Tests de prédisposition BRCA1/2

Les nouvelles recommandations américaines prônent la raison

Par
Publié le 13/09/2019

La mise à jour des dernières recommandations américaines (datant de 2013) élargit le dépistage aux femmes à risque ayant déjà eu un cancer, ainsi qu'aux populations à risque connues, en particulier les Ashkénazes (1). Elles contre-indiquent en revanche un dépistage tous azimuts. Commentaires du Pr Dominique Stoppa-Lyonnet (Institut Curie, Paris).

Crédit photo : Phanie

 "Ce sont des recommandations "raisonnables" guidées par un score de risque, à l'heure où certains, en particulier outre Atlantique, prônent un dépistage généralisé et où l'irruption des autotests vient brouiller les pistes. Elles sont tout à fait en phase avec le parti pris français actuel" commente le Pr Dominique Stoppa-Lyonnet (Institut Curie, Paris et Université Paris Descartes). Ces recommandations élargissent en outre la prévention médicamenteuse aux anti-aromatases. Enfin, elles mettent les médecins généralistes en première ligne puisque c'est à eux qu'incombe le repérage des femmes.

Pour une oncogénétique "raisonnée" 

"Aujourd'hui il y a tout un discours favorable au dépistage en population générale de toutes les femmes de plus de 30 ans sous prétexte qu'il serait coût efficace. C'est ce que suggère du moins une étude ayant utilisé comme hypothèses une fréquence de portage assez élevée (1/150), une participation au test de 100 % et un taux d'acceptation de 50 % de la mammectomie radicale par les porteuses", explique la Pr Stoppa-Lyonnet. Mais l'US Preventive Task Force (USPTF) n'a pas retenu cette option. Et elle s'en explique. Dans le même numéro du Journal of the American Medical Association (JAMA), l'USPTF publie en effet une méta-analyse des études portant sur le bénéfice risque du dépistage (2). Elle rappelle qu'aucune étude n'a jamais démontré l'efficacité du dépistage sur la mortalité par cancer BRCA1/2, même si les interventions médicamenteuses (chimioprévention par tamoxifène, raloxifène ou anti-aromatase) réduisent le risque de cancer invasif chez les femmes prédisposées, quand la mammectomie réduit à la fois l'incidence du cancer et sa mortalité. "On manque donc sérieusement d'études d'impact même chez les porteuses, conclut l'USPTF (2). Chez les femmes présentant une histoire personnelle ou familiale à risque, il y a néanmoins assez de données pour estimer qu'il existe un bénéfice. A contrario en absence de tout antécédent personnel ou familial de cancer, le bénéfice de mesures préventives n’est pas démontré". (1).

Trop d'inconnues pour élargir le dépistage

"En France aussi certains plaident pour une diffusion plus large des tests d'oncogénétique" souligne D Stoppa-Lyonnet. Le débat n'est pas clôt. Mais personnellement je suis de ceux qui pensent que l'on manque encore de trop d'éléments".

Plusieurs problèmes se posent. En particulier, quelle importance attacher à certains variants génétiques BRCA1/2 dont l'impact est actuellement inconnu ? Il faut savoir qu'aujourd'hui la moitié des femmes ayant un variant d'impact inconnu BRCA1/2 ont une mammectomie aux USA. Il est également indispensable d’évaluer le poids des facteurs de risque classiques du cancer du sein et des autres facteurs de risque génétique modificateurs dits "PRS" (Polygenic Risk Score) qui viennent moduler les risques individuels de cancers du sein et de l’ovaire.

"De plus, se lancer dès l'âge de 30 ans dans une surveillance, voire une mammectomie puis une ovariectomie à 40 ans, n'est pas sans conséquence. C'est pourquoi je prône la prudence. Les indications pourront être élargies à la population générale lorsque l’on aura la capacité d’avoir une estimation individuelle des risques..."

En dehors des situations de haut risque précédemment évoquées, il serait très utile de savoir mieux estimer le risque personnel de chaque femme. Dans cette optique une vaste étude essentiellement européenne - étude MyPeBS (3) - a récemment démarré. Elle inclut 85 000 femmes en France, Belgique, Italie, Israël et au Royaume-Uni, réparties aléatoirement en deux groupes : dépistage actuel versus dépistage personnalisé adapté au risque individuel. Ce risque va être évalué sur les facteurs de risque traditionnels, la densité mammaire mais aussi sur des facteurs de risque génétique modificateurs ("PRS" : 313 polymorphismes). Le critère primaire porte sur l'incidence des cancers du sein et leurs stades au diagnostic. "C'est une étude extrêmement intéressante en ce qu'elle va nous permettre de personnaliser le dépistage du cancer du sein".

Améliorer l'accès au dépistage des femmes à risque

Malgré une nette progression du dépistage (passant de 40 000 tests par an en 2014 à 52 000 en 2016 [4]), nombre de femmes à risque ne sont toujours pas dépistées actuellement en France. Par exemple, toutes les femmes ayant développé un cancer de l'ovaire devraient avoir un test d'oncogénétique, ne serait-ce que pour son intérêt thérapeutique. Or c'est loin d'être le cas. "Nous devons continuer à informer les femmes et les médecins. Il faut aussi sûrement mieux mobiliser les médecins généralistes. Enfin, il faudrait revoir l'organisation des tests d'oncogénétique. Les consultations d'oncogénétiques (71 000 en 2016 réparties sur 147 sites) sont débordées. Et cela ne va pas s'améliorer. Or, une consultation d'oncogénétique en tête à tête n'est pas toujours nécessaire. En revanche trois points sont incontournables : des tests de qualité, les pratiquer sur des personnes informées et accompagnées, ainsi que l'équité d'accès aux tests " résume la Pr Dominique Stoppa-Lyonnet.

(1) US Preventive Services Task Force Recommendation. Risk Assessment, Genetic Counseling, and Genetic Testing for BRCA-Related CancerUS Preventive Services Task Force Recommendation Statement. JAMA. 2019;322(7):652-665.
(2) US Preventive Services Task Force Evidence Report. Risk Assessment, Genetic Counseling, and Genetic Testing for BRCA-Related Cancer in Women. Updated Evidence Report and Systematic Review for the US Preventive Services Task Force. JAMA. 2019;322(7):666-685.
(3) My Personal Breast Screening; https://mypebs.eu/  
(4) Oncogénétique en 2016: consultations, laboratoires et suivi. INCA décembre 2017

Pascale Solere

Source : lequotidiendumedecin.fr