Le Congrès francophone d’allergologie (Paris, 16-19 avril), dédié aux allergies de l’enfant, a eu un petit accent de « mea culpa ». Les spécialistes sont, en effet, revenus à plusieurs reprises sur l’effet contre-productif des diversifications alimentaires tardives et des mesures d’éviction strictes, longtemps prônées par le corps médical, dès la moindre suspicion d’atopie.
« Nous sommes probablement tous un peu coupable... » Pour le Dr Agnès Juchet (Toulouse), la chose est entendue : en prônant pendant longtemps la mise au ban de certains aliments pour prévenir les allergies et leurs complications, les allergologues auraient finalement obtenu l’effet inverse.
Ces dernières années, les allergies alimentaires de l’enfant ont de fait connu une forte croissance avec de plus en plus d’allergies multiples et de réactions sévères (augmentation de 28 % des anaphylaxies alimentaires entre 2001 et 2006). Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer cette évolution, dont la fameuse théorie hygiéniste (faute d’infection à combattre le système immunitaire se « reconvertit » dans l’allergie), le rôle de l’environnement, ou encore l’impact des carences en vitamine D.
Mais, de plus en plus, c’est l’absence d’exposition précoce à certains allergènes alimentaires – écartés volontairement de l’alimentation des nourrissons – qui est pointée du doigt. Plusieurs observations rapportées par le Pr Gideon Lack (Londres) étayent cette hypothèse notamment pour l’allergie à l’arachide dont la fréquence a doublé en 5 ans en Europe de l'Ouest et aux États-Unis.
En Israel où la consommation précoce d’arachide est monnaie courante (69 % des nourrissons en consomment avant 9 mois), la fréquence de l’allergie à l’arachide est dix fois moins élevée qu’au Royaume-Uni où ce fruit à coques n’est introduit que tardivement (seulement 10 % des nourrissons en consomment avant 9 mois). À Hong-Kong la diminution de la consommation d’huile d’arachide non raffinée au profit d’autres huiles s’est accompagnée d’une augmentation parallèle des allergies à l’arachide.
Des études conduites chez la souris ont également montré que l’administration d’une dose d’arachide per os pendant les premiers mois de la vie induit une tolérance à l’arachide contrairement à une administration per os plus tardive ou à une exposition cutanée.
La tolérance alimentaire serait donc « un processus actif qui requiert l’ingestion précoce d’antigènes alimentaires en particulier protéiques et fait intervenir les systèmes immunitaires inné et adaptatif », a expliqué le Dr Pol-André Apoil (Toulouse). Ce processus ferait intervenir des lymphocytes T régulateurs de l’intestin. Une fois activés par un premier contact, ces derniers exerceraient une action « pare-feu » préservant un état d’ignorance de l’immunité systémique vis-à-vis des antigènes alimentaires . En revanche, en l’absence de contact digestif avec l’antigène ou en cas de contact trop tardif, ces lymphocytes ne seraient pas activés. De même, une exposition cutanée, ne permettrait pas l’induction de ces lymphocytes régulateurs mais entrainerait en revanche une sécrétion accrue d’IgE.
Diversification entre 4 et 6 mois
« On pense donc que la sensibilisation allergique se fait plutôt par la peau, tandis que la tolérance passerait par la voie orale », résume le Pr Lack, et tout serait une question d’équilibre qualitatif et temporel entre l’activation de ces deux voies.
Autant d’arguments qui vont à l’encontre d’une diversification trop tardive ou d’évictions prolongées. « Tout concorde donc pour dire que la diversification doit se faire entre 4 et 6 mois, indique le Dr Juchet. Surtout, « les règles de diversification doivent être les mêmes chez l’enfant normal et chez l’enfant atopique ».
En cas de très haut risque atopique (DA sévère ou fratrie très allergique), un bilan allergologique est toutefois recommandé. S’il est positif, l’éviction reste la règle mais elle doit être la plus courte possible. avec des tentatives de réintroduction précoce si le profil allergique le permet. Sinon, des essais d’induction de tolérance peuvent être envisagés.
Pour les allergies alimentaires sévères, l’espoir est effet de pouvoir restaurer la tolérance perdue par l’administration orale répétée et à doses croissantes de l’aliment en cause. « Cette immunothérapie orale aux aliments constitue un axe thérapeutique prometteur dont l’efficacité est déjà démontrée, a expliqué le Dr Gisèle Kanny (Nancy), mais la sélection des patients l’initiation du traitement et le suivi doivent être réalisés par des praticiens chevronnés car l’immunothérapie n’est pas dénuée de risque. »