De nouvelles indications en digestif pour les acides biliaires secondaires ?

La piste de l'ursodiol progresse dans la rectocolite hémorragique et l’infection à C. difficile

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Publié le 27/10/2020
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L’ursodiol, déjà autorisé pour traiter des maladies hépatiques cholestatiques, et sa forme conjuguée à la taurine, disponible en vente libre, sont explorés dans diverses maladies digestives, dont la rectocolite hémorragique et l’infection à Clostridium difficile.
Les ABS diminuent l’inflammation digestive

Les ABS diminuent l’inflammation digestive
Crédit photo : Phanie

L’acide ursodésoxycholique (AUDC), ou ursodiol (Ursolvan), ainsi que sa forme conjuguée à la taurine appelée acide tauroursodéoxycholique (TAUDC) sont maintenant reconnus pour avoir des effets cytoprotecteurs et anti-inflammatoires. Le bénéfice thérapeutique de ces acides biliaires secondaires (ABS) hydrophiles, présents à faible concentration chez l’homme, est exploré dans plusieurs affections, notamment neurologiques, oculaires et intestinales.

En tant que composant principal d'un remède dit de la « bile d’ours », l’AUDC est utilisé depuis des siècles en médecine traditionnelle chinoise pour traiter diverses maladies et sa forme synthétisée industriellement est utilisée depuis 40 ans en médecine occidentale pour traiter des maladies hépatiques cholestatiques.

Depuis quelques années, l’ursodiol et son conjugué se révèlent prometteurs dans la rectocolite hémorragique (RCH), une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI). Plusieurs essais sont en cours. Si les acides biliaires primaires sont synthétisés dans le foie à partir du cholestérol et libérés dans l’intestin pour émulsifier les graisses, les acides biliaires secondaires (ABS), à savoir les acides désoxycholiques, lithocholiques, mais aussi en plus faible quantité ursodésoxycholique, ne sont produits dans le côlon que par un petit nombre de familles bactériennes ayant les enzymes requises pour transformer les acides biliaires primaires. Or, ces ABS améliorent la barrière intestinale et diminuent l’inflammation digestive, comme l'a décrit un article de synthèse (1).

Améliorer la dysbiose de la RCH

Une récente étude dirigée par le Pr Sidhartha Sinha de la faculté de médecine de Stanford, déjà rapportée dans le « Quotidien », suggère que la dysbiose chez les sujets atteints de RCH engendre un déficit en acides biliaires secondaires. Et ce déficit pro-inflammatoire pourrait être traité par une supplémentation en ABS. L’équipe dirigée par le Pr Sinha a débuté un essai de phase 2/3 évaluant l’ursodiol chez 19 patients avec RCH et pochite ; les résultats sont attendus avant la fin de l’année.

La taurine (TAUDC) est évaluée dans un petit essai de phase 1 chez 12 patients atteints de RCH (et traités par Tudcabil, 1,75 à 2 g par jour). Cette étude menée par le Dr Matthew Ciorba, directeur de recherche sur les MICI à l’université de Washington à Saint-Louis (États-Unis) avec le soutien de la Crohn's and Colitis Foundation, examine l’innocuité du traitement et ses effets sur le stress du reticulum endoplasmique à l'aide de biopsies du côlon, du score de Mayo et des marqueurs de l’inflammation. « Nous étudions aussi la calprotectine fécale, la CRP et les profils du microbiote et des acides biliaires dans les selles », précise au « Quotidien » le Dr Ciorba qui espère terminer l’essai avant la fin de l’année. « Les résultats préliminaires suggèrent la bonne tolérance du TAUDC et une amélioration clinique dans un sous-groupe », confie-t-il.

Une supplémentation par ABS pourrait-elle améliorer la dysbiose des patients atteints de RCH ? C'est ce que laissent penser de nouvelles analyses réalisées à partir des données d'un essai de phase 3. Initialement, l'étude avait montré qu'un traitement par ursodiol diminuait la récurrence des adénomes colorectaux de haut grade. Quelques années plus tard, les chercheurs ont constaté, dans les selles des participants, un changement de composition du microbiote (augmentation des Faecalibacterium prausnitzii, diminution des Ruminococcus gnavus) en cas de traitement prolongé par ursodiol (trois ans ou plus) et de façon plus prononcée chez les patients n’ayant pas de récurrence d’adénome.

Inhiber les souches toxinogènes du C. difficile

L’ursodiol et son conjugué sont également encourageants dans l’infection colique à Clostridium difficile. Cette maladie favorisée par une antibiothérapie et à l’incidence accrue chez les sujets atteints de MICI colique, peut multirécidiver et ainsi justifier une transplantation de microbiote fécal. Si les acides biliaires primaires semblent délétères via une stimulation de la germination des spores du C. difficile, ce n'est pas le cas des ABS. L’acide désoxycholique et l’AUDC inhibent les souches toxinogènes du C. difficile, ce qui a été confirmé aussi pour l’ursodiol (4). Et chez la souris, un prétraitement par ursodiol avant infection par C. difficile diminue la réponse inflammatoire exagérée à l’origine des lésions tissulaires.

Un petit essai évaluant l’ursodiol (300 mg, deux fois par jour pendant deux mois) en traitement adjuvant de la vancomycine pour la prévention d’une seconde récurrence de l’infection à C. difficile est mené par le Dr Norman Javitt à l’hôpital universitaire de New York (Langone) chez neuf sujets. Le premier patient enrôlé (5) présente un meilleur profil fécal des acides biliaires secondaires à deux mois de traitement par ursodiol et persistant cinq mois plus tard malgré une nouvelle antibiothérapie par cefazoline prescrite pour une récidive d’arthrite septique ; et aucune récidive d’infection à C. difficile depuis deux ans. « Ce patient a déjà dépassé le délai pendant lequel on aurait pu s'attendre à une récidive de l'infection. Nous pensons donc que l'ursodiol a réussi à le protéger d’une récidive d’infection à C. difficile », précise au « Quotidien » la Dr Lea Ann Chen (NYU Langone). Des résultats supplémentaires devraient bientôt être publiés.

(1) S. Keely et al., American Journal of Physiology, 10.1152/ajpgi.00163.2019, 2019
(2) Sinha et al., Cell Host & Microbe, 10.1016/j.chom.2020.01.021, 2020 
(3) T. Pearson et al., Cancer Medicine, 10.1002/cam4.1965, 2019
(4) J. Winston et al., Infection and Immunity/ASM, 10.1128/IAI.00045-20 , 2020
(5) G. Perreault et al., The American Journal of Gastroenterology, 10.14309/01.ajg.0000595488.19472.dd, 2020

Dr Véronique Nguyen
RCH

Source : Le Quotidien du médecin