Le comité Nobel a attribué le prix de médecine/physiologie 2020 à l'identification du virus de l'hépatite C (VHC). Trois chercheurs anglo-saxons ont été distingués conjointement pour cette grande avancée dans l'histoire de la médecine, chacun ayant participé à l'une des étapes clés de la découverte : les Américain Harvey J. Alter et Charles M. Rice ainsi que le Britannique Michael Houghton.
Si l'Institutet Karolinska de Stockholm a fait le choix cette année de décerner le prix Nobel de médecine à la découverte du virus de l'hépatite C (VHC), c'est que les implications pour la santé publique à l'échelle mondiale ont été majeures.
Plus de 20 ans après la découverte du virus de l'hépatite B (VHB) en 1960, un autre virus de transmission sanguine, la mise au jour en 1988 du mystérieux virus dit « non-A, non-B » a permis d'éliminer les hépatites post-transfusionnelles presque partout dans le monde. Et avec l'arrivée des antiviraux à action directe (AAD), l'espoir d'une éradication de la maladie est aujourd'hui permis, l'infection au VHC pouvant être désormais guérie.
« J'étais un peu étonné qu'aucun prix Nobel n'ait récompensé des travaux sur le virus de l'hépatite C, explique le Pr Jean Dubuisson, responsable de l'unité virologie moléculaire et cellulaire à l'institut Pasteur de Lille et ancien collaborateur de Charles Rice. En l'espace de 20 ans, on est passé de l'identification d'un virus aux antiviraux d'action directe (AAD) très efficaces. Pour moi, c'est vraiment une "success story". »
La critique sur le délai à reconnaître l'importance des travaux est largement partagée. Ce à quoi le Pr Thomas Perlmann du comité Nobel a répondu : « Cela prend du temps de s’assurer qu’une découverte est importante et à quel point elle est importante. Dans le cas présent, après 1989, quand le virus a été cloné, il est devenu clair que ce serait utile pour la sérologie. Mais de nouveaux développements ont conduit au développement de médicaments, et c’est beaucoup plus récent ».
L'énigme des hépatites post-transfusionnelles
Tout a commencé, dans les années 1970, avec Harvey J. Alter, des Instituts nationaux de la santé américains (NIH), qui travaillait sur la survenue d'hépatites après transfusion. Malgré la découverte récente du VHB par Baruch Blumberg distingué par le prix Nobel en 1976, il restait des zones d'ombre. L'équipe dirigée par Harvey Alter avait constaté avec inquiétude qu'il persistait un grand nombre de cas d'hépatites post-transfusionnelles non expliquées.
Quel était donc cet agent infectieux inconnu ? Après avoir observé que le sang de patients infectés pouvait transmettre la maladie à des chimpanzés, l'équipe des NIH a révélé que le pathogène présentait les caractéristiques d'un virus. C'est à ce moment-là que la maladie mystérieuse a alors été dénommée « hépatite non-A, non-B ».
Parvenir à débusquer le virus
Malgré tous les efforts déployés avec les outils disponibles à l'époque, le virus est resté très difficile à débusquer pendant une décennie. Et il a fallu l'intervention du chercheur britannique Michael Houghton, qui avait émigré aux États-Unis pour travailler dans la firme pharmaceutique Chiron, pour passer le second cap.
Pour Philippe Roingeard, chercheur Inserm dans l'unité U 1259 « Morphogenèse et antigénicité du VIH et des virus des hépatites (MAVIVH) » à l'université de Tours, « le vrai découvreur du virus de l'hépatite C, c'est Michael Houghton !, s'enthousiasme-t-il. On n'arrivait pas à cultiver le virus, les outils de la virologie classique ne fonctionnaient pas et il a réussi identifier le virus à partir de fragments d'ARN. C'était un véritable tour de force à l'époque ».
Pour ce faire, l'équipe de Michael Houghton a collecté des fragments d'ADN issus d'acides nucléiques extraits du sang de chimpanzés. Si la majorité de ces produits était supposée provenir de l'animal, les chercheurs avaient bon espoir que quelques-uns ont pour origine le virus inconnu. Pour les identifier, les scientifiques ont étudié les anticorps développés par les patients infectés puis ont établi des recoupements avec les fragments d'ADN suspectés de coder des protéines virales. Et là, bonne pioche, un clone s'est révélé positif. En déroulant le fil, l'équipe a montré que ce clone était dérivé d'un ARN viral appartenant à la famille des Flavivirus : dès lors a été retenue la dénomination de virus de l'hépatite C.
Le VHC à lui seul pathogène
À cette étape, une question restait non résolue : le virus pouvait-il entraîner à lui seul l'hépatite ? C'est là qu'arrive en scène le troisième protagoniste, Charles M. Rice, chercheur à la Washington University à Saint Louis. Le scientifique a mis le projecteur sur une région jusque-là non caractérisée dans la partie terminale du VHC et qui lui avait paru, à juste titre, importante pour la réplication virale. « Il a mis au point de nombreuses méthodes de culture cellulaire pour étudier le virus, à commencer par une reconstitution du génome et de son cycle infectieux, étape par étape, grâce à une analyse minutieuse des protéines et des fragments d’ARN », indique le Pr Dubuisson.
Après avoir isolé d'autres variations génétiques d'intérêt, le chercheur a généré un variant de l'ARN du VHC, qui incluait les éléments cibles identifiés mais était dépourvu de ceux considérés inactifs : un mini-génome appelé réplicon. En montrant que l'administration de cet ARN entraînait l'apparition du virus dans le sang chez le singe ainsi que des altérations pathologiques identiques à celles observées chez l'Homme, Charles M. Rice a prouvé que le VHC était seul en cause dans les cas inexpliqués d'hépatite post-transfusionnelle.
Le réplicon, un outil encore utilisé aujourd'hui
Pour Jean Dubuisson, la vraie réussite de Charles Rice, est la mise au point de ce réplicon, qui reproduit la réplication du virus dans les cellules. Un modèle encore utilisé de nos jours sur lequel a travaillé l'équipe du Pr Dubuisson. « La première étape a été l’injection du génome reconstitué dans le foie d’un chimpanzé où il a reproduit expérimentalement l’infection », poursuit le virologue lillois. Ce réplicon, en permettant d'étudier chaque étape de la vie du virus, a ouvert par la suite tout un champ d'application en recherche, notamment pour la mise au point en thérapeutique de certains AAD.
Avec 70 millions de cas chaque année, l'hépatite C est encore à l'origine de 400 000 décès et l'une des causes majeures de cancer du foie et de transplantation. S'il semble possible en théorie d'éradiquer l'infection à VHC avec l'arrivée des AAD, il reste aujourd'hui à relever le défi de l'accès aux traitements dans le monde.