LE QUOTIDIEN : Alors qu'il est désormais techniquement possible de suivre le parcours du VIH jusque dans la cellule infectée, existe-t-il encore des connaissances fondamentales qui nous échappent sur ce virus ?
ASIER SÁEZ-CIRIÓN : Certaines questions n'ont pas encore de réponses. On ne connaît, par exemple, pas tous les partenaires du virus au sein de la cellule. Nous savons qu'il a besoin de nombreux facteurs cellulaires pour se multiplier, mais nous n'en connaissons que quelques-uns.
En outre, certaines connaissances sont régulièrement remises en question. Quand le VIH entre dans la cellule, il y a une étape de décapsidation que l'on croyait être rapide. Récemment, des équipes ont montré que le phénomène était bien plus tardif et qu'il survient à l'interface entre le cytoplasme et le noyau et se termine à l'intérieur de celui-ci.
De façon plus générale et appliquée, nous ne savons toujours pas comment et pourquoi s'établissent les réservoirs viraux. Quand le VIH infecte certaines cellules, cette infection peut être active ou latente. À ce jour, les facteurs associés à la composition des réservoirs et à la qualité de ces derniers ne sont pas connus.
Est-il exact de dire qu'il s'agit du virus le plus étudié au monde ?
On peut le dire. De très nombreuses équipes travaillent sur le VIH depuis 40 ans. Nous en avons appris beaucoup, non seulement sur ce virus mais aussi sur ses cibles. Ces recherches n'ont pas servi qu'à la lutte contre le sida mais aussi à celle contre les autres infections virales. Par exemple, on ne saurait pas guérir aujourd'hui le virus de l'hépatite C sans les progrès réalisés contre le VIH.
Quelles sont les pistes pour s’attaquer aux réservoirs ?
Il y a des pistes mais pas encore de résultat in vivo à grande échelle. La greffe de moelle provoque une diminution drastique des réservoirs viraux mais c'est une approche trop complexe et risquée. On sait que la mise sous traitement précoce a un impact sur les réservoirs viraux. Ainsi, le diagnostic précoce peut être une clé.
Récemment, des équipes ont obtenu des données cliniques intéressantes suggérant que des anticorps neutralisants du VIH à large spectre, les bNAbs (pour Broadly Neutralizing Antibodies), pourraient faciliter l’élimination des cellules infectées en guidant l’action des cellules immunitaires cytotoxiques.
Ces bNAbs, capables de bloquer l’infection par de nombreuses souches du VIH, sont uniquement produits par des rares personnes vivant avec le VIH connues comme « neutraliseurs » d’élite. Mais une fois qu'ils sont identifiés, il est possible de les produire en grande quantité et de s’en servir comme molécules thérapeutiques chez d’autres personnes.
Chez des personnes traitées par antirétroviraux puis par bNAbs, on a pu observer une modification de la qualité des cellules réservoirs, avec notamment la disparition des cellules porteuses d'un virus reproductif.
Les patients qui produisent ces bNAbs sont-ils des super contrôleurs ?
Pas nécessairement : il ne faut pas confondre leurs neutraliseurs d'élite et les contrôleurs du VIH. Les anticorps à large spectre sont généralement produits chez des gens exposés au virus de façon prolongée, mais ils n'en profitent pas toujours eux-mêmes, car le temps qu'ils les développent, le VIH qui se multiplie a eu le temps d'accumuler des mutations pour s'en prémunir. Dans certains cas, la course-poursuite entre la génération des bNAbs et l'adaptation du virus bascule en faveur du système immunitaire. Par ailleurs, chez les contrôleurs du VIH, d’autres mécanismes de contrôle, notamment associés au développement de cellules T de grande efficacité, ont été plus largement rapportés.
Pour ce qui est de l'utilisation thérapeutique des bNAbs, il faut faire un changement de traitement assorti de tests de sensibilité aux anticorps car toutes les souches virales ne sont pas sensibles à tous les bNabs. Il y a de plus en plus d'anticorps neutralisants identifiés par les équipes de recherche. Les bNAbs de nouvelle génération dotés d'une espérance de vie dans l'organisme d'un an pourraient assurer une couverture thérapeutique très prolongée avec une seule administration.
Il pourrait être nécessaire de les combiner à d'autres immunothérapies. La piste des anti-PD1 est d'ailleurs toujours explorée. La cohorte OncoVIHAC explore actuellement en France leur utilisation chez des personnes vivant avec le VIH atteintes de cancer. D'autres études internationales montrent quelques effets des anti-PD1 sur les réservoirs, mais il y a la question des effets indésirables de ces médicaments qui sont moins acceptables pour une personne vivant avec le VIH que pour un patient en cancérologie.
Vous supervisez la cohorte Visconti de contrôleurs post-traitement. Quatorze ans après sa création, que nous a-t-elle appris ?
Nous en savons plus sur les circonstances d'apparition de ces contrôleurs, assez pour commencer à explorer des pistes dans des essais cliniques. Presque toutes les personnes qui parviennent à une rémission durable de l'infection ont la particularité d'avoir commencé leur traitement précocement, mais cela n'est généralement pas suffisant. Dans le cadre de l'essai Rhiviera02, nous évaluerons l'effet d'un traitement antirétroviral combiné à une immunothérapie qui couple deux anticorps neutralisants à large spectre, chez des personnes en primoinfection.
Cette combinaison devrait aider à bloquer les particules virales, aider les cellules NK à éliminer les cellules infectées et donc à diminuer le réservoir, et enfin booster le développement de cellules CD8 et de nouveaux anticorps anti-VIH.
Au bout d'un an, nous arrêterons le traitement, et nous espérons que les participants auront une grande probabilité de devenir des « contrôleurs post-traitement ».
Il y a aussi l'étude Rhiviera01 pour laquelle nous avons identifié des personnes traitées dès la primoinfection et ayant une empreinte immunogénétique fréquemment retrouvée chez les contrôleurs post-traitement de Visconti. Nous pensons que la probabilité est grande qu'ils deviennent eux aussi des contrôleurs post-traitement.
Que tirer des essais vaccinaux de ces dernières années ?
Il n'y a, pour l'instant, aucune étude qui n'ait démontré une efficacité vaccinale, en dehors de l'essai thaïlandais RV44, où une protection de l'ordre de 30 % avait été mise en évidence, sans que l'on parvienne par la suite à reproduire ces résultats.
Mais même les vaccins qui échouent apportent leur lot d'informations importantes, et dans tous ces essais, il y a eu une réponse immunitaire, bien qu'elle ne fût jamais suffisante.
Aujourd'hui, je pense que la question a changé : on ne cherche plus à simplement générer une réponse immunitaire contre le VIH, mais une réponse immunitaire avec certaines caractéristiques et marqueurs identifiés chez les contrôleurs ou les neutraliseurs.
Pour cela, on ne se pose pas tant la question de ce que l'on doit présenter comme antigène, fragment de virus ou d'ADN mais plutôt celle de savoir à quelle cellule immunitaire les présenter et quelle cellule immunitaire stimuler.
Des nouveaux candidats vaccins essaient de donner aux cellules présentatrices d’antigène des signaux pour ne pas provoquer n'importe quelle réponse mais LA bonne réponse immunitaire. D’autres candidats essaient de mimer le processus d’adaptation séquentiel qui a amené au développement des bNAbs chez les neutraliseurs d’élite.
Les quelques cas de patients guéris après greffe de moelle sont décrits avec un donneur porteur d'une mutation sur la protéine CCR5. Pensez-vous qu'il soit possible de modifier génétiquement les cellules immunitaires du patient pour qu'elles expriment cette version mutée de CCR5 ?
Des équipes, dont la nôtre, travaillent sur cette piste, mais pour comprendre le processus qui conduit à la guérison, pas pour une application clinique qui impliquerait une étape d'ablation, au moins partielle, du système immunitaire. Cela ne peut pas être reproduit avec une personne vivant avec le VIH car le taux de mortalité et les complications après greffe restent importants et il faut souvent un traitement immunosuppresseur à vie.
Une autre piste serait de modifier des cellules progénitrices de CD4+ pour qu'elles soient résistantes aux virus. Une fois réinjectées chez le patient, on pourrait arrêter le traitement antirétroviral et espérer que la barrière proportionnée par les CD4+ modifiées soit suffisante pour diminuer la dynamique de multiplication virale et favoriser le développement de nouvelles réponses immunitaires plus efficaces.
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