L’ÉLITE SPORTIVE étant mise en cause, le diagnostic dépasse la sphère médicale. L’affaire concernant 4 athlètes féminines sélectionnées aux JO de 2012 et repérées par l’IAAF (International Association of Athletics Federations) en raison d’un morphotype particulier et de taux de testostérone anormalement élevés a été portée à la connaissance du public, dès le 19 avril dernier par le Midi Libre. En statuant de façon inédite sur la nature génétique de l’ambiguïté sexuelle, l’étude menée par le Pr Charles Sultan, endocrino-pédiatre au CHU de Montpellier en collaboration avec le Pr Patrick Fénichel, endocrinologue au CHU de Nice, tous deux ayant été désignés par l’IAAF en tant que spécialistes des problèmes de différenciation sexuelle, pose des questions sensibles, à la fois réglementaires sur la sélection de ces sportives et leur qualification au championnat, mais aussi éthiques et sociétales. « Une bombe dans le milieu sportif, commente le Pr Charles Sultan. C’est la première fois que l’on apporte la preuve génétique d’un hermaphrodisme conférant de meilleures performances physiques et sportives chez des athlètes de haut niveau ».
Après un examen clinique par le Pr Fénichel, qui ne laissait pas de doute sur l’existence d’une hyperandrogénie anormale, l’ADN des athlètes a été transmis pour analyse au service du Pr Sultan au CHU de Montpellier, qui dispose d’un plateau technique impressionnant « unique au Monde », capable de détecter la plupart des anomalies génétiques liées à une ambiguïté sexuelle et ayant à ce titre de nombreuses collaborations avec des équipes étrangères. Pas étonnat que l’étude rédigée à partir de cette mission ait retenu l’attention du Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism (JCEM), une revue de référence très sélective. « Pas question pour moi de "promotion personnelle" comme le soutient le CIO (Comité International Olympique)», insiste le spécialiste, qui a déjà reçu une dizaine de Prix scientifiques, dont le fameux prix Albert-Lasker, considéré comme l’antichambre des Nobel.
Un chromosome Y qui s’exprime à l’adolescence
L’étude révèle que ces athlètes de haut niveau ont un caryotype masculin 46 XY mais présentent une pathologie rare caractérisée par une mutation génétique de la 5 alpha réductase. Cette enzyme convertit la testostérone en dihydrotestostérone, qui est une hormone indispensable à la différenciation masculine des organes génitaux externes et au développement du tractus uro-génital masculin. L’ambiguïté sexuelle à la naissance peut être plus ou moins marquée selon les patients allant d’un phénotype féminin à un aspect masculin avec hypospadias et/ou micropénis. « Ces athlètes porteuses d’un chromosome Y ont présenté un phénotype féminin à la naissance et dans l’enfance, ont été déclarées et prénommées comme étant des petites filles et élevées comme telles. À la puberté, sous l’influence de la production de testostérone par les testicules, en position ectopique certes mais bien présents en intra-abdominal, il y a eu une virilisation qui n’a pas pu passer inaperçue. La pilosité pubienne est débordante, le clitoris devient micropénis, passant de 1 à 4 cm, la poitrine reste totalement plate ».
Des performances liées à la testostérone
La supériorité physique conférée par l’hyperandrogénie est indéniable. « Le développement musculaire est de 20 à 30 % supérieur par rapport à celui des femmes du même âge. Idem pour la croissance osseuse. L’hématocrite est plus élevé dans les mêmes proportions. Sans oublier le mental, plus "sportif", plus agressif, plus compétitif. Le cerveau est moins sujet à la dispersion lors d’une course». Ce qui a pu expliquer en partie que ces jeunes filles se soient démarquées sur le plan sportif. Leur taux de testostérone est équivalent à celui des concurrents masculins. « Le CIO a institué la règle selon laquelle le taux de testostérone est considéré anormal chez la femme s’il est supérieur à la valeur minimale de l’homme. Ces valeurs « hautes », de 5 fois supérieures à la norme chez la femme, ont été retenues pour ne pas pénaliser les sportives atteintes d’une hyperplasie congénitale des surrénales de forme tardive ou de syndrome des ovaires polykystiques. Ainsi, alors que la valeur chez une femme de 30-35 ans est de l’ordre de 0,6 ng/ml, la valeur minimale chez l’homme est de 3 ng/ml. Un homme normal présente des taux moyens de 7-8 ng/ml, c’est ce qui a été mesuré chez les 4 athlètes ».
Un statu quo désormais difficile à envisager.
Le fait de porter la découverte à la connaissance du public n’est pas pour plaire au CIO. Communication retardée, conférence de presse annulée, accusations calomnieuses... Pour tout dire, le CIO est « furieux ». Le comité chercherait-il à cacher quelque chose ? « Il y a quelques années, la recherche de matériel Y était systématique chez les athlètes suspectées. Puis la règle a été supprimée suite à l’accusation de voyeurisme par les athlètes soumises au test ». Pour ce qui concerne ces athlètes, si le phénotype est plutôt féminin, compte-tenu de certaines caractéristiques physiques, il semble bien difficile de croire que les intéressées, leur entourage, leurs entraîneurs et encore moins les médecins ne se soient jamais doutés de quoi que ce soit ... Même les journaux grand public s’en mêlent : « Le magazine Times avait ainsi titré aux championnats du monde de Berlin en 2009 à propos de l’athlète sud-africaine Caster Semenya ayant défrayé la chronique : "Is Caster Semenya really a man?"».
Comme le souligne le Pr Sultan, la problématique de faire concourir des hommes dans la catégorie féminine aux JO ne date pas d’aujourd’hui. « Aux JO de 1936, Hitler avait déjà sélectionné un homme aux cheveux longs. Une athlète médaillée d’or à Amsterdam fin des années 1940 était en fait XY, comme l’a montré bien plus tard une autopsie dans les suites d’un hold-up ». Outre Caster Semenya, d’autres championnes ont suscité des doutes au cours de l’histoire des JO, sans que la preuve génétique ne soit jamais apportée. Il reste aujourd’hui à savoir quelle sera la position adoptée par le CIO au sujet de ces jeunes athlètes. Faut-il les disqualifier, les faire concourir chez les hommes, les sélectionner dans la catégorie féminine après castration chimique? Compte-tenu de l’avantage conféré par la testostérone, un statu quo semble difficilement envisageable.
JCEM, publication in-press.
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