Une réussite scientifique face à un danger législatif

Publié le 01/04/2011
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IL S’AGIT d’un « malheureux télescopage » entre la publication d’une réussite scientifique et le danger de se voir interdire une recherche qui débouche sur du criblage de médicament, indique au « Quotidien » le Pr Marc Peschanski. « Le travail que nous sortons, qui est vraiment une première, n’aurait pas été possible si la loi de bioéthique était votée telle qu’elle a été proposée par l’Assemblée nationale le 15 février dernier », explique le directeur scientifique d’I-Stem, qui a réussi, en 2009, à obtenir une peau artificielle à partir de cellules souches embryonnaires humaines*. Alors que les sénateurs s’apprêtent, à leur tour, à examiner, le 5 avril, le projet de révision de la loi bioéthique, le chercheur espère « faire ce qu’il faut pour que ce télescopage aille dans le bon sens ». En cause, l’amendement 49 de l’article 23 relatif à la recherche sur les cellules souches embryonnaires (CESh), qui renforce l’obligation de démonstration par les scientifiques « de l’absence d’outils cellulaires comparables » avant toute autorisation dérogatoire (la recherche sur les CESh étant, par principe, interdite). « En nous imposant expérimentalement de démontrer qu’il n’y a rien d’autre de possible, cela implique des années de boulot pour rien », déplore Marc Peschanski.

Pour mémoire, la fondation de recherche Jérôme Lejeune, en octobre dernier, avait déposé un recours devant le tribunal administratif de Paris contre la décision de l’Agence de la biomédecine d’autoriser un protocole de recherche à l’institut I-Stem sur la modélisation de la dystrophie musculaire fascio-scapulo-humérale à partir de CESh. « La fondation Lejeune a perdu et c’est pour cela que l’amendement est tellement dangereux, car s’il avait été applicable, le tribunal lui aurait donné raison. Elle reprochait à l’Agence de la biomédecine de nous avoir autorisé ce protocole alors que, à leur avis, nous n’avions pas fait ce qu’il fallait pour démontrer qu’il n’y avait pas d’autres solutions. Or, jusqu’à présent, la loi ne nous imposait pas de le faire. Il revenait à l’Agence de regarder dans la littérature s’il existait d’autres approches comparables. L’amendement déclasse la charge de la preuve pour la mettre sur nos épaules », explique le chercheur.

CESh et IPS.

La fondation Lejeune invoquait notamment l’utilisation des cellules adultes induites à la pluripotence (IPS). Pourtant, plus de trois ans après leur découverte, de nombreuses équipes de recherche ont établi que les IPS n’avaient pas les mêmes caractéristiques que les CESh. Comme toutes les équipes qui travaillent en parallèle sur ces cellules, « nous avons nous-mêmes observé une très importante différence entre la capacité de ces deux types de cellules à former des tissus spécialisés, et nous n’arrivons pas aujourd’hui, par exemple, à obtenir un épiderme ressemblant à l’épiderme adulte à partir des IPS », indiquent Marc Peschanski et la chercheuse Cécile Martinat dans un mémo destiné aux sénateurs.

« Notre recherche est fondamentale aujourd’hui car il s’agit d’identifier des gènes impliqués dans la pathologie dont on démonte les mécanismes fonctionnels. Ce qui l’est moins, c’est qu’à partir du moment où l’on identifie des désordres cellulaires qui correspondent à ce que l’on observe chez les patients, on peut, sur ces cellules-là, aller chercher des médicaments. C’est vraiment l’intérêt de ce que l’on appelle la modélisation pathologique en cellules : faire avec des cellules ce que l’on ne peut pas faire chez les patients, c’est-à-dire multiplier les effets ». Et cela vaut pour bien d’autres maladies génétiques que la maladie de Steinert. Les chercheurs ont ainsi identifié deux composés pharmacologiques qui présentent un pouvoir thérapeutique et, « profitant du fait que l’un d’entre eux est aujourd’hui utilisé pour le traitement d’une autre maladie, nous avons d’ores et déjà lancé une première étude clinique visant à vérifier le potentiel de la molécule pour le traitement de la myotonie de Steinert ».

Les arguments du Pr Peschanski ont en tout cas emporté l’adhésion de la commission des Affaires sociales du Sénat, qui a choisi d’autoriser la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires de façon encadrée. Le chercheur reste optimiste sur la suite des débats.

* Deux programmes d’essai clinique sont actuellement examinés par l’AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) pour des applications de thérapie cellulaire, l’un pour la peau et l’autre, proposée par le Pr Philippe Menasché, sur le tissu cardiaque.

STÉPHANIE HASENDAHL

Source : Le Quotidien du Médecin: 8936