Malformations congénitales : la recherche s’étoffe avec des organoïdes issus de cellules du liquide amniotique

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Publié le 05/03/2024
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Des chercheurs de l’University College de Londres sont parvenus à produire pour la première fois des organoïdes, ou organes miniatures, à partir de cellules fœtales circulantes dans le liquide amniotique et dans le liquide trachéal. Un outil pour tester des traitements, médicamenteux ou chirurgicaux, destinés au fœtus.

Des cellules progénitrices du liquide amniotique sont capables de s’auto-organiser et de proliférer en organoïdes tridimensionnels

Des cellules progénitrices du liquide amniotique sont capables de s’auto-organiser et de proliférer en organoïdes tridimensionnels
Crédit photo : Giuseppe Cala/AP/SIPA

Des organoïdes issus de cellules du liquide amniotique permettraient de mieux comprendre l'histoire naturelle de certaines malformations congénitales mais aussi de tester les effets des traitements destinés au fœtus, y compris chirurgicaux. « Faute d'accès direct aux organes pendant la grossesse, nous ne savons en effet pas grand-chose sur le fonctionnement des organes souffrant de malformation fœtale », explique le Pr Paolo De Coppi, qui a codirigé une étude sur le sujet à l’University College de Londres.

Cette technique, décrite dans la revue Nature Medicine, rompt avec les méthodes jusqu'ici utilisées pour produire des organoïdes. « En temps normal, les organoïdes sont fabriqués à partir de prélèvements de tissus, souvent issus de biopsies, rappelle le Dr Mattia Gerli, premier auteur de ce travail. Nous en extrayons des cellules uniques à partir desquelles nous fabriquons des structures en trois dimensions. » Chez l'adulte, tous les organes ont pu être ainsi reproduits en miniature, mais chez le fœtus, « seuls certains organes ont pu être fabriqués, et surtout, nous sommes limités par la disponibilité en tissus fœtaux, en particulier quand on s'intéresse à une grossesse en cours », poursuit le Dr Gerli.

Intestin grêle, poumon, rein

Au cours de leurs travaux, les chercheurs ont dressé un inventaire des cellules circulantes du liquide amniotique et du liquide trachéal prélevées dans le cadre d'amniocentèse, d'amnioréduction ou d’interventions chirurgicales in utero entre la 16e et la 22e semaine d’aménorrhée. Ils ont identifié celles qui pouvaient servir de cellules progénitrices. « Nous avons observé que ces cellules étaient capables de proliférer et de s'auto-organiser en organoïdes tridimensionnels dotés de caractéristiques et de morphologies très variées », poursuit le Dr Gerli. Les auteurs sont parvenus à obtenir des organoïdes d'intestin grêle, de poumon et de rein, avec des caractéristiques fonctionnelles identiques aux organes en question. La technique de sélection de l'équipe de recherche britannique semble au point : sur les 16 tentatives de fabrication d'organoïdes, il n'est arrivé qu'une seule fois que les chercheurs sélectionnent par erreur une cellule qui ne soit pas d'origine fœtale.

La première pathologie à bénéficier de ces travaux est la hernie diaphragmatique congénitale, cette malformation qui se caractérise par l'absence de tout ou partie de la coupole diaphragmatique et une surpression sur les poumons qui ne peuvent se développer correctement. Une méthode de prise en charge consiste à poser un ballon. « Le problème est que nous ne savons pas comment évaluer l'état des poumons et leur développement une fois le ballon posé, explique le Pr De Coppi. Une partie de notre travail a consisté à regarder l'état des organoïdes produits à partir de cellules extraites avant et après l'opération ». Les chercheurs ont ainsi pu les comparer avec des organoïdes issus de fœtus ayant un développement normal.

Une différence visible des cellules ciliées

Première observation, les organoïdes issus de fœtus atteints de hernie diaphragmatique congénitale se développent un peu moins bien que ceux obtenus à partir de cellules de fœtus sains. Toutefois, leurs caractéristiques et leurs apparences étaient les mêmes quelle que soit la provenance des cellules progénitrices. C'est dans le détail que des différences sont apparues.

Pour commencer, les cellules ciliées nécessaires au bon fonctionnement des poumons avaient une organisation différente dans la partie proximale des organoïdes. La différenciation en cellules ciliées se faisait également moins bien dans les organoïdes de fœtus atteints non opérés, par rapport à ceux issus de leurs homologues opérés ou sains. Il y avait également une diminution de la production de surfactant pulmonaire. Après la procédure chirurgicale, le phénotype cellulaire, les gènes exprimés et les protéines produites étaient plus proches de ce qui est observé chez les enfants non atteints.

D'après ces résultats, « il est possible d'utiliser notre technique pour contrôler l'efficacité d'un traitement ou d'une procédure chirurgicale de manière peu invasive, résume le Dr Gerli. Mais nous allons avoir besoin d’une validation clinique à partir de données de vie réelle. » Pour les chercheurs, bien qu’elle soit « une alternative low tech et peu chère », cette nouvelle source de cellules progénitrices d'organoïdes ne saurait se substituer totalement aux cellules obtenues à partir de tissus fœtaux post-mortem, à partir desquelles il est possible de fabriquer une plus grande variété d'organoïdes.

M. Gerli et al., Nature Medicine, 2024. doi.org/10.1038/s41591-024-02807-z

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du Médecin