Tribune

Entrepôt de données et consentement éclairé : le piège génétique

Publié le 18/07/2019
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De nombreuses données de santé sont produites chaque jour au sein de nos établissements de santé, ou stockées dans des entrepôts de données de santé (EDS). Outre un usage clinique, ces données sont aussi destinées à un usage scientifique. Mais quel que soit l’usage, le Règlement général de la protection des données (RGPD) préconise entre autres que leur collecte se fasse avec le consentement éclairé exprès et écrit des patients. Cela implique que ces derniers consentent de façon explicite à ce stockage.

Or, dans de nombreux établissements franciliens, le stockage de ces données se fait avec le consentement éclairé présumé des patients : ils y consentent de façon implicite. En d’autres termes, à moins que le patient ne s’y oppose, ses données de santé, produites dans le cadre du soin, peuvent être utilisées dans le cadre de la recherche. Cela se fait en toute légalité. 39 établissements de santé de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) ont récemment reçu la dérogation de la part de la CNIL d’utiliser ce type de consentement, via des méthodologies de références (MR) anonymisant les données traitées.

Le problème est que cette dérogation concerne toutes les données de santé, dont les données génétiques. Or, d’une part, la loi interdit strictement toute analyse génétique (sauf exception) sans le consentement exprès de la personne. Ainsi, légalement, et pour la première fois, l’AP-HP est en capacité de traiter des données génétiques pour lesquelles le patient n’a jamais consenti explicitement. D’autre part, en raison de ces MR anonymisantes, l’AP-HP se retrouve dans l’impossibilité technique de retourner vers patient en cas de découverte importante concernant sa santé.

Ce n’est pas tout. Une donnée génétique seule a une valeur scientifique quasiment nulle. Celle-ci augmente lorsqu’elle est agrégée à d’autres données du même patient. Ainsi, nous voyons bien l’autre problème de cette dérogation pouvant aboutir à la production implicite des données génétiques anonymisées : il est impossible de revenir vers les patients pour collecter davantage de données afin d’augmenter la valeur scientifique de ces données génétiques, si besoin est. Et par expérience, le besoin est toujours.

Des effets négatifs d’un point de vue clinique et scientifique

Cette dérogation, avec des effets positifs possibles à court terme en matière de coût ou de temps, n’aura finalement que des effets négatifs probables à long terme d’un point de vue clinique et scientifique. Le consentement éclairé exprès reste alors le meilleur moyen, car lui seul permet de bien valoriser scientifiquement les données de santé, tout en informant le patient. Mais en réalité, il faudrait aller encore beaucoup plus loin. Au moins dans le cadre de la recherche, l’AP-HP – ainsi que l’institut Pasteur, l’institut Curie ou encore l’Inserm, etc. – devrait opter pour un consentement éclairé dynamique, via ce qu’on a appelé une « recherche impliquant la personne humaine (RIPH) », comme nous l’avons préconisé dans le rapport sur l’intelligence artificielle du député Cédric Villani.

Ce consentement éclairé exprès dynamique est un consentement dématérialisé qui permet au patient de consentir à chaque usage possible de ses données, dans l’espace et dans le temps. L’AP-HP ou ces instituts peuvent alors améliorer la production et l’usage scientifique de données de santé, en particulier génétiques, tout en offrant au patient un contrôle réel sur cette production et cet usage (ce qu’impose d’ailleurs le RGPD). On aboutit à la constitution d’une cohorte unique, multithématique et connectée par structure, qui permet d’alimenter et d’utiliser intelligemment et dynamiquement leurs entrepôts de données respectifs en données de santé et génétiques.

Si à court terme la dérogation de l’AP-HP peut paraître stratégique, au moins économiquement, ceci n’est qu’un leurre. À long terme, elle ne fera qu’accélérer la baisse de compétitivité scientifique et donc de soin de nos établissements de santé. Les entreprises privées, elles, ne feront pas cette erreur.


Source : Le Quotidien du médecin