Médecine prédictive

La France est-elle prête à séquencer le génome à la naissance ?

Publié le 27/10/2023
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Plusieurs pays dans le monde mènent des projets visant au séquençage du génome des nouveau-nés dans le cadre d’un dépistage néonatal. Cette tendance en pleine croissance revêt des enjeux médicaux comme sociétaux. Un sujet d'actualité qui a fait l'objet de sessions lors du congrès de la Société française de médecine prédictive et personnalisée le 20 septembre.

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

La France suivra-t-elle l'exemple du Royaume-Uni ou des États-Unis, qui testent le séquençage du génome pour le dépistage néonatal (DNN) génétique ? Pour l'heure, si le dépistage génétique est autorisé depuis la loi de bioéthique de 2021, une seule maladie est actuellement concernée, en test dans deux régions pilotes : l’amyotrophie spinale infantile.

« Dans notre pays, il n'existe pas de programme de dépistage néonatal par séquençage génomique dans le plan France Génomique 2025 », précise David Geneviève, président de l’association francophone des généticiens cliniciens lors d'une session du 9e congrès de la Société française de médecine prédictive et personnalisée (SFMPP).

On dénombre plus de 1 000 maladies génétiques à révélation pédiatrique. Seules 13 font aujourd’hui partie du DNN en France par analyse biochimique, et leur nombre n’était que de six l’an dernier. Ce chiffre varie selon les pays, mais n’excède pas quelques dizaines de pathologies. Pourtant, les outils de séquençage génomique actuels pourraient permettre de l'élargir à plusieurs centaines de maladies rares.

Projet Guardian aux États-Unis

Aux États-Unis, le projet Guardian, conduit dans l’État de New York, a pour objectif de dépister par séquençage 250 maladies génétiques à révélation pédiatrique et d’évaluer la faisabilité de tels tests. Deux groupes de pathologies sont distingués dans l’étude. Le premier, pour tous les participants, comprend 150 pathologies, pour lesquelles un traitement ou une prise en charge existe permettant de prévenir la maladie ou de l’atténuer. Toutes ont également un test complémentaire de confirmation. Le second groupe, optionnel, inclus une centaine de pathologies, majoritairement neurodéveloppementales, pour lesquelles il n’y a pas de traitement (hors éventuels essais cliniques), mais pour lesquelles une prise en charge précoce pourrait être bénéfique.

« Avec Guardian, nous avons vu que la population était demandeuse de tels dépistages, avec une forte adhésion à notre étude, rapporte le Dr Alban Ziegler, médecin généticien ayant participé au projet. Nous avons montré qu’il était possible de dépister des pathologies non détectables avec les méthodes traditionnelles et cela dans des délais corrects. Le projet a été mené sur une petite échelle, 5 000 patients en un an. Il y a un véritable besoin de projets de recherche nationaux qui explorent les souhaits et les besoins des populations ».

Séquençage entier pour Genomic England

Au Royaume-Uni, le « Newborn Genomes Programme » s’inscrit quant à lui dans le plan plus vaste « Genomic England » et a pour objectif d’étudier la faisabilité, les bénéfices, mais aussi les risques du séquençage du génome entier. Ce programme, qui s’apprête à débuter, analysera le génome de 100 000 nouveau-nés à la recherche de 200 à 400 maladies génétiques rares.

Le choix des gènes étudiés répond à des principes stricts : l’anomalie génétique est à l’origine de la maladie et cette dernière peut être confirmée par un autre test ; l’affection dépistée a un impact significatif sur la qualité de vie ; une intervention est possible dans cette pathologie ; le traitement ou la prise en charge est accessible à tous, c’est-à-dire pris en charge par le système de santé britannique.

« En regardant toutes les données que nous aurons obtenues nous pourrons prendre une décision. Ce type de dépistage est-il prêt à être utilisé à l’échelle des 600 000 naissances annuelles en Angleterre ou avons-nous besoin de plus de recherche ? », précise le Dr David Bick, investigateur principal du Newborn Genomes Programme.

Acceptabilité et faisabilité en France

S’il est techniquement possible de réaliser ces séquençages du génome chez les nouveau-nés, qu’en est-il de l’adhésion de la population ? L’objectif du projet SeDEN, mené par le CHU de Dijon, est de mesurer l’acceptabilité sociale du dépistage néonatal et les spécificités liées à l’utilisation de la génétique en première intention.

Les professionnels de santé apparaissent globalement très favorables à l’introduction d’un DNN dans le cas de pathologies actionnables à révélation pédiatrique, et défavorables sur la question des pathologies non actionnables.

Concernant les parents, deux profils se distinguent. Un premier profil semble souhaiter un savoir plutôt restreint, limité aux pathologies actionnables à révélation pendant l’enfance ou l’adolescence. Un second profil est partisan d’une information totale, y compris sur les pathologies à apparition tardive ou sans traitement à l’heure actuelle. En revanche, les deux groupes parentaux s’accordent sur le fait que l’utilisation d’un test génétique en première intention plutôt qu’un autre type de test ne change rien, à partir du moment où ce n’est pas plus invasif pour l’enfant. « Il y a une vraie demande de la part des familles et une prise de parole assez forte des associations en faveur de l’extension du DNN », souligne Camille Level, économiste de la santé en charge du projet.

À la suite de SeDEN s’ouvre un projet plus vaste, Perigenomed. Son but est d’apporter les éléments sur la pertinence d’un DNN mais aussi de répondre à des questions de validité analytique, de validité et d’utilité clinique, et d’évaluer les enjeux psychosociaux, légaux, éthiques et cliniques qui peuvent y être liés.

Des enjeux éthiques

La collecte de ces données pose un certain nombre de questions techniques, éthiques et économiques. Le stockage de ces données en est une. Doivent-elles être utilisées uniquement à des fins de diagnostic néonatal ou être conservées plus longtemps, avec le risque d’un détournement de leur usage initialement prévu ? Qu’en est-il de l’actualisation de ces données ? Sera-t-il possible de réanalyser son génome à la lumière des découvertes les plus récentes ?

Une autre question est celle des données incidentes. Le séquençage du génome entier peut en effet révéler des mutations en cause dans d’autres maladies, comme BRCA1. En France, tout examen génétique peut conduire à une donnée incidente et les patients ou parents sont informés du risque de découverte fortuite de maladies avec la possibilité, s’ils le souhaitent, d’en prendre connaissance. La recherche active de ces données est en revanche interdite, contrairement aux pays anglo-saxons.

« Si le dépistage néonatal génétique peut permettre la mise en œuvre de mesures thérapeutiques empêchant ou limitant le développement d’une maladie grave et éviter ainsi un retard et bien souvent une errance diagnostique, l’élargissement et la généralisation du dépistage rendu possible par le séquençage du génome entier relèvent d’une décision sociétale » précise David Geneviève.

La difficile question des troubles neurodéveloppementaux

Dans un récent article publié par la revue Pediatrics, une équipe de l’Université de Rochester (États-Unis) s’interroge sur l’extension du dépistage néonatal des gènes associés à un risque accru de troubles neurodéveloppementaux. Selon elle, un tel dépistage pourrait s’avérer délétère. En effet, une détection de ces syndromes pourrait, en théorie, permettre la mise en place d’une prise en charge précoce, mais en réalité elle est insuffisante et très variable en termes d’accès.

L’ambiguïté entre ces marqueurs génétiques et leur manifestation phénotypique réelle pose également problème. Les experts craignent un surdiagnostic et un risque de stigmatisation, chez des enfants qui ne présenteront peut-être jamais de troubles du neurodéveloppement.

Nicolas Brard

Source : Le Quotidien du médecin