Distinguer deux souches, même très proches

Un nouvel outil pour pister les SARM

Publié le 22/01/2010
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Crédit photo : (c) BSIP 1995 #0693595

DE NOTRE CORRESPONDANTE

« CETTE NOUVELLE méthode nous a permis d’obtenir de nouveaux aperçus sur les processus fondamentaux de l’évolution chez Staphylococcus aureus, l’une des bactéries pathogènes les plus importantes dans les milieux de soins du monde entier », déclare dans un communiqué le Dr Sharon Peacock (Université de Cambridge, Royaume-Uni, et Université Mahidol de Bangkok en Thaïlande). « Nous sommes maintenant capables de distinguer une souche d’une autre, même lorsqu’elles sont très étroitement apparentées. Notre recherche devrait être utile aux stratégies de surveillance globale pour traquer la dissémination du SARM. »

De personne à personne d’hôpital en hôpital, de pays à pays.

« Les implications pour la santé publique sont claires, ajoute-t-elle. Cette technologie offre la possibilité de surveiller les voies de transmission du SARM de manière plus catégorique, de façon à ce que les interventions ou les traitements puissent être ciblés avec précision et selon les besoins. »

« Pouvoir différencier les souches au sein d’une espèce bactérienne est d’une importance capitale pour le développement des stratégies de santé publique », renchérit le Dr Stephen Bentley (Wellcome Trust Sanger Institute à Cambridge, Royaume-Uni), qui a dirigé ce travail. « Cela permet aux chercheurs et aux responsables de santé publique de voir comment les infections sont propagées : de personne à personne ; d’hôpital en hôpital ; de pays à pays. »

Les méthodes utilisées jusqu’ici pour comparer les diverses souches isolées (ou isolats) chez les patients reposaient sur le séquençage de quelques loci ou régions du génome et étaient donc imprécises et incapables de distinguer des souches étroitement apparentées.

Harris et coll. ont exploité de nouvelles technologies de séquençage d’ADN à haut débit (cartographiant les variations SNP et les insertions et délétions dans le génome sur une séquence de référence) pour comparer rapidement et simultanément le génome entier de plusieurs isolats au sein d’une collection.

Ils ont analysé au moyen de ce nouvel outil deux séries distinctes d’isolats du SARM, appartenants à la lignée ST239 qui prédomine en Asie, a été détectée en Amérique du Sud, et circule actuellement en Europe de l’Est.

Une série réunissait 43 isolats prélevés sur des patients entre 1982 et 2003 à travers le monde (procurant un instantané de la population globale du ST239).

Une autre série comprenait 20 isolats prélevés sur des patients d’un hôpital de la Thaïlande durant une période de 7 mois, et potentiellement liés par une chaîne de transmission.

L’analyse de la série hospitalière de Thaïlande a permis de repartir les isolats en deux groupes ; dans le plus large groupe de 13 isolats, 5 étaient extrêmement similaires et ne différaient que par 14 SNP. « Ce groupe de 5 souches similaires du SARM était responsable d’infections chez des patients hospitalisés dans des unités de soins intensifs adjacentes dans l’hôpital, et toutes ont été isolées en l’espace de quelques semaines », explique le Dr Ed Feil (Université de Bath, R-U). « En revanche, les souches isolées chez les patients dans d’autres services de l’hôpital étaient beaucoup moins similaires. Cela consolide notre théorie de deux groupes d’isolats introduits séparément à l’hôpital. »

De façon importante, l’équipe a pu déterminer à quelle vitesse la séquence d’ADN mute, offrant un aperçu sans précédent sur la vitesse d’évolution in vivo. Cette souche particulière du SARM acquérait environ une mutation SNP toutes les 6 semaines.

Pour mieux comprendre l’évolution et la dissémination globale du SARM sur plusieurs décennies, l’équipe a examiné la série des 43 isolats prélevés dans des hôpitaux à travers le monde. En identifiant les variations SNP au sein du génome des isolats, et en considérant les dates de leur prélèvement, les chercheurs ont pu calculer un taux de mutation et construire un arbre évolutif (ou phylogénétique) du SARM.

Émergence en Europe dans les années 1960.

Les isolats européens sont concentrés à la base de l’arbre, ce qui suggère que le SARM aurait émergé dans les années 1960 en Europe, conformément aux théories associant l’origine du SARM à l’introduction de l’usage répandu des antibiotiques en Europe dans les années 1960.

Les résultats pointent aussi vers un petit nombre de transmissions intercontinentales, et l’expansion de variants sous-cloniques qui deviennent parfois dominants dans leur nouvelle région géographique.

Ainsi, les chercheurs ont pu découvrir que la souche isolée au cours d’une large épidémie récente de SARM dans un hôpital de Londres, était asiatique et avait probablement été introduite par un patient venant d’Asie du Sud-Est. « Cette approche révèle la structure géographique globale au sein de la lignée, sa transmission intercontinentale à travers 4 décennies, et la possibilité de retracer la transmission de personne à personne au sein d’un environnement hospitalier », concluent donc les chercheurs.

Cette approche pourrait également être utilisée pour d’autres fléaux bactériens.

Science 22 janvier 2010, Harris et coll. p. 4690.

 Dr VÉRONIQUE NGUYEN

Source : Le Quotidien du Médecin: 8692