Réflexions sur l’ ASCO 2011

De la biologie moléculaire à la pratique

Publié le 17/06/2011
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POUR le Pr Bugat, « les progrès offerts par la biologie moléculaire modifient singulièrement le paysage de la cancérologie, en particulier pour les tumeurs solides, et ce aussi bien sur le plan diagnostique, pronostique que sur celui de la prédiction d’une réponse thérapeutique ». Peu de communications ont eu trait au domaine de la pharmacogénomique, « mais la confirmation est faite que, aujourd’hui, ces avancées vont conduire à des modifications irréversibles des pratiques ».

Comme conséquence majeure, il y a ainsi l’évolution du métier d’anatomopathologiste qui, pour le Pr Bugat, se mue désormais en celui de « biopathologiste ». « L’exploration de l’intimité cellulaire revisite de fait les classifications historiques et anatomiques des tumeurs ». On voit combien le groupe des cancers du sein qui, il y a seulement quelques décennies, offrait une apparence relativement homogène, correspond en fait à de nombreux sous-ensembles de pathologies très spécifiques.

Mais ces nouvelles possibilités de caractérisation des tumeurs ne sauraient déteindre sur l’ensemble des pratiques sans que l’innovation ne se poursuive sur un plan organisationnel. Or, comme le souligne le Pr Bugat, « à la lumière des résultats présentés à l’ASCO, on peut dire que la France s’est mise, notamment grâce à l’implication de l’INCa dans la mise en place de plates-formes de génétique moléculaire, aux avant-postes de l’organisation ». Non seulement, comme le remarque également le Dr Delattre (voir page 4), l’organisation territoriale est le garant d’une équité d’accès à l’innovation, mais, la délivrance du « bon » traitement à la « bonne » personne « est aussi une arme qui, d’un point de vue collectif et solidaire, a l’avantage de combattre le mauvais usage du médicament », insiste le Pr Roland Bugat, avec à la clé des répercussions médicoéconomiques certaines.

Plusieurs études présentées lors du congrès ont d’ailleurs abordé cet aspect, en particulier sur les plans du dépistage, de la prévention et du diagnostic. « Néanmoins, souligne le Pr Bugat, l’abord médicoéconomique des stratégies globales de traitement manque encore, une carence qui devra sans doute être comblée au regard de l’inflation de molécules innovantes ». Il faudra sans doute pour cela avoir dégagé des séquences thérapeutiques cohérentes qui deviennent de plus en plus complexes.

Il faut de même préciser que les évaluations médicoéconomiques, qui prennent en compte les modalités d’accès aux soins, ne peuvent être extrapolées d’un pays à l’autre car il existe des inégalités et ce même au sein de l’union européenne.

C’est ce type de réflexion qui est aussi à l’œuvre dans l’attribution de protocoles temporaires de traitement (PTT). C’est, pour mémoire, à la suite des présentations de l’ASCO que, en 2005, le trastuzumab (Herceptin) qui était auparavant utilisé en situation palliative, a bénéficié, en France, d’un PTT, une disposition qui, pour la première fois, permettait à la fois sa prescription et son remboursement en adjuvant dans certains cancers du sein. De la même façon, alors qu’il a été montré que le bevacizumab (Avastin) n’apportait pas de bénéfice majeur en situation adjuvante pour les cancers colorectaux métastatiques, cet angiogénique apparaît aujourd’hui, à la lumière d’études de phase III (essai ICOL7 notamment) améliorer le pronostic, en adjonction à la chimiothérapie de référence, dans le cancer de l’ovaire de stade avancé. La question de la possibilité de son utilisation dans ce type de tumeur grâce à l’établissement d’un PTT se pose donc.

Enfin l’évolution des stratégies thérapeutiques conduit à des réflexions éthiques quant aux études de phase I. On sait que, dans ces essais qui visent à établir la dose maximale tolérée, la probabilité de réponse avec les cytotoxiques classiques est inférieure à 5 %. Autrement dit les malades, en servant l’intérêt de la collectivité, ont peu à attendre de leur participation à ces protocoles d’un point de vue individuel. En revanche, les essais cliniques précoces portant sur les thérapies ciblées ont un impact thérapeutique pour les participants avec une probabilité de réponse de plus de35-40 %.

Les myélodysplasies en augmentation.

L’accroissement très important de l’incidence des myélodysplasies peut être attribué au vieillissement de la population. Néanmoins, d’autres explications sont possibles : la responsabilité des traitements anticancéreux (voir page 6) et peut-être de facteurs d’environnement. Parallèlement, on peut souligner l’intérêt de nouveaux produits comme ceux de la famille des azanucléosides. Ainsi l’azacytidine est la première molécule ayant montré une augmentation de la survie globale dans les myélodysplasies. Le lénalidomide est quant à lui un immunomodulateur qui réduit les besoins en transfusions chez les patients porteurs d’une myélodysplasie caractérisée au plan cytogénétique par une délétion du bras court du chromosome 5.

D’après un entretien avec le Pr Roland Bugat, centre Claudius-Regaud, Toulouse.

>Dr PATRICIA THELLIEZ
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Source : Bilan spécialistes