Dr Jean-Guillaume Letarouilly, CHU de Lille

Les anti-IL17 n’induiraient pas de MICI de novo

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Publié le 24/05/2022

D’après le registre français MISSIL réalisé de 2016 à 2019 (1), les inhibiteurs de l’interleukine 17 ne semblent pas inducteurs de maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) de novo, quelle que soit l’indication (psoriasis, rhumatisme psoriasique ou spondyloarthrite axiale). Explication avec le Dr Jean-Guillaume Letarouilly (CHU de Lille), coordinateur de l’étude.

Crédit photo : DR

Selon l’Agence européenne des médicaments (EMA), le risque de survenue de MICI de novo est considéré comme important chez les patients traités par anti-IL17. Comment est née cette suspicion ?

Dès 2012, le premier représentant de cette classe thérapeutique, le sécukinumab (anti-IL17A), a été testé dans la maladie de Crohn, l’axe IL23-IL17 étant impliqué dans la physiopathologie des MICI. Malheureusement, dans une étude preuve de concept, le placebo s’est avéré nettement supérieur au sécukinumab vis-à-vis de la réduction du score d’indice d'activité de la maladie de Crohn (2). Un constat identique a été observé avec le brodalumab (inhibiteur du récepteur A de l'IL17). La question s’est donc posée de savoir si les anti-IL17 étaient inducteurs de MICI ou tout simplement inefficaces vis-à-vis de ces pathologies. Une alerte de l’EMA a été émise en 2021 indiquant un risque potentiel de développer une MICI sous anti-IL17 (3). Plusieurs analyses de données poolées provenant d’essais cliniques randomisés ayant inclus des patients atteints de psoriasis, de rhumatisme psoriasique et de spondylarthrite axiale ont pour leur part conclu que les cas de MICI apparus de novo sous anti-IL17 étaient rares (4). Des études en vraie vie étaient nécessaires, d’autant que les prescriptions de sécukinumab ne cessaient d’augmenter en France selon l’Assurance-maladie. En 2018, c’était en effet la troisième biothérapie (sur sept) la plus prescrite (5).

Le registre national français (MISSIL) a colligé les MICI de novo de janvier 2016 à décembre 2019 chez les patients sous anti-IL17 (sécukinumab uniquement) dans les services de rhumatologie, dermatologie et gastroentérologie. Quelle est votre conclusion ?

Dans cette étude nationale en vraie vie, les cas de MICI apparus de novo sous anti-IL17 (c’est-à-dire sans signe digestif avant la mise en place du traitement) étaient peu fréquents : 31 cas répertoriés. Ce traitement, avec probablement un effet classe, ne semble pas être inducteur de MICI, mais il est prescrit à une population à risque de MICI. Ces biothérapies ne font probablement que démasquer une MICI infraclinique. Par exemple, dans une étude où une coloscopie était réalisée chez 125 patients atteints de spondylarthrite asymptomatiques sur le plan digestif, 42,4 % avaient des lésions microscopiques et 31 % des lésions macroscopiques (6).

Dans MISSIL, après interruption du sécukinumab, l’évolution était favorable avec résolution complète de la MICI (17/31), amélioration (7/31) ou stabilisation (5/31). En parallèle, l’incidence des MICI de novo était faible et a diminué au fil du temps : elle est passée de 0,69/100 patients-années en 2016 à 0,08/100 patients-années en 2019. Ceci n’est pas en faveur d’un effet inducteur de MICI sous anti-IL17.

Quels facteurs de risque de nouvelles MICI avez-vous retrouvés chez les patients recevant un anti-IL-17 ?

L’absence de traitement antérieur par étanercept (OR = 0,33 ; IC 95 % : 0,14-0,80 ; p = 0,014) et un faible nombre de lignes de biothérapies (OR = 0,67 ; IC 95 % : 0,47- 0,94 ; p = 0,021) étaient indépendamment associés au développement de MICI de novo. L’absence de traitement antérieur par étanercept est logique car cette biothérapie est inefficace pour contrôler l’activité des MICI. Un patient préalablement sous étanercept ayant une MICI infraclinique va donc probablement développer une MICI clinique avant la mise sous anti-IL17. De même, un patient ayant un nombre important de lignes de biothérapies a une maladie de longue durée. Il est donc probable qu’il développe une MICI clinique avant de recevoir l'anti-IL17, le risque de développer une MICI augmentant au cours du temps.

Par quels mécanismes pourrait-on expliquer les MICI de novo développées sous anti-IL17 ?

Il existe deux possibilités. Si nous considérons que les anti-IL17 induisent des MICI de novo, il existe des données sur une aggravation de l’inflammation intestinale en cas de neutralisation de l’IL-17 dans la colite expérimentale murine. En effet, l’IL-17 assure l’intégrité de la barrière intestinale. L’aggravation des MICI sous anti-IL17 pourrait être aussi liée à la prolifération de Candida albicans dans l’intestin induite par l’inhibition de l’IL-17 impliquée dans l’immunité antifongique. Au vu des données épidémiologiques et notamment de notre étude, cette hypothèse est moins probable.

L’autre hypothèse, plus probable, est une inefficacité des anti-IL17 à contrôler l’activité des MICI chez les patients ayant déjà une MICI infraclinique.

La diminution de l’incidence des MICI de novo pourrait s’expliquer par une meilleure sélection des patients au fil du temps, les médecins n’ayant pas prescrit d’anti-IL17 aux sujets à risque de développer une MICI.

Que recommandez-vous en pratique face au risque de nouvelles MICI ?

D’un point de vue pratique, les MICI de novo sous anti-IL17 restent une éventualité rare. D’ailleurs, pour conforter nos résultats, une méta-analyse récente de 14 390 patients traités par anti-IL17 dans les essais contrôlés randomisés n’a retrouvé aucune différence dans le risque de développer une MICI de novo, que ce soit dans la période d’induction ou de suivi (7). Cependant, nous devons rester vigilants et nous assurer, avant la mise sous anti-IL17, que les patients ne présentent pas de signes évocateurs, ni d’antécédents familiaux de MICI. Le dosage de la calprotectine fécale doit s’envisager assez facilement, comme le proposent les équipes de rhumatologie et gastroentérologie du CHU de Nancy (8). La vigilance doit se maintenir tout au long du traitement même si ces cas de MICI de novo semblent survenir très rapidement. Dans notre étude, le délai médian d’apparition de nouveaux symptômes de MICI était de quatre mois (1,5 à 7,5). Il faut également se souvenir que sous anti-IL17, les MICI peuvent être extrêmement sévères. Dans notre étude, deux patients ont exigé une colectomie totale et deux sont décédés.

(1) Letarouilly JG, Pham T, Pierache A et al. New-onset inflammatory bowel diseases among IL-17 inhibitor-treated patients: results from the case–control MISSIL study Rheumatology 2021;00:1–8.
(2) Hueber W, Sands BE, Lewitzky S et al.; Secukinumab in Crohn’s Disease Study Group. Secukinumab, a human anti-IL-17A monoclonal antibody, for moderate to severe Crohn’s disease: unexpected results of a randomised, double-blind placebo-controlled trial. Gut 2012;61: 1693–700.
(3) European Medicines Agency. Cosentyx. 2018. https:// www.ema.europa.eu/en/medicines/human/EPAR/ cosentyx
(4) Schreiber S, Colombel J-F, Feagan BG et al. Incidence rates of inflammatory bowel disease in patients with psoriasis, psoriatic arthritis and ankylosing spondylitis treated with secukinumab: a retrospective analysis of pooled data from 21 clinical trials. Ann Rheum Dis 2019; 78:473–9.
(5) Pina Vegas L, Sbidian E, Penso L, Claudepierre P. Epidemiologic study of patients with psoriatic arthritis in a real-world analysis: a cohort study of the French health insurance database. Rheumatology (Oxford) 2021;60: 1243–51.
(6) Cypers H, Varjas G, Beeckman S, Elevated calprotectin levels reveal bowel inflammation in spondyloarthritis. Ann Rheum Dis. 2016;75:1357-62.
(7) Burisch J, Eigner W, Schreiber S, et al. Risk for development of inflammatory bowel disease under inhibition of interleukin 17: A systematic review and meta-analysis. PLoS One 2020;15:e0233781.
(8) Fauny F, Moulin D, D’Amico F, et al. Paradoxical gastrointestinal effects ofinterleukin-17 blockers. Ann Rheum Dis 2020;79:1132–1138.

Hélène Joubert

Source : lequotidiendumedecin.fr