Dans le Bordelais

Des migrations et des échanges

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Publié le 27/05/2019
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Crédit photo : Phanie

Il y a encore une vingtaine d'années, la diversité culturelle liée à la présence de migrants d'origines variées en France n'était pas assez mise en lumière d'un point de vue gastronomique. « Vers la fin des années 1990, je me suis notamment intéressée aux élites malgaches résidant à Bordeaux. J'ai été frappée par le fait que, s'ils avaient leur propre identité culinaire, ils ne la mettaient pas du tout en avant dans les rapports sociaux qu'ils entretenaient avec la France. Il n'y avait, d'ailleurs, qu'un seul restaurant malgache à Bordeaux et pas de ″grande cuisine” malgache reconnue en France », souligne Chantal Crenn, maîtresse de conférences en anthropologie à l'université Bordeaux Montaigne et chercheuse au laboratoire CNRS « Les Afriques dans le monde », spécialiste des migrations internationales et de l'alimentation. Tout se passait alors comme si la France était les seul pays capable de proposer de la gastronomie sur le territoire.

Des savoirs alimentaires qui circulent

Aujourd'hui encore, le vin bordelais est fabriqué, en grande partie, par les migrants originaires du Maghreb. Des travailleurs que Chantal Crenn a suivis jusque dans leur pays d'origine. « Dans un article récent (1), je montre l'influence du vignoble bordelais dans la façon de faire de la cuisine marocaine en France. Des femmes réinventent les traditions culinaires marocaines en fonction de leur inscription territoriale à Bordeaux. Certaines utilisent, par exemple, le foie gras dans les bricks, d'autres élaborent des “couscous terroir” ou intègrent le vin bordelais dans leurs menus, note Chantal Crenn. Et les boucheries halal dans la région de Bordeaux ont autant de clients maghrébins que français ou britanniques. »

Autre communauté importante dans la région, les Sénégalais à la retraite – ayant travaillé dans les usines Ford dès les années 1970-1980 – influencent également la culture culinaire locale. « Poisson séché, boulettes de mil fabriquées à Dakar, feuilles de haricots du Sahel, piment, pâte d'arachide, bissap, fleurs d'hibiscus… sont vendus sur les marchés bordelais. Et tous ces produits typiques sont également achetés par les Français : ils permettent d'agrémenter leurs plats », précise Chantal Crenn.

Ainsi, depuis une quinzaine d'années, cette anthropologue observe de véritables mutations des pratiques alimentaires en France. « Les Français s'intéressent de plus en plus à la cuisine qui vient d'ailleurs car elle est considérée comme authentique. Ils sont en quête d'exotisme mais aussi d'aliments bons pour leur santé. Ces aliments, ils les trouvent notamment dans la cuisine des migrants (épices, condiments, mode de cuisson...), souligne Chantal Crenn. De la même façon, les enfants de migrants s'inspirent de la cuisine de leurs parents : ils réinventent les plats dits traditionnels pour les faire correspondre aux normes du bien manger de nos sociétés, où la santé est centrale ».

Entretien avec Chantal Crenn 
(1) Chantal Crenn. Bordeaux wine-growing territories, ethnic is everyday, in food identities at home and on the move : explorations at the intersection of food, belonging, and dwelling. bloomsbury (epub).

Hélia Hakimi-Prévot

Source : Nutrition