Cancer médullaire de la thyroïde

La percée des inhibiteurs de tyrosine kinase

Publié le 17/06/2011
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Crédit photo : PHANIE

LE CANCER médullaire de la thyroïde (CMT) est rare (1 à 5 pour un million d’habitants). Cependant s’il ne représente que de 5 à 10 % des cancers thyroïdiens et de 0,1 à 0,5 % des nodules thyroïdiens, il est responsable de 10 % des décès par cancer de la thyroïde. Le CMT est héréditaire dans 25 à 30 % des cas et peut être associé à d’autres tumeurs comme le phéochromocytome dans le cadre d’un syndrome MEN II (néoplasie endocrinienne multiple).

Le taux de calcitonine.

Le CMT est une tumeur neuroendocrine caractérisée par un marquage chromogranine A et calcitonine positif. La calcitonine est un marqueur extrêmement sensible qui en fait le marqueur référent, à la fois pour le diagnostic anatomo-pathologique et pour la détection de la tumeur ou des métastases. Présente dans le sang, même à un stade de tumeur infracentimétrique, elle précède les données de l’imagerie pour le dépistage du cancer résiduel.

Jusqu’ici, le traitement reposait sur la thyroïdectomie totale, associée à un curage central bilatéral, qui guérit 90 % des formes héréditaires - 30 % des cancers médullaires - mais seulement 30 % des formes sporadiques qui constituent la majorité des CMT. Or ces cancers sont extrêmement lymphophiles et même lorsque le diagnostic est précoce au stade centimétrique, les ganglions sont envahis dans 30 à 40 % des cas et les métastases à distance présentes dans 10 à 20 % des cas.

« La surveillance du taux de calcitonine a amené à un changement de paradigme au stade de maladie métastatique, explique le Dr Éric Baudin. Le temps de doublement du marqueur est corrélé à la progression morphologique : inférieur à 6 mois, il témoigne d’un haut risque de pathologie évolutive et d’un pronostic défavorable après chirurgie ; à l’inverse, les patients dont le marqueur n’évolue pas peuvent avoir une bonne survie spontanée de 10 ou 20 ans ». La prise en charge thérapeutique au stade résiduel ne s’adresse donc qu’aux maladies agressives démontrées, avec des localisations secondaires ganglionnaires, pulmonaires, hépatiques ou osseuses dont on doit prouver non seulement qu’elles sont morphologiquement présentes, mais qu’elles progressent. Le taux du marqueur rythme la surveillance : plus il évolue vite plus la surveillance morphologique sera rapprochée. Lorsque le taux de calcitonine postopératoire est supérieur à 100-150 µg/ml, ce qui est le cas pour 70 % des formes sporadiques, un bilan de base par imagerie conventionnelle est réalisé, puis le dosage des marqueurs répétés à 3 mois, 6 mois, un an et ensuite tous les ans, les examens morphologiques étant répétés en fonction du temps de doublement. D’autres approches thérapeutiques sont alors discutées si les métastases progressent, si les patients sont symptomatiques (diarrhée et douleurs importantes) ou s’il existe une compression ganglionnaire médullaire ou médiastinale.

Des essais prometteurs.

Jusqu’ici on disposait de traitements loco-régionaux - radiothérapie externe, embolisation par radiofréquence - et de traitements systémiques aux résultats limités. Avec les chimiothérapies classiques - 5FU, déticène, streptozotocine, doxorubicine- (1), les réponses étaient rares, de 7 à 10 %, et les résultats de la radiothérapie métabolique ciblant l’ACE peu concluants. Avec l’aplidine (2), la médiane de survie sans progression après chirurgie était de 5,5 mois dans des pathologies évolutives. Les inhibiteurs de tyrosine kinase constituent un véritable tournant dans le traitement. Ils sont actifs vis-à-vis du récepteur de la tyrosine kinase RET, qui fait l’objet d’une mutation germinale dans 90 % des formes héréditaires et d’une mutation au niveau tumoral dans 30 à 50 % des formes sporadiques. Ces molécules ont, parallèlement à l’action anti-RET, un impact anti-angiogénique anti-VEGF récepteur 2 et pour certains des effets sur d’autres récepteurs : EGFR, PDGF, etc. rendant compte des effets secondaires. Le vandetanib (300 mg/jour) permet d’obtenir 20 % de réponses et une médiane de survie sans progression de 27 mois dans des formes héréditaires et sporadiques, avec des résultats presque aussi intéressants à la posologie de 100 mg ; le sorafénib (800 mg/j) amène 9 % de réponses et 18 mois de survie sans progression ; le motecanib 125 mg/jour 2 % de réponses objectives et 21 % de stabilisations chez les patients en progression à l’entrée. D’autres études de phase II montrent des réponses objectives sous axitinib et sunitinib, mais pas sous imatinib ou gefitinib. Ces travaux connaissent certaines limites, les patients n’étant pas toujours en progression à l’entrée, mais concluent que les réponses tumorales, jamais totales, mais partielles et transitoires, se révèlent bien supérieures à celles obtenues avec la chimiothérapie classique. Toutefois la toxicité est réelle (diarrhées, nausées, céphalées, HTA, prurit, photosensibilisation, acné pour le vandetanib, diarrhée, syndrome main-pied, HTA, infections, rashes cutanés pour le sorafénib, diarrhée, HTA, fatigue pour le motesanib) et justifie la prudence chez les patients ne montrant pas de signes évidents d’évolutivité.

ZETA (3) est une étude de phase III dans laquelle des patients atteints de CMT ont été tirés au sort pour recevoir le vandetanib (n = 231) ou un placebo (n = 100), avec une levée de l’aveugle en cas de progression, les patients recevant alors le vandetanib en ouvert. Les résultats sont très significatifs : amélioration de 54 % de la survie sans progression (‹0,0001) dans le bras actif, réponse objective de 45 % (versus 13 %), stabilisation à six mois de 83 % (versus 63 %), baisse de plus de 50 % du taux de calcitonine (69 % versus 3 %) et une médiane de survie de 19 mois pour le placebo et non atteinte à la fin du suivi de 22,5 mois pour le vandetanib. La toxicité a cependant amené à réduire le traitement dans 35 % des cas et à l’arrêter dans 12 % des cas. D’autres molécules sont en phase I, comme le XL184 avec 29 % de réponses objectives (4) ou le sunitinib, avec une réponse objective chez 6 patients sur 24, mais une survie sans progression à 12 mois inférieure à celle du vandetanib (4). L’E170 80, anti-VEGFR3, mais aussi anti-PDF et VFGF, vient de terminer une phase II.

« Les inhibiteurs de tyrosine kinase constituent une révolution thérapeutique dans les CMT avec agressivité démontrée, conclut le Dr Baudin. S’il n’y a pas de guérison, les progrès sont significatifs au prix d’une certaine toxicité. Des questions restent à résoudre comme celle du rôle respectif de l’inhibition du VEGF et du RET. On manque aussi d’éléments prédictifs de réponse, la calcitonine ne permet pas d’identifier les répondeurs et il n’a pas non plus été mis en évidence de relation entre le statut mutationnel RET et la réponse thérapeutique ».

D’après un entretien avec le Dr Éric Baudin, Institut Gustave-Roussy, Villejuif.

(1) Nocera et coll. Br J Cancer 2000 ;83:715.

(2) Baudin E. et coll, American journal of clinical oncology 2010 (33):83-88.

(3) ASCO 2010 et " J Clin Oncol 2010 28(5):767-72.

(4) Kurzrock et coll. J Clin Oncol 2010 28:15s (suppl ; abstr 5502).

DR MAIA BOVARD-GOUFFRANT

Source : Bilan spécialistes