EN DEHORS de l’Europe et de l’Australie, la peste touche encore l’ensemble de la planète, avec de nombreux réservoirs animaux (200 espèces de rongeurs) non destructibles, des puces animales de plus en plus résistantes aux insecticides, une bactérie, Yersinia pestis, à fort pouvoir mutagène, l’absence de vaccin pour l’instant. Si l’histoire des pandémies de la peste est désormais assez bien connue, de nombreuses inconnues demeurent quant aux phénomènes déclenchants ou aux causes de leurs interruptions soudaines par exemple. Une nouvelle pandémie est donc tout à fait possible, puisque l’homme n’en est qu’un acteur malheureux, qu’il ne peut agir durablement sur ses causes et peut uniquement limiter sa propagation, explique Jean Vitaux.
L’auteur, gastro-entérologue, retrace l’histoire de la peste et les trois grandes pandémies, peste de Justinien, peste noire de 1347, qui tua entre le tiers et la moitié de la population de l’Europe, plus que les grandes épidémies modernes (10 millions de morts avec la grippe espagnole, 25 millions avec le sida depuis les années 1980) et troisième pandémie aux XIX et XXes siècles, les acteurs de la maladie (le rat, la puce et le bacille) comme la place de la médecine face à cette affection. Qu’il s’agisse des modifications socio-économiques majeures engendrées par les diverses pandémies et leurs variations d’une culture à l’autre ou d’un bout du monde à l’autre, des bouleversements des mœurs générés par la peste ou des débordements religieux et sociaux (de l’accusation et de la maltraitance des juifs au XIVe siècle en France à celles des mendiants et « gens du voyage » en passant par la dérive apocalyptique avec les flagellants, pénitents et sorciers) ou encore de l’utilisation potentielle comme agent de bioterrorisme, prise très au sérieux par les états modernes, cette anthropozoonose a eu, et pourrait encore avoir le pouvoir de façonner en partie notre monde. Si elle ne fait, pour l’heure, « que » quelques centaines de morts par an, elle reste le symbole d’un fléau incommensurable, modèle de ceux qui ont ravagé l’humanité, et est bien présente dans l’imaginaire collectif et au travers du langage commun et quotidien, de la littérature ou de la peinture.
Apparu dans la langue française au XVe siècle, le mot peste, du latin « pestis », signifiant le fléau, a vite été utilisé au sens figuré pour désigner le malheur, de celui que « l’on fuit comme la peste » au nazisme qualifié de « peste brune » et au fascisme mussolinien dit « peste noire » en passant par la flatterie, « peste fatale » entre toutes pour Vaugelas, et par tous ceux qui « empestent ». Certaines épidémies modernes hautement contagieuses et destructrices pour les élevages ovins, bovins ou de gallinacés sont dites peste ovine, bovine ou aviaire sans avoir pourtant aucun rapport avec le bacille de Yersin. Alors, « à quand la quatrième pandémie de peste » écrit, dans sa conclusion, le spécialiste des yersinioses.
Voyage avec la grippe.
Pour l’anthropologue Frédéric Keck, la question posée par les maladies infectieuses émergentes est celle de la façon dont des mutations catastrophiques au niveau biologique peuvent le devenir au niveau politique. L’auteur prend comme sujet d’analyse, particulièrement instructif à cet égard, la récente pandémie du virus de la grippe H1N1. Sur la piste ethnologique du virus de la grippe aviaire H5 N1 à Hong Kong entre 2007 et 2009, Frédéric Keck a, actualité oblige, dévié sa route vers l’Amérique du sud, Mexico et d’autres sites pour analyser la façon dont se concevait la mondialisation de la lutte contre cette nouvelle grippe et les réactions des sociétés à l’apparition du virus. Son ouvrage retrace ce tour du monde des virus de grippe et des dispositifs mis en place pour les surveiller et les contrôler.
La grippe, explique-t-il, est une maladie de la mondialisation, pas seulement parce que les virus se déplacent rapidement à travers des réseaux de transport de plus en plus denses, mais aussi parce que, du fait des réactions qu’ils engendrent chez les humains, ils peuvent provoquer l’arrêt soudain des échanges qui ont été à l’origine de ces mutations.
Pour mieux comprendre cette fragilité du monde contemporain et les ambivalences de la mondialisation, avec, entre autres caractéristiques, le bouleversement des rapports entre les hommes et les animaux via l’intensification du réservoir des animaux pour l’alimentation humaine (13 millions de poulets en Chine en 1968, 13 milliards aujourd’hui...), l’auteur a interrogé de nombreux experts, producteurs, observateurs, consommateurs. Ce parcours « erratique » sur la trace des virus de la grippe l’a conduit à caractériser cette pandémie comme un mythe, au sens de Claude Lévi-Strauss, mythe dont la force tient à sa faculté de raconter des histoires sur les relations entre les hommes et leur environnement, variables selon les contextes. La genèse de celui-là étant en grande partie fondée sur la peur ancestrale des animaux et de leur domestication. Les pandémies n’ont donc décidément pas dit leurs derniers mots.
Jean Vitaux, « Histoire de la peste », PUF, 202 p., 25 euros.
Frédéric Keck, « Un monde grippé », Flammarion, 338 p., 21 euros.
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