Alors que l'infection Covid augmente la probabilité d'accident vasculaire cérébral (AVC), la pandémie souligne l'importance d'agir en amont sur les facteurs de risque connus et modifiables.
Chaque minute compte dans l'accident vasculaire cérébral (AVC) pour réduire le risque de séquelles. Alors que la deuxième vague de Covid-19 frappe de plein fouet les hôpitaux et que l'AVC est l'une des manifestations associées à l'infection à SARS-CoV-2, plane le risque d'un délai augmenté dans la prise en charge. La pandémie actuelle rappelle l'importance de la prévention, d'autant qu'il est possible d'agir sur la plupart des facteurs de risque (FDR).
« Dans notre hôpital, nous avons constaté 8,8 % de complications neurologiques parmi nos patients Covid, avec plus de 25 % de manifestations neurovasculaires, indique le Dr Thomas de Broucker, neurologue à Saint-Denis (93). On peut ainsi estimer que 2 à 3 % des patients Covid hospitalisés font un AVC ». Une estimation cohérente avec les observations italiennes (1).
Au cours de la première vague, le Dr de Broucker a contribué à la tenue du registre NeuroCOVID (2) : chez les 222 patients de 46 centres français, 25,7 % présentaient un accident ischémique cérébral aigu. Mais le lien entre Covid et AVC n'est pas encore bien compris. « Les AVC liés au Covid sont très souvent de cause "indéterminée". Il s'agit en général d'une coagulation intravasculaire, avec un thrombus, clairement lié au syndrome inflammatoire. Et il n'est pas rare qu'y soit associée une embolie pulmonaire », détaille le Dr de Broucker, selon qui « le Covid a été un élément déclencheur chez des personnes déjà à risque d'AVC ».
Ainsi, les patients Covid hospitalisés sont traités par anticoagulants. « Les patients reçoivent systématiquement des héparines de bas poids moléculaire à dose moyenne — entre hypocoagulante et isocoagulante — pour éviter la thrombose cérébrale mais aussi les embolies pulmonaires », explique le neurologue francilien. De plus, il est fréquent que les patients Covid se retrouvent à l'hôpital en raison de l'AVC et non de l'infection elle-même, qu’il faut systématiquement rechercher dès l’admission en cette période épidémique.
La FA, une cause d'AVC à rechercher
Chez les patients Covid ou non, la fréquence de la pathologie cérébrovasculaire souligne l'importance de la prévention en amont. L'hypertension artérielle (HTA) est le facteur de risque principal d'AVC (3). « L'HTA est présente chez près de 80 % des patients victimes d’un AVC, rapporte le Pr Yannick Béjot, neurologue du CHU Dijon-Bourgogne. C'est le FDR principal dans la moitié des cas. Pourtant, l'HTA est souvent sous-diagnostiquée. De plus, le suivi des cibles tensionnelles n'est pas toujours assuré ».
Parmi les autres FDR, on compte l'âge, l'hypercholestérolémie, le diabète, le tabagisme, l'obésité, l'alimentation (pauvre en légumes et en fruits), le manque d'activité physique, ainsi que la consommation d'alcool et de stupéfiants. « Le cannabis est un FDR souvent négligé qui augmente le risque de thrombose et de vasospasme », précise le Pr Béjot. Chez les femmes, le risque est augmenté par la contraception œstroprogestative orale (surtout en cas de tabagisme associé) et les traitements hormonaux substitutifs de la ménopause. Ont également été identifiés plus récemment : « le syndrome d'apnées du sommeil et la pollution atmosphérique », ajoute le neurologue.
De plus, « la fibrillation atriale (FA) est une cause connue d'un tiers des AVC ischémiques, poursuit le Pr Béjot. La FA est généralement asymptomatique, il faut la rechercher ». Un meilleur dépistage du trouble du rythme est essentiel, ainsi que de l'HTA et du syndrome d'apnées du sommeil : les experts de la conférence nationale de l'AVC préconisent ainsi d'inscrire ces objectifs dans la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP).
Dans un livre blanc sorti à l'occasion de la journée mondiale de l'AVC, ces experts ont décliné « douze propositions pour une meilleure prise en charge de l'AVC ». Ils recommandent également « de mettre en place chez les personnes de 40 ans une consultation dédiée à la prévention avec un médecin généraliste, indique le Pr Serge Timsit, neurologue au CHU de Brest et l'un des membres de la conférence AVC. La survenue d'un AVC avant l'âge de 55 ans est en augmentation ». Pour le Pr Béjot, « à 40 ans, il est encore possible d'agir pour maintenir une bonne santé neurovasculaire ».
Décloisonnement ville-hôpital
Les experts de la conférence AVC appellent aussi à généraliser les unités prenant en charge les accidents ischémiques transitoires (AIT) en hôpital de jour, avec un bilan complet réalisé dans la journée. « Une prise en charge précoce diminue de 80 % le risque d'AVC », précise le Pr Timsit.
Après un AVC, il est essentiel d'identifier sa cause pour ajuster le traitement. « Un tiers des patients n'ont pas de cause identifiée en sortie d'hospitalisation », souligne le Pr Béjot, qui insiste sur l'importance du suivi et d'un nécessaire décloisonnement ville-hôpital. L'équipe de Dijon évalue actuellement l'intérêt d'un suivi intensif (étude DIVA) par des infirmiers et pharmaciens libéraux et hospitaliers, en collaboration avec les médecins généralistes et spécialistes (versus la consultation neurologique standard à six mois).
(1) N. Rifino et al., J Neurol, 2020. doi: 10.1007/s00415-020-10251-5
(2) E. Meppiel et al., Clin Microbiol Infect, 2020. doi.org/10.1016/j.cmi.2020.11.005
(3) M. J O'Donnell et al., Lancet, 2020. doi.org/10.1016/S0140-6736(16)30506-2