bénéfique, améliorant des paramètres métaboliques comme la TA, l’équilibre glycémique et le profil lipidique sanguin. Cependant ce traitement n’est pas répandu en pratique, peut-être en raison de la difficulté d’un tel régime et de l’idée que ce régime ne serait bénéfique qu’à long terme.

Le flux rénal ou hépatique.

Peng, Mitchell et coll., de la Harvard School of Public Health (Boston), apportent un nouvel éclairage.

Ils ont étudié un modèle murin de lésion d’ischémie-reperfusion. La lésion chez les souris est induite chirurgicalement en bloquant pendant trente-cinq minutes le flux sanguin rénal bilatéral ou le flux sanguin hépatique ; ce type de lésion est similaire à celle qui sous-tend l’IM ou l’AVC.

Ils montrent qu’un régime sans protéine, ou dépourvu d’un acide aminé essentiel, le tryptophane, pendant une semaine avant l’intervention, permet de protéger les souris de la lésion ischémique rénale et hépatique, en réduisant l’inflammation et en préservant la fonction de l’organe. Toutes les souris survivent, tandis que dans le groupe de souris nourries normalement, la mortalité est de 40 %.

De même, un prétraitement pharmacologique de trois jours par l’halofuginone, qui active la réponse à une carence en acide aminé, est également bénéfique. Les chercheurs montrent que l’halofuginone active cette réponse en simulant la carence en proline (un acide aminé).

Puisque la protéine kinase Gcn2 est connue pour détecter un déficit en acide aminé, les chercheurs ont cherché à savoir si elle était nécessaire pour ces effets protecteurs. Effectivement, la délétion du gène Gcn2 chez les souris élimine les effets protecteurs du régime sans tryptophane et du traitement par halofuginone.

Il convient de noter que l’halofuginone, un dérivé halogéné synthétique du fébrifugine, est déjà utilisé chez l’homme contre la sclérodermie et est évalué en essai clinique contre les tumeurs solides. Parmi ses effets, il inhibe la différenciation des cellules Th17 à travers l’activation de la réponse à une carence en acide aminé, et il réduit la prolifération cellulaire.

Cette étude montre donc que de courtes interventions diététique ou pharmacologique qui activent la réponse à une carence en acide aminé, peuvent protéger les souris contre la lésion d’ischémie-reperfusion. Cette protection est médiée par la kinase Gcn2, ce qui suggère un contrôle dans le préconditionnement diététique ou pharmacologique.

Un essai chez l’homme prévu à Boston.

Il reste à déterminer si un court régime diététique peut également réduire le stress chirurgical chez l’homme. Cela pourrait être évalué en priorité au cours des interventions vasculaires à haut risque de lésion ischémique, comme l’endartériectomie carotidienne.

Les chercheurs projettent de conduire à Boston un essai clinique évaluant des régimes sans protéine chez des patients devant subir une intervention chirurgicale. Ils poursuivront aussi leurs études chez les rongeurs afin de préciser le régime diététique optimal.

Peng et coll., Science Translational Medicine, 25 janvier 2012.

 Dr VÉRONIQUE NGUYEN

Source : Le Quotidien du Médecin: 9074