Lois de bioéthique : « épuisés » et las, des professionnels de médecine prédictive disent leur déception de la révision en cours

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Publié le 25/09/2020
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Crédit photo : AFP

« Je suis épuisé de ces lois de bioéthique. Une troisième lecture à l'Assemblée nationale en 2021 ? Cela n'a pas de sens. La science va très vite, nous passons notre temps à être à rebours », a regretté le député Modem, généticien de formation, Philippe Berta, ce 24 septembre, à l'occasion du sixième congrès de la Société française de médecine prédictive et personnalisée (SFMPP).

La lassitude du co-rapporteur de cette loi que le Parlement a commencé à discuter à l'automne 2019, est d'autant plus vive, qu'elle ne va pas assez loin, à ses yeux, en matière de génétique et de génomique. Un avis partagé par la SFMPP et par la Pr Alexandra Benachi, gynécologue et membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE).

Regrets sur le dépistage préconceptionnel et le DPI-A

La spécialiste des maladies rares a déploré le maintien de l'interdiction du dépistage génétique préconceptionnel (dépistage des porteurs sains de mutations responsables de maladies héréditaires monogéniques graves et non polygéniques) en population générale. Le CCNE dans son avis 129 avait proposé que ce dépistage soit au moins proposé aux couples qui le souhaitent après une consultation spécialisée et qu'une étude soit lancée pour évaluer la pertinence de son extension en population générale. Actuellement, ce DPC n'est proposé qu'aux parents à risque : ceux qui ont déjà un enfant atteint d'une maladie génétique récessive, ou pour qui l'on a connaissance d'un apparenté à risque. « Mais pourquoi faut-il attendre d'avoir souffert pour y accéder ! », s'est exclamée la Pr Benachi.

Elle s'est aussi élevée contre le refus des parlementaires d'élargir le diagnostic pré-implantatoire à la recherche de certaines aneuploïdies (DPI-A). « Il faut attendre trois ans les résultats d'un programme hospitalier de recherche clinique. Encore une fois, on va avoir trois ans de retard sur l'étranger », a regretté la Pr Benachi. « C'est une perte de chance. Le DPI-A devrait au moins être autorisé pour les femmes de 35 -40 ans, dont les embryons ne s'implanteront pas. Cela n'a rien à voir avec l'eugénisme », a-t-elle insisté.

Las également de s'être fait taxer d'« eugéniste » pour avoir défendu de telles mesures, Philippe Berta pointe le risque que les couples en difficulté se tournent vers l'étranger. « Alors qu'on nous explique que l'ouverture de la PMA en France devrait permettre d'éviter le tourisme ! », s'agace-t-il.

Parmi les rares points qui trouvent grâce à ses yeux dans cette troisième révision des lois de bioéthique, la Pr Benachi cite la possibilité d'une interruption médicale de grossesse (IMG) pour « détresse psychosociale ». Une proposition qui a suscité un tollé lors de son adoption par l'Assemblée nationale cet été. « C'était déjà le cas avant : on peut faire une IMG en cas de danger pour le fœtus, mais aussi en cas de pathologies maternelles, dont la détresse psychosociale. La loi viendrait ainsi clarifier ce qu'on fait ! », a-t-elle expliqué.

Méconnaissance générale de la génétique et génomique

Le hiatus entre les positions des spécialistes de génétique de la représentation nationale s'explique, selon les premiers, par une grande méconnaissance de leur domaine. « L'une des conclusions des États Généraux de la bioéthique organisés dès 2018 fut le besoin de formation et d'informations des Français sur ces questions » rappelle la Pr Benachi.

« Il y a une vraie défiance en France à l'égard de la science », s'est désolé Philippe Berta, tout en encourageant les médecins et généticiens à faire œuvre de pédagogie auprès des parlementaires. « La seule pathologie qu'ils connaissent, c'est la maladie de Lyme », s'est-il amusé, non sans ironie.

 

 

La loi de bioéthique, une occasion à saisir pour les conseillers en génétique

La loi de bioéthique devrait clarifier les missions des quelque 250 conseillers en génétiques en France. Et dont le rôle a vocation à se renforcer, eu égard à une demande croissante.

Depuis 2004, ces conseillers en génétique travaillent sous la responsabilité des médecins au suivi des dossiers et à la délivrance d'informations. Mais la loi jusqu'à présent ne précise pas s'ils peuvent prescrire des analyses, ou rendre des résultats.

Grâce au travail de l'Association française de conseillers en génétique (AFCG), le projet de loi précise qu'ils peuvent prescrire certains examens de biologie médicale et communiquer certains résultats au patient, en accord avec le médecin. « Nous voulons que la loi soit en accord avec nos pratiques, nous ne voulons pas aller au-delà », a expliqué Émilie Consolino, présidente de l'AFCG. « Nous devons travailler désormais à la création d'un statut avec une grille de salaire homogène. C'est une petite reconnaissance, pour des professionnels qui ne sont pas toujours acceptés, et dont les contrats et salaires sont très disparates », conclut-elle.


Source : lequotidiendumedecin.fr