Mycosis fongoïde : vers une médecine personnalisée

Un test génétique prédit une forme agressive de ce lymphome T cutané

Par
Publié le 14/05/2018
Article réservé aux abonnés
.

.
Crédit photo : STEVE GSCHMEISSNER/SPL/PHANIE

« En utilisant des approches de médecine de précision, dont le séquençage d'ADN à haut débit du gène du récepteur des lymphocytes T, nous avons pu identifier chez les patients atteints du mycosis fongoïde un sous-groupe susceptible de développer une maladie rapidement progressive et fatale. En même temps, cela nous permet d'identifier les patients qui auront une maladie indolente ne nécessitant pas de traitement agressif », explique au « Quotidien » le Dr Thomas Kupper (Brigham and Women’s Hospital à Boston) qui a dirigé l’étude publiée dans la revue « Science Translational Medicine ».

Le mycosis fongoïde, la forme la plus courante du lymphome cutané à cellules T (LCCT), est généralement diagnostiqué au stade précoce (stade I A/B, limité à la peau) ; plus de 80 % de ces patients ont une évolution clinique chronique indolente. Toutefois, un sous-groupe de ces patients développe une forme agressive fatale qui peut se propager au-delà de la peau et devient réfractaire à tout traitement. « Deux patients affectés d’un mycosis fongoïde au stade IB peuvent sembler identiques au moment du diagnostic, pourtant l’un présentera une maladie évolutive rapide aboutissant à la mort en 3 à 4 ans, tandis que l'autre aura une maladie stable pendant des décennies », explique le Dr Kupper.

Kupper et ses collègues ont fondé la Clinique du lymphome cutané au Dana-Farber Cancer Institute en 1999, avec entre autres objectifs celui de développer de meilleurs outils diagnostiques et pronostiques pour le mycosis fongoïde et d'autres formes de LCCT. Depuis 2002, près de 900 patients ont été étudiés longitudinalement pour suivre la progression de leur maladie.

Séquençage du gène de la TCRB

Dans l’étude présente, les chercheurs ont séquencé le gène de la chaîne bêta du récepteur des cellules T (TCRB) dans les biopsies de lésions cutanées chez plus de 300 patients affectés d’un LCCT, la plupart d’entre eux ayant un mycosis fongoïde. L'équipe a utilisé le séquençage d'ADN à haut débit, qui permet de séquencer simultanément des quantités massives d'ADN, pour obtenir un cliché des gènes TCRB dans un grand nombre de cellules au site de lésion. Puis l’équipe a mesuré la « fréquence des clones tumoraux (FCT) ».

Au stade précoce, une FTC supérieure a 25 % dans la peau lésée s’est avérée être un marqueur de progression supérieur à n’importe quel autre facteur pronostic établi (stade IB versus IA, présence de plaques, taux sanguin élevé de LDH, transformation à grandes cellules, ou age). « Au microscope, les cellules T bénignes et les cellules T MF sont difficiles à distinguer », précise le Dr Kupper. « Cependant, chaque cellule T possède une séquence d'ADN unique de son récepteur des cellules T, que nous pouvons détecter par séquençage d'ADN à haut débit. Ce séquençage et les calculs de FCT nous permettent de faire des prédictions qui n'auraient jamais été possibles auparavant. Ayant traité des patients atteints de cette maladie pendant des décennies, je me réjouis de participer à un travail qui affecte aussi directement et profondément les soins et la prise en charge de ces patients. »

Une prise en charge personnalisée

Cette approche « pourrait nous permettre d'identifier les patients destinés à avoir une maladie agressive ; ceux-ci pourraient être traités plus intensément et peut-être même sélectionnés pour des approches potentiellement curatives comme la greffe de cellules souches hématopoïétiques », entrevoit le Dr Kupper. « Bien que notre étude soit importante (> 300 patients) pour une maladie rare, nous pensons qu'une étude multicentrique prospective est nécessaire pour valider nos résultats, ce qui pourrait prendre 5 à 8 ans. En attendant, le test est réalisable dans tous les centres majeurs de cancérologie. S’il est encore prématuré d'utiliser notre approche pour sélectionner précocement les candidats à la greffe de cellules souches (une procédure non dénuée de morbidité/mortalité), nous commençons déjà à identifier avec notre marqueur les patients à haut risque et nous leur administrons précocement des thérapies plus agressives. »

Dr Véronique Nguyen

Source : Le Quotidien du médecin: 9664