Une étude sur la chirurgie thyroïdienne

Le piège de l’expérience

Publié le 13/01/2012
Article réservé aux abonnés
1326421009314136_IMG_75258_HR.jpg

1326421009314136_IMG_75258_HR.jpg
Crédit photo : BSIP

LE CONSTAT fait par une équipe française, comportant plusieurs « patrons » de chirurgie, s’avère plutôt dérangeant. Les membres du groupe d’étude CATHY, sur les interventions thyroïdiennes, se sont aperçus que la performance des opérateurs suit une courbe concave en fonction de leur expérience (p = 0,036) et de leur âge (p = 0,035). Ce qui, en chiffres, se traduit par : c’est entre 35 et 50 ans que les chirurgiens obtiennent leurs meilleurs résultats opératoires. Avant ils manquent d’expérience. Au-delà, la simple accumulation de cette expérience semble insuffisante pour rester « au top ».

Cette information, qui risque de prêter à controverses, est étayée par une solide étude prospective menée dans cinq centres hospitalo-universitaires (Lille, Lyon, Marseille, Paris et Poitiers) entre avril 2008 et décembre 2009. Y ont participé 28 chirurgiens endocriniens qui ont réalisé au total 3 574 thyroïdectomies. Les performances des opérateurs ont été jugées sur la fréquence des paralysies du nerf récurrent et sur celle des hypoparathyroïdies (respectivement, 2,08 et 2,69 % dans l’étude).

Paralysie récurrentielle et hypoparathyroïdie.

L’analyse multivariée montre qu’une expérience professionnelle d’au moins vingt ans est le seul facteur associé à un risque majoré de paralysie récurrentielle (odds ratio 3,06, p = 0,04) et d’hypoparathyroïdie (OR 7,56, p = 0,01). La paralysie est également plus fréquente chez les femmes, alors que l’atteinte parathyroïdienne survient plutôt chez les patients jeunes ou avec des chirurgiens peu expérimentés (OR 5,93, p = 0,02). La typologie des patients joue aussi son rôle dans la qualité des suites opératoires. Enfin, l’implication de l’opérateur s’avère plus importante dans l’hypoparathyroïdie que dans les lésions du nerf récurrent. Les meilleurs résultats sont obtenus par des chirurgiens ayant de 5 à 20 d’expérience (soit âgés de 35 à 50 ans).

Toutefois, les auteurs constatent que si leur étude possède la valeur du travail prospectif, elle est aussi entachée de nombre de faiblesses. Ces résultats ne sont pas forcément applicables à d’autres chirurgies ; l’étude comporte peu de chirurgiens d’âge moyen ; la validité des conclusions dépend de la façon dont l’expérience professionnelle était jugée ; enfin, il n’est pas possible d’exclure d’autres facteurs, passés inaperçus, dans la survenue des complications. Une étude qui demande donc à être contrôlée par d’autres enquêtes.

La conclusion est double. Tout d’abord, le fait de travailler dans un CHU ne compense pas le manque de maturité professionnelle. Ensuite, un chirurgien ne peut rester à son apogée uniquement en accumulant passivement de l’expérience. Il doit s’autoévaluer et ne pas hésiter à faire des réapprentissages spécifiques, si besoin.

British Medical Journal, doi: 10.1136/bmj.d8041.

Dr GUY BENZADON

Source : Le Quotidien du Médecin: 9065